De l’espérance

Les temps que nous vivons sont difficiles et inattendus, ils sont cependant vécus de manière différente. Il y a ceux qui sont malades et ceux qui les soignent, ceux qui sont isolés, ceux qui ne peuvent ouvrir leur commerce, ceux qui ne peuvent exercer leur métier, leur art, ceux qui ne peuvent se réunir et ceux qui tombent dans la dépression sont de plus en plus nombreux. Pour faire face à ce péril moral, nous avons tous besoin d’un point d’ancrage, d’une bouée pour ne pas sombrer : une espérance.

Alors comment imaginer cette notion qu’est l’espérance qui sait être douceur et consolation absente de notre esprit ?

L’espérance est parallèle à l’espoir, mais différente ; l’espoir qu’évoque Malraux dans le titre de son ouvrage sur la guerre d’Espagne c’est l’espoir de gagner, de voir aboutir. Le sentiment de l’espérance est si important que l’Eglise l’a placé au titre des vertus théologales entre la foi et la charité, ces vertus ont principalement le Créateur pour objet, même si l’espérance ne voit pas l’aboutissement de la promesse en ce monde. Et là, je voudrais citer Charles Péguy qui compare l’espérance à une fillette de rien du tout qui sauterait à la corde dans une procession, entre ses deux grandes soeurs : la foi et la charité.

‘’ L’ESPERANCE est une petite fille de rien du tout.
Qui est venue au monde le jour de Noël de l’année dernière.
Qui joue encore avec le bonhomme janvier.
C’est cette petite fille pourtant qui traversera les mondes.
C’est une petite fille de rien du tout.
Elle seule, portant les autres, qui traversera les mondes révolus ‘’.Il insiste, mettant en évidence sa persévérance ………………. ‘’ Elle va vingt fois devant, comme un petit chien, elle revient, elle repart, elle fait vingt fois le chemin, elle n’est jamais fatiguée ‘’.

Oui, espérer, c’est vivre en suspens comme l’eau d’une source jaillissante, c’est croire, c’est oser, c’est attendre et marcher, c’est aussi croire au meilleur, le tout en même temps, c’est être confiant, porté par ce sentiment réparateur et vivifiant, c’est aller vers le mieux. Pour tout dire, l’espérance est belle comme une épousée au jour de ses noces, c’est attendre que le soleil passe par-dessus la crête de la montagne au lever du jour et le remercier d’être au rendez-vous, c’est comme l’abside d’une cathédrale ou d’une église de village quand les rayons obliques de l’astre de vie, le disputant aux dernières nuées de la "sombrité" de la nuit, frappent les vitraux et les murs. Il y a, à ce moment là, un instant unique, renouvelé chaque jour depuis le commencement, un moment qui nous fait dire que si le mot victoire a un sens, il est là à son apogée : c’est la victoire de la lumière sur les ténèbres, la lumière est le commencement de tout ! Oui, l’être humain est fait pour la lumière et il est comme un fils de lumière.

L’espérance est aussi synonyme de renaissance. Un autre monde pourrait naître suite à ce chaos, « un monde d’après » animé d’un désir de changement, porté par des sentiments plus vertueux faits de résolutions, de projets plus équitables, de respect d’égalité, de fraternité (c’est inscrit sur les frontons de la République) : en un mot fait d’amour. Vous imaginez le changement radical ? On déjà entendu ça il y a un petit demi-siècle « Faites l’amour, pas la guerre » ! Cet amour est un ciment car il est le premier vecteur de la réussite de la vie. Teilhard de Chardin disait : ‘’ il est la plus universelle, la plus formidable et la plus mystérieuse des énergies cosmiques ‘’. Il est alors un emprunt fait au bonheur, dans le but dénué de toutes prétentions de vouloir, non pas changer le monde mais plus humblement l’améliorer en commençant par nous changer nous-mêmes. Cette espérance dont je parle peut nous aider à vaincre les maladies de langueur du corps et de l’âme, c’est ce que nous subissons actuellement. Usons de force de volonté, de courage, et de patience, cette patience qui n’est peut-être rien d’autre que l’énergie de notre volonté pour grandir encore. Etre « pleinement humain » c’est aussi quitter cette obscurité qui consterne les êtres, c’est remplir sa vie d’un temps nouveau plus beau que l’ancien, vers l’amitié, la bonté, la vie, la lumière parce que la lumière est aussi le vêtement de l’âme et aussi de l’humanité. L’espérance c’est participer, c’est s’impliquer auprès de nos semblables, c’est marcher en confiance sur un chemin souvent joyeux, c’est participer, s’impliquer dans le Monde toujours en construction, en acceptant (entre autres choses) que la mort n’est peut-être pour certains qu’entrer dans un tunnel terminus et pour d’autres savoir se suspendre à un autre amour qui est aussi une espérance, celle de trouver la grande Paix, cette espérance sert à être plus fort dans la grande épreuve. Pour citer Paul Claudel  : ‘’ le Monde est fini mais la création non achevée ‘’.

Pourtant, il nous faut entendre la grande clameur qui vient de l’humanité souffrante, cette dernière fait un tel raffut qu’il est parfois difficile d’y déceler une parcelle d’espérance : une clameur qui vient de la douleur des deuils qui nous frappent, de ceux que l’on regarde derrière les vitres des chambres stériles des hôpitaux et des maisons dites de retraite, de ceux qui voudraient simplement boire et manger pour vivre, ils crient depuis les favelas de Rio, les bidonvilles du Caire et d’ailleurs. Sans parler des enfants qui se meurent en Inde, en Afrique pour ne citer que ceux-là, de la femme battue qui habite parfois dans notre immeuble, des malades, des jeunes gens qui se suicident parce qu’à 16 ans ils n’attendent plus rien de la vie ! Que dire de ces milliers de malheureux qui, portant leurs seuls biens sur leur dos, fuient sur les routes en caravanes de misère ? Et de ceux qui vivent dans les banlieues de grande ville, souvent sans repères et sans valeurs, ne mesurant même plus le prix et la grandeur de la vie ?

