De Thiers au Chignore

C’est une belle escalade en perspective que tenter la grimpette sur le mont ! Ce qui est rassurant, c’est qu’il est très calme, pas de gaz, pas de fumerolles ni soufre, (et pour cause, ça n’est pas un volcan !), rien à voir donc avec le Stromboli, l’Etna, le Krakatoa de la ceinture de feu, le pire le Ulawun de Papouasie ou quelque fou furieux du même type à la colère sous-jacente et meurtrière et malgré tout attirante, tant ces furies de la planète peuvent être spectaculaires, voire fascinantes. Pourtant « ça a dû secouer » dans notre région, à voir les blocs éparpillés bien loin du sommet, entassés, dégringolés de la cime qui faisait peut-être 5000 mètres de haut à l’origine, allez savoir !

En partant de Thiers par la rue des Petites Molles ! avouez que c’est un peu dur pour un nom propre ! Associé malgré tout (géographiquement parlant) à Emile Zola, nous
montons par Cartailler pour traverser le plateau du Coutural, ses coquettes villas et son redoutable
« coussin de Berlin » ou plutôt « gendarme couché ». Dépassant l’embranchement de Croat, c’est la sérieuse descente en sous bois de chênes et de frênes qui rejoint la route plus importante en plein mitan d’un ‘’S’’ un peu scabreux ! qui mène au Champ du Bois. Dépassant la grande maison du Bost, on trouve sur la droite la belle allée de chênes conduisant à Vorreton, ensuite ce sont les prairies de la plaine de la Dore. La campagne est belle (forcément c’est l’Auvergne !) on déambule au milieu des prés garnis de vaches blanches, (et quelques rouges et blanches). A senestre, on laisse Pomparias avec à ses pieds quelques étangs (naturels ou pas) propices aux chênes (Quercus robur), ou Rouvres, quelques uns sont malades, voire mourants ou déjà morts, la variété Palustris disparait, il ne faut pas oublier que ces chênes ont besoin d’humidité et pour faire mentir l’été que nous subissons cette année, le réchauffement général de la planète leur sera à court terme fatal dans nos régions. Consolons-nous, nous aurons des lauriers roses, des agaves, des agrumes des oliviers et palmiers ! Mais tout cela va si vite que nous avons du mal à nous adapter nous-mêmes à ces bouleversements ! Imaginez quand notre Auvergne sera devenue une sœur jumelle de la Sicile (elle l’est déjà par la superficie) ! Il paraît qu’il ne tient qu’à nous d’enrayer le processus dévastateur, il est grand temps de nous y mettre ! Abandonnons le lieu-dit l’Olme à droite, nous sommes au carrefour qui mène à de nombreux villages dont l’ancienne viguerie de Villesaint presque au bord de la route, fief de mes ancêtres Dessapt dont le dernier bâtiment vient de s’effondrer, quelques vestiges du XVIème siècle sont encore visibles, fenêtre, portes et cheminée. Dans ce même quartier le manoir de la Vallerie. Le ruisseau franchi, c’est la patte d’oie de Gouzon ou, dans les années 55 (du siècle passé), je me souviens être venu manger des fritures avec mes parents. Des noms bien locaux se succèdent : Rif Buisson, Pailhat. La croix de chemin de Lanaud, encore un hameau lié à mon enfance. Mes grands parents et ma mère habitaient la dernière maison du village tout au bord de la Dore, ses crues incessantes ont eu raison du bâtiment. Mon grand père était le passeur du lieu, avec sa barque à fond plat la ‘’naud’’, le « renforceur » (celui qui dirigeait l’embarcation) qu’il était faisait traverser les gens et les bêtes sur la rive de Tarragnat ou Bélime. Là aussi, il y avait un restaurant de village et sous les frênes un espace était aménagé où les dimanches après-midi les hommes jouaient aux quilles. Pour quelques sous j’étais « releveur de quilles ! Autres temps, autres mœurs. A l’intercession Courpière Vollore, nous laissons à la destre la noble terre des Montmorin (La Barge). A partir d’ici la plaine est presque finie. On dépasse sans y monter Marsaloux, Billotte et le vieux domaine des Suchères. Puis ce sera Lorille à droite, la Prade à gauche, toute une contrée de petit élevage encore. En bordure de la route, une maison à l’architecture rappelant un peu le style des arts décoratifs (formes un peu incongrues dans cette campagne), mais la vue y est exclusive, donnant sur le château, l’église et le village. Passons le Breuil, Douharier. A Laire, la vue de Vollore se réduit à l’imposante façade du château. Rongeron, plus que deux kilomètres pour arriver au bourg. Tissonière à droite puis Le Miel et Le Mas, c’est alors qu’apparaît le panneau Vollore que d’aucuns ont osé qualifier de Ville ! N’est-ce pas un peu exagéré ? Tout près, Le Bouchet et la ferme du Fraisse où j’ai fait les vendanges dans ma jeunesse !

Sur la place de l’église la belle fontaine circulaire en Volvic, née peut- être vers 1800 (ce modèle s’est répété au cours des siècles) nous gratifie de son eau par
l’intermédiaire de deux « moures » (ou masques appliqués, souvent des têtes de lion), évoquant sûrement quelques dieux des eaux égarés à Vollore : tous deux moustachus et barbus, l’un portant de grands pendants d’oreilles ! le front ceint de marguerites. Son pendant, lauré, est paré également d’un système pileux et festonné (en agrafe) très développé. Ces deux sculptures s’inscrivent encore dans le style du XVIIème siècle. La colonne centrale et sommée d’un gros vase au bord godronné et à la « jambe perlée ».

