Chronique de campagne
Après l’ouverture de la pêche à la truite le 10 mars dernier -une demi-heure avant le lever du soleil mais uniquement pour les cours d’eau de première catégorie -, c’est ce vendredi 16 mars que commencera véritablement la pêche aux voix, les candidats disposant de 500 signatures ayant jusqu’à 18 heures ce jour-là pour les déposer au Conseil Constitutionnel.
Alors bonne nouvelle pour ceux qui aiment le suspens : depuis avant-hier, alléluia ! Les lignes se croisent. Parti avec un handicap de 10 points en octobre 2011, le président sortant Nicolas Sarkozy est repassé lundi dernier devant son principal adversaire qui selon une deuxième étude resterait…. en tête au final ! Une histoire de croisements qui partie comme elle est, risque de durer jusqu’au 22 avril. En effet, selon une enquête Ifop-Fiducial pour Europe 1, Paris-Match et Public Sénat parue mardi et réalisée après le meeting de Villepinte dimanche, - c’est là que Gérard Depardieu, le monsieur qui fait pipi dans les avions , a dit tout le bien de celui dont on dit tant de mal – c’est donc après ce meeting que le président s’est vu crédité de 28,5% (+1,5%) contre 27% (-1,5%) à son rival socialiste.
Au second tour, M. Hollande l’emporterait toujours haut la main avec 54,5% (-2) contre 45,5% (+2) à M. Sarkozy. Derrière eux, la candidate du Front national Marine Le Pen obtiendrait 16% (-1%) des voix, devant ceux du MoDem François Bayrou avec 13% (+0,5) et du Front de gauche Jean-Luc Mélenchon à 10% (+1,5%). Ce sondage réalisé toutes les deux semaines depuis mai 2011 a jusque-là toujours placé François Hollande en tête du premier tour, avec un écart qui a atteint jusqu’à dix points (35% contre 25%) en octobre 2011.
Fin janvier, dans la foulée de son meeting du Bourget, le candidat socialiste faisait encore la course en tête avec 31% contre 24,5%. L’écart entre les deux rivaux n’a cessé de décroître depuis, jusqu’au croisement actuel. "C’est un tournant (...) mais un tournant nuancé puisqu’il marque la fin de ce qui était une exception sous la Ve République, à savoir un président sortant devancé au premier tour", a commenté pour l’AFP Frédéric Dabi (Ifop), "c’est un peu un retour à la normale".
Patatras ! Un sondage TNS Sofres Sopra Group réalisé toujours après le meeting de Villepinte de Nicolas Sarkozy et diffusé également mardi, contredit le dépassement de François Hollande par le président sortant en intentions de vote pour le premier tour de la présidentielle. Selon cette enquête, pour I>Télé, le candidat socialiste est toujours largement en tête (30%, stable) et le président-candidat baisse de deux points à 26% (-2 points).
Au second tour, François Hollande l’emporte largement (58%, +1) sur Nicolas Sarkozy (42%, -1). Voilà pour les chiffres, chacun y trouvera son compte. Le politologue Roland CAYROL rassure tout le monde dans Le Parisien de ce mercredi en expliquant : « La contradiction n’est qu’apparente. Il faut comprendre que les sondages ne sont pas comme des euros ou des kilos. Ce sont des chiffres entachés d’une marge d’erreur. Pour des candidats autour de 25%, cette marge est de deux points. C’est-à-dire que pour une intention de vote annoncée à 25%, la certitude, c’est que le candidat est entre 23 et 27% Les deux sondages TNS et Ifop sont dans cette marge d’erreur. Ce qu’il faut retenir, c’est que Nicolas Sarkozy et François Hollande sont dans un mouchoir de poche. Il faut attendre la réalisation d’autres sondages ». Alors attendons…
Demain, puis après-demain, puis après-après demain… Mais il y a d’autres chiffres. Qui valent ce qu’ils valent mais bon ! L’émission "Parole de candidat" avec Nicolas Sarkozy sur TF1 lundi dernier a réuni 4,6 millions de téléspectateurs, soit 19% de part d’audience, moins que la même émission avec Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon une semaine plus tôt, selon l’institut Médiamétrie. Le 5 mars, "Parole de candidat" avec les candidats du FN et du Front de gauche avait en effet rassemblé 4,8 millions de personnes, réalisant 19,8% de part d’audience. En clair, les candidats dont l’assise repose sur les classes les plus modestes, ont rassemblé plus que le président sortant. C’est intéressant et c’est peut-être ce qui explique la dérive de ce dernier qui entre le halal, l’immigration et la taxation saute sur tout ce qui passe. Et si l’on relit bien le discours de Grenoble (30 juillet 2010) par exemple, c’est la première fois que le candidat de l’UMP reprend le triptyque de l’idéologie lepéniste fondée en 1978 : immigration, insécurité, chômage. On a comme l’impression que le président picore de droite comme de gauche pour satisfaire un électorat populaire qui lui échappe. Jusqu’à cette incroyable gauchisation lundi soir sur TF1, dans l’émission Parole de candidat, où il a déclaré : « Je souhaite que la fiscalité et la nationalité soient désormais liées. (...) Tout exilé fiscal qui est parti à l’étranger dans le seul but d’échapper à l’impôt français devra déclarer à l’administration française ce qu’il a payé comme impôt à l’étranger. Et si c’est inférieur à ce qu’il aurait payé sur ses revenus de son capital en France, on lui fera payer la différence ».