L’humaine misère de certains nous apparaît insupportable et elle est inacceptable. Comment parler d’espérance à tous ceux là ? Pourtant, il suffit parfois de très peu de chose pour changer une vie ou tout au moins l’améliorer, l’adoucir : donner une espérance par notre action. Montaigne nous le rappelle : ‘’ c’est une belle harmonie quand le faire et le dire vont ensemble ‘’.

Nous connaissons tous ces expressions toutes faites : ‘’ tendre une perche, mettre le pied à l’étrier, donner un coup de pouce, tendre la main, remettre à flot ‘’. Bien sûr, ce sont des mots, ensuite, il faut veiller à faire suivre les actes, aimer les autres c’est donner sans compter. Aidons à vivre, décelons les failles de vie autour de nous sans nous contenter de faire le bien mais en toutes choses : « faire bien ». ‘’ Pendant que nous sommes parmi les hommes, pratiquons l’humanité ‘’ nous dit Sénèque .

Oui, le mal et la douleur habitent la terre, mais cette terre est comme nous la faisons, créons le beau, le bonheur existe dans cette vie qui est inestimable. Il n’est pas nécessaire que nous soyons des sortes d’aigles, nous possédons des outils en nous pour espérer changer les choses, le tout dans la plus vivante réalité.

Aussi, par delà toute chose difficile, faut-il espérer : l’espérance est un devoir, il nous faut rétablir une confiance de vie durable (pour employer le mot à la mode), car seul ce qui dure est fécond. ‘’ C’est
en posant sa pierre ‘’ - disait Saint-Exupéry - que l’on contribue à bâtir l’univers‘’.

L’humanité est en marche depuis si longtemps, ne doutons pas que le monde continuera sa course si nous savons prendre les chemins qui montent. Ce monde, il s’adaptera aux transformations malgré les marques d’infamie, les hontes qui jalonnent chaque siècle. De la pire détresse humaine peut naître une lueur capable d’entraîner, de guider l’instinct de survie. De l’horreur des chambres à gaz du XXème. siècle, des guerres effroyables et destructrices, des idéologies de la haine, du mépris de l’écologie, est né ou naîtront un regret, une volonté de réparation, une prise de conscience, un amour pour les êtres et les peuples martyrs. Nous le savons, les mandragores poussent sous les gibets et les rosiers fleurissent sur les charniers parce que toujours, la vie reprend ses droits. Même si la faiblesse est grande et la force souvent insuffisante, L’ESPERANCE qui nous habite doit nous donner la force de réparer l’irréparable, de reconstruire avec force et vigueur ce qui est détruit afin de retrouver ce que l’on avait perdu, d’aimer celui que tous avaient haï parce qu’il y a dans la nature de chaque existence humaine (même à son insu) une plénitude venue du Ciel.

Espérance, espérance ! Tu es grande et belle, tu es une résurgence de vie, ton courant limpide jaillit de notre pensée pour dévaler en torrents bouillonnants en traversant notre coeur, emportant les sentiments de langueur qui, souvent, l’habitent, détruisant les brumes de la mélancolie et du désespoir.

Espérance, tu sais apaiser nos chagrins et nous faire retrouver les plaines sereines du réconfort et par les méandres apaisés de ton cours, tu nous mènes vers le bonheur si précieux de vivre.
Ainsi, nous construirons un monde enviable, un monde qui grandira, où ceux qui le bâtiront seront admirables, animés d’une indéfectible espérance.

De par ce prodige que l’on nomme espérance, ne doutons pas, beaucoup viendront de toutes parts et de partout, innombrables, ils crieront et réclameront avec force de vivre un monde meilleur, un monde ‘’ où l’amour sera roi, où l’amour sera loi ‘’. L’espérance nous y conduit parce qu’elle est apparue dés le premier jour des jours dans le souvenir obscur du premier réveil !
Je ne peux résiste à vous citer encore Charles Péguy, tant sa poésie est évocatrice :
‘’ Sur le chemin du salut, sur le chemin charnel, sur le chemin raboteux du salut, sur la route interminable, sur la route entre ses deux soeurs la petite espérance s’avance.
Entre ses deux grandes soeurs.
Celle qui est à droite et celle qui est à gauche.
La petite, celle qui va encore à l’école.
Et qui marche.
Perdue dans les jupes de ses soeurs
Au milieu.
Entre elles deux
C’est elle, cette petite, qui entraîne tout.
Et elle voit ce qui sera.

Avant de conclure et pour être honnête, il faut que je vous dise : malgré mon enthousiasme, il m’arrive (comme à beaucoup) de flotter entre la crainte et l’espérance, car je sais que « là où chantent les tendres oiseaux, le serpent siffle ». Alors, je m’accroche à la main de ‘’ la petite ‘’ de Péguy, celle qui va encore à l’école mais je ne suis pas à l’abri d’un abattement, d’une angoisse, même si je suis conforté.

Ainsi, quand dans mon entourage les amis à nouveau (bientôt j’espère) me présenteront leurs mains tendues, et que je pourrai enfin les saisir c’est l’espérance que j’empoignerai car elle vient aussi d’eux et parce qu’ils m’aident à vivre.
Pensons sans faillir que le meilleur est à venir, ‘’ car il n’y a qu’une seule vie et elle est sans fin ‘’ comme le dit si bien Christian Bobin .
Et c’est mon espérance.

Jean Paul Gouttefangeas