Drôle de temps à Carnac

On dit que le sang des femmes, c’est les larmes de la lune. Flux et reflux. Les rochers se laissent caresser. Le bout du monde a ceci de merveilleux qu’il nous renvoie à nos propres limites. La marée va et vient. Volupté amoureuse. Les mouettes voguent sur le dos de l’amante. Souvenir salé de ta peau.

Ici la vie s’est arrêtée. Calme et douce, elle coule au fil de mes doigts. Les dieux tout autour ont planté de petits cailloux, bien alignés comme des soldats de plomb. On ne sait rien d’eux sinon qu’ils existent. Le mystère demeure. La mer se calme et mon âme aussi. Il ne manque que quelques nénuphars éclatés.

Ah ! Les beaux jours…

Le paysage est plat et triste, alors les églises dessinent des montagnes. Partout des croix où la peur des hommes s’en vient fermer les yeux. Beauté désertique d’un pays écorché. On perd la vue de trop regarder la mer. L’océan bouillonne comme des marmites magiques où les druides réinventent le monde. Le jour de messe, les bretonnes posent de petits clochers sur le haut de leur tête.

Le bon dieu ne peut être que haut perché.

Le soleil brûle de face et puis de pile comme un pendant suspendu à cette étendue glacée. D’ailleurs, existeraient-ils l’un sans l’autre ? Les vagues vagabondent pareilles à ma main sur la courbe de ton dos. Il n’y a pas de vérité sinon celles de ces galets polis.
On ne peut rien contre le temps, ni les hommes ni la pierre. C’est peut-être ça le savoir.

Le port est triste et clos. Les bateaux n’ont plus de voiles. Les marins ne chantent plus de chansons alors ils inventent des histoires : les haubans claquent, le grand foc se gonfle. On s’en va là-bas, bien loin, à l’ouest, toujours à l’ouest. Les bars sont pleins de ces hommes menteurs qui tous les soirs redécouvrent l’Amérique. Ils ont depuis longtemps oublié de vivre. Le bout du monde.
Les gens se déplacent à bicyclette et c’est charmant. La mine ici, c’est le coquillage. Alors on construit des terrils de cadavres nacrés avec l’arc en ciel dans le ventre de chacun. Les bateaux dorment à quai. Tristes et désarticulés.

La vie s’est arrêtée, il ne reste que ce temps en suspension et le souvenir de ta peau à la paume de mes mains. Je fais relâche dans le temps.

Une chronique de Jean-Luc Gironde.