Satisfaction ironique du candidat du front de gauche qui déclarait in petto : « Je triomphe ! (...) La richesse obscène des gavés n’est plus supportée ». Il y a du Jaurès dans cet homme là … Mazette ! Mélenchon-Sarkozy même combat ? Bizarre cette campagne, non ? Etonnante aussi cette proposition sur les accords de Schengen après avoir reproché à son principal adversaire de vouloir revenir sur le dernier traité européen qui n’est pas encore ratifié !
Au passage, relisons cette saillie délirante de celui qui a été nommé 12 septembre dernier, président de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, M. Arno Klarsfeld et qui a proposé du haut de ses patins à roulettes d’ériger un mur de 130 km entre la Grèce et la Turquie, sur le modèle de celui entre les Etats-Unis et le Mexique tout cela pour lutter contre l’immigration clandestine. Heureusement, il n’est pas encore Ministre des Affaires Etrangères ! Bien, tout est donc en place. Les impétrants se préparent pour la dernière ligne droite.
On a bien entendu encore eu droit au sempiternel psychodrame quinquennal de la candidate du Front National qui feignait de ne pas rassembler les parrainages requis. On a eu droit aussi à la résurrection d’un personnage incontournable du paysage politique, M. Jacques Cheminade qui se définit comme gaulliste de gauche et a dernièrement comparé la politique de Barak Obama à celle d’Hitler ! Tout ça pour dire que cette question des parrainages pose un réel problème de fond sur lequel presque tous les candidats ont promis de se pencher. Mais c’est vrai que l’on n’entendra peut-être pas la voix de Madame Lepage qui est sans doute la seule à parler vraiment d’écologie, les verts ayant déjà dans leur escarcelle les circonscriptions « dealées » avec le PS et qui, de toute façon, comme un avion sans ailes, peinent à décoller.
Peut-être n’entendrons-nous pas davantage le flamboyant M. de Villepin qui bien qu’ayant jeté toute rancune à la rivière, a tant de choses à dire. Nous n’entendrons pas non plus d’autres, inconnus dont les programmes doivent bien valoir celui de M. Cheminade. Ceci dit, on peut toujours se consoler en admirant le show de M. Borloo qui en bon radical veut bien se jeter à l’eau mais attend de s’assurer que la piscine est bien remplie et à bonne température ! M. Dupont-Aignan est lui, persuadé d’être sur écoute, c’est le mythe du complot… M. Poutou, du NPA ( ça veut dire Nouveau Parti anticapitaliste et non Nulle Part ailleurs, quoi que…) est aphone, Mlle Arthaud de Lutte Ouvrière tel un disque rayé sur le premier sillon nous donne du « Travailleuses, Travailleurs » comme au beau temps d’Arlette et François Bayrou qui, ni de droite ni de gauche mais du centre, attend de voir de quel côté tournera le coq, étant entendu que ce n’est pas la girouette qui tourne mais le vent comme le disait avec un cheveu sur la langue le fin, très fin Edgar Faure !
Et puis, il y a aussi les premières dames en place ou à venir. Parce que c’est important les premières dames ! Regardez le Fouquet’s ! C’est Cécilia qui avait tout organisé. Ben tiens… Pour la cuvée 2012, on a droit à une Valérie Trierweiler furieuse que son journal, Paris Match ait eu l’outrecuidance de la mettre à la Une de son dernier numéro. Et elle n’y va pas de main morte la compagne de François Hollande, journaliste politique au sein de Match depuis 1989 choquée par le poids de quelques photos. « Quel choc de se découvrir à la Une de son propre journal », a-t-elle réagi sur Twitter, ajoutant : « Colère de découvrir l’utilisation de photos sans mon accord ni même être prévenue ». Et de rajouter "Bravo à Paris Match pour son sexisme en cette journée des droits des femmes... Pensées à toutes les femmes en colère". Ce à quoi son employeur lui a répondu via le même canal : "C’est vrai, Valérie on n’a pas discuté avec toi de la couv’. C’est l’indépendance de Match. Tu es la mieux placée pour le comprendre". A priori, l’incident semble être clos.