L’église Saint Maurice dont tout l’extérieur vient de subir une cure de jouvence très spectaculaire, notamment au niveau des splendides baies du chœur, est aussi d’une grande richesse intérieure. La pièce maîtresse étant sans conteste la Vierge assise née dans les années 1180 et qui aujourd’hui, par égard à son grand âge mériterait un lifting (si j’ose m’exprimer ainsi parlant de la Vierge Marie !) ne serait-ce que pour retrouver une polychromie du visage qui doit exister « quelque part » sous les couches de Ripolin ! Accrochés aux murs, deux tableaux du peintre François Perrier (1594-1649) : « le martyre de saint Maurice » et un second plus modeste (par la taille) « David vainqueur de Goliath ». Ce peintre de renom travailla (entre autres) à la décoration de l’Hôtel Lambert dans l’île de la Cité à Paris). Un lutrin très intéressant de l’époque de Louis XV allie très harmonieusement dans sa construction le bois et le fer. La grille de communion de la même époque, heureusement toujours en place, traverse presque la totalité de l’église. Le chœur lui-même, cerné de stalles joliment sculptées, est lambrissé de belles boiseries aux panneaux en arcades qui dissimulent une minuscule chapelle et son autel (encastrée dans l’épaisseur du mur) dite ‘’des Seigneurs’’. Au fond de l’abside est adossé un très beau retable en bois doré du XVIIème siècle reposant sur un autel tombeau un peu plus tardif (XVIIIe.). Sur le pourtour, à l’amortissement des boiseries, une suite de 8 statues en bois doré du XVIIIème siècle dont la plus remarquable est celle représentant saint Maurice, saint Patron de la paroisse. Si une bonne âme de la paroisse (il y en a à Vollore) veut bien vous ouvrir la porte de la sacristie, elle vous montrera un très beau fronton en bois naturel issu sûrement d’une boiserie de l’église, composé de deux chérubins joufflus du XVIIème siècle comme seul ce siècle a su en produire. A l’entrée de l’église (comme il se doit), ne pas rater une belle boiserie galbée de l’époque de Louis XVI qui isole les fonts baptismaux.

Empruntant la rue de la Tourelle, une belle façade du temps de la Renaissance avec une tourelle (justement) en poivrière qui a la particularité d’être carrée (ce qui est
plus rare). Un peu plus loin, devant la mairie le soldat blessé à mort la main sur cœur qui semble nous dire : « lisez tous ces noms, gravés dans la pierre, surtout ne les oubliez pas ». Sur la placette superbe croix en pierre de Volvic de la Renaissance aux nombreux personnages évoquant les vivants et les morts, il reste un texte sur le fût, mais les armoiries des donateurs ont été bûchées (effets de la Révolution). Puis, là bas la Petite Chassade passée, apparaît une fontaine du 17ème siècle aux attributs chrétiens : des poissons et une petite tête d’ange emportée aux cieux par des ailes, à moins que, empêchant une juste lecture, l’usure du temps ayant fait son œuvre, les représentations soient un sablier ailé symbolisant le temps qui s’envole avec en dessous un crâne qui serait alors une piqure de rappel !

L’immense cimetière du bourg est là, rempli de noms locaux sur des stèles souvent très anciennes. La chapelle est fermée, difficile de mettre une date dessus, peut-être le XVIIIème siècle (je ne connais pas l’intérieur) la façade est surmontée d’une grosse cloche afin d’entendre sonner le glas de très loin. A côté du bâtiment, une autre croix de la même époque que celle du centre bourg. Double face, d’un côté le Christ en croix, de l’autre la Vierge à l’Enfant, alentour st. Jean Baptiste, ste. Madeleine, st. Antoine et bien sûr st. Maurice.

Après avoir dépassé l’étang des Buradoux en direction du Vollore de la Montagne, c’est là que commence la véritable ascension du Grün de Chignore.

La trotte est encore longue avant d’arriver au sommet, à vrai dire je ne l’ai pas refaite, la dernière fois c’était il y a bien longtemps, autant dire du temps de la splendeur (physique !) Je me souviens de la vue (privilège de ceux qui escaladent les montagnes !) et de l’émerveillement qui en résulte. Pourtant, ce qui m’a le plus marqué, c’est la « dévalade ». Elle fut très rapide, incroyablement rapide ! Par le versant ouest (mais presque nord) dans le cahot pentu des éboulis, amoncellement dantesque si épais que la végétation n’a toujours pas repris le dessus après tant de siècles passés. J’avais fait cette escalade accompagné d’une petite fille très leste et très agile (Charlotte) qui m’avait prouvé toute sa vitalité lors de cette fulgurante descente. Partis depuis la grande croix qui était (à l’époque) plantée la haut, nous dévalâmes comme portés par des ailes, sautant de bloc en bloc, chaque réception étant précise et sûre, chaque appui du pied sur la pierre devenant une source nouvelle d’énergie qu’un calcul cérébral dans la gestion de la réception suivante dirigeait sans faille et sans erreur : heureux temps où les facultés sont à l’apogée ! Cette mouvance presque automatique des corps quand l’instant présent l’emporte, quand le corps et l’esprit sont en harmonie, n’est-ce pas cela aussi la liberté ? Aller n’importe où mais aller jusqu’au bout ! Même de Thiers au Chignore et en redescendre !

Jean Paul Gouttefangeas