On n’ira pas sur le pré pour en découdre ! Tout aussi en colère apparait Carla Bruni-Sarkozy qui accompagnant son candidat-président de mari sur le plateau de l’émission Des Paroles Et Des Actes sur France 2 a commencé par se plaindre : « Il fait un froid de gueux » s’est-elle exprimé. Sans doute pensait-elle à toutes celles et tous ceux qui dorment dehors. Un peu plus tard, devant un Henri Guaino consterné alors qu’elle voyait son époux mis en difficulté sur ses voyages et son goût du bling-bling, lâchait comme un cri du cœur émouvant : « Nous sommes des gens modestes ! ». Sans doute pensait-elle encore à toutes celles et tous ceux qui dorment dehors, sans doute pensait-elle aux salariés de Florange où l’espoir ne fait plus vivre, de Lejaby (pas ceux d’Yssingeaux sauvé par un des ses siens amis, M. LVMH), sans doute pensait-elle aux salariés de l’entreprise Caddy dans le Bas-Rhin. Mille.
Mille personnes se retrouvent chaque jour au chômage. Cela, on l’entend très peu dans la campagne. Je voudrais rassurer la glaciale et glacée interprète de l’inoubliable « quelqu’un m’a dit ». Vous avez raison Madame, pour être allé à France Télévision, il y souffle parfois des vents mauvais. Le service public n’est décidément plus ce qu’il était.
En fait, il faut tout regarder, tout écouter et tout lire ! A la télévision, sur les radios, dans les gazettes. Et c’est vrai que cette époque où l’on rase gratis, est propice aux promesses qui au fond, n’engagent que ceux qui veulent bien y croire. Et c’est vrai aussi que c’est le moment où l’on doit introduire un peu de rêve. Parce que l’être humain a besoin d’espoir même si les lendemains parfois déchantent et les soirs de fête, suivis de monumentales gueules de bois ! Mais tout de même ! Dire à une journaliste –de TF1 – qu’elle déchoit parce qu’elle a le culot de demander à un président candidat si oui ou non, il a reçu de l’argent de M. Kadhafi pour sa précédente élection, où va-t-on ? Aurait-elle dû soumettre ses questions avant l’émission ? Car sur le fond, qu’a-t-il été répondu à l’enquête du site Médiapart ? Un seul mot : grotesque. Je me souviens, c’était en septembre 2000. M. Chirac répondait par un tonitruant Abracadabrantesque à une question impertinente de la journaliste Elise Lucet qui le titillait sur le financement occulte du RPR. Il ya des rimes comme ça … qui restent. Quelque temps plus tard, le 14 juillet 2001 le même avait fait « Pschitt » en parlant de nombreux règlements en espèces apportés par ses chauffeurs pour acquitter les factures de vols et de séjours à l’étranger et en France, pour lui-même, son épouse, sa fille Claude, et plusieurs membres de son entourage direct. Finalement, le président Chirac finira par tomber pour l’affaire des emplois fictifs de la Ville de Paris. J’ai lu, l’article de Médiapart*. J’espère sincèrement que Fabrice ARFI et Karl LASKE, les deux rédacteurs se sont trompés. Voilà ce qui a focalisé l’attention ces derniers jours. On n’a guère parlé de Fukushima dont c’était le triste anniversaire, de la Syrie où l’on continue de tuer à tour de bras, de la Colombie où, depuis 1984, 2800 syndicalistes ont été assassinés soit une centaine par an !, de Allemagne, ce pays tant cité en exemple, où le syndicat des services Verdi a annoncé une deuxième vague de grèves dans la fonction publique dans les semaines à venir, plus dures que celles de la semaine dernière, sur fond de négociations salariales qui s’enlisent.
Mais personnellement, dans cette campagne j’aurai quand même appris une chose. Depuis des lustres, dans mon Auvergne de naissance, mes ancêtres, mes parents, mes grands-parents, moi-même comme complice en toute naïveté je l’avoue, je n’étais qu’un enfant-, comme Monsieur Jourdain faisait de la prose, avons fait du halal sans le savoir ! Des siècles durant nous avons tué le cochon - et on continue-en l’égorgeant. Les auvergnats ont fait du cochon halal, parvenant ainsi à l’universalisme non pas de la pensée - on laisse ceci à Blaise Pascal - mais de la gastronomie ! Du cochon halal ! Délicieux oxymore ! Je le recommande en saucisson, en jambon, en potée, en longe et en travers !
Laissons le mot de la fin à Alexandre Vialatte, écrivain auvergnat (ils sont partout les Auvergnats et quand il y en a plus d’un comme disait M. Hortefeux…), spécialiste -entre autre -de la pipistrelle, de l’élevage d’oxymorons, des volcans, du fond de l’air, de sa surface aussi… Alexandre concluait malicieusement toutes ces chroniques par cette phrase qu’on n’oserait peut-être pas publier aujourd’hui mais que je lui emprunte avec délice : « Et c’est ainsi qu’Allah est grand ».
Par Jean Pécari - Chronique du 13 mars 2012