Château de Montguerlhe - 1. Le chemin ancestral

Thiers - Montguerlhe : un chemin à remonter le temps
Nos grands axes routiers sont très souvent l’héritage d’un lointain passé. Ainsi la plupart des grandes voies que nous empruntons fréquemment ont été créées à l’époque romaine ou plus récemment durant le Moyen Âge. Clermont et Lyon, villes déjà conséquentes durant l’Antiquité, étaient reliées par un axe important. Au Moyen Age, cette route Clermont - Lyon passait par Thiers et de là, prenait la direction de Montguerlhe, puis Cervières et continuait ainsi jusqu’à Lyon.

Aujourd’hui, de nombreuses et profondes modifications ont eu lieu sur cet axe et de nouvelles voies sont apparues, comme la nationale N89 entre Thiers et Chabreloche. Il est possible de faire à pied une partie de ce chemin ancestral qui relia Thiers, ville importante et fortifiée, à Montguerlhe, château stratégique et mystérieux.
Prenons donc notre sac à dos, quittons notre société moderne et bruyante, et remontons le temps...

Le chemin ancestral

Thiers : le départ

Au Moyen Âge, Thiers était une étape incontournable pour les voyageurs et les marchands qui y séjournaient au moins une nuit avant de repartir pour Lyon, en passant par Montguerlhe et Cervières (afin de faciliter le suivi de l’itinéraire, voir la carte du tracé du chemin : fig. 1).

Dans divers numéros de la brochure « Le Pays Thiernois », il été question de l’existence de ces chemins au Moyen Age (10ème –15ème siècles), cependant il n’a jamais été prouvé qu’ils puissent remonter à l’époque romaine. Emettons toutefois l’hypothèse que les hommes, au Moyen Âge aient utilisé les voies existantes à leur époque, en l’occurrence les voies romaines, mais ceci n’est qu’une supposition.

Notre périple débute donc place Saint Genès, où se dressait jadis le château féodal (à l’endroit qu’occupe l’actuel palais de justice). Partant de ce lieu, le chemin empruntait alors la rue Durolle, prenait le pont de Seychalle et « tirait tout droit » en direction de la Vidalie, puis vers Pont - Bas et Dégoulat. De là, il montait jusqu’à « La Croix de Fer ». A cet endroit, le chemin médiéval avait un autre tracé qu’actuellement. En effet, il passait par le « Roc doz Quaire », un rocher situé au-dessus de Dégoulat, au croisement de trois routes : une première descendant à Dégoulat, une autre montant vers Les Mures et Pont Haut et une dernière partant sur Montguerlhe (voir brochures n° 3 et 4 du Pays Thiernois et Escotal n°2).
De ce carrefour, on peut rejoindre cent mètres plus bas le lieu-dit « La Croix de Fer » : on remarque, sur cette portion, que le chemin, partiellement débroussaillé, est bordé de chaque coté, entre Dégoulat et le « Roc doz Quaire » d’un mur en pierre.

La Croix de Fer - Madière

De la « Croix de Fer », après avoir longé le ruisseau, le chemin traverse la route goudronnée (quelques mètres après le lacet) et continue ainsi sur une centaine de mètres jusqu’au portail de la propriété des Bergerettes (le chemin initial se repère à une quinzaine de mètres du ruisseau, à gauche en montant). Ce tracé n’est plus praticable depuis longtemps et il faut alors suivre la route goudronnée. A partir d’ici, son tracé est plus flou. Etait-il celui de la route actuelle, passant à proximité des Bergerettes et de Madière avant de rejoindre la départementale 320 ? Ou était-il légèrement différent : passait-il par les Bergerettes, puis par Madière, villages existants déjà au Moyen Age et pouvant occasionnellement servir de gîte de fortune aux voyageurs ? Quel que soit l’un ou l’autre des tracés, nous arrivons, dans les deux cas au même endroit sur la départementale 320 (à la cote 697 de la carte IGN).

Un autre itinéraire plus récent, entre Pont Bas et Les Bergerettes, permettait également de se rendre à Montguerlhe et passait (comme l’atteste une carte postale du début du siècle) par la fameuse « Pierre qui danse ». Différent de celui emprunté au Moyen Age, ce chemin était au 18ème siècle la route royale de Lyon, permettant d’aller de Thiers à Montguerlhe. Vu la forte importance qu’eut le carrefour de la « Croix de Fer » au Moyen Âge, il est difficile d’imaginer que de ce point, le tracé redescendait sur la fameuse « Pierre qui danse » pour ensuite remonter sur Les Bergerettes.

Un chemin bordé de murs

Une fois la route départementale D320 traversée, le chemin à suivre se trouve face à nous, en direction de Vernières. Après avoir parcouru une centaine de mètres, nous prenons à droite, en direction de Fermouly. Sur 200 mètres environ, le chemin bordé par quelques pierres, est encaissé entre deux tertres. Certaines portions ont même l’air d’être empierrées : ce pavage est-il récent ou a-t-il l’âge du chemin ? Difficile de trancher…

Le chemin traverse ensuite une plantation de conifères. Si depuis le départ, aucun reste apparent n’atteste l’existence de cet axe de communication, il en va tout autrement à partir de cette plantation. En effet, des pierres taillées et des fondations en bon état ne laissent plus aucun doute sur la présence d’un mur en pierre (voir fig. 2-3).

A partir de ce point et jusqu’au château de Montguerlhe, des murs de pierres en plus ou moins bon état jalonnent l’itinéraire, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, tantôt des deux. Quelques petites portions sont néanmoins dépourvues de mur mais après une dizaine de mètres, on retrouve facilement notre fil d’Ariane. Ces murs datant probablement du Moyen Age, sont la preuve de l’authenticité du tracé du chemin certainement bordé de murs à partir de Thiers (mais ceux-ci ont disparu depuis).

Une halte au gros chêne

Après avoir traversé une plantation de résineux, longé un champ sur 200 mètres, nous arrivons à un petit carrefour : à notre droite un chemin forestier menant à Bouterige (ancien « chemin des Mulets »), à notre gauche un chemin traversant un champ en direction de la Grimardie, et tout droit la direction de Fermouly. Notons la présence d’un imposant monticule de pierres, vestige d’une maison qui s’appelait autrefois « Chez Piarrot » (voir Fig. 4).
A part ces tas de pierres, un « monument végétal » domine ce croisement. II s’agit d’un beau chêne pédonculé (Quercus Robur) d’une vingtaine de mètres de haut et de 4,9 mètres de circonférence (voir fig. 1-5). Cet arbre au tronc envahi par le lierre, possédant quelques branches mortes, doit avoir entre 150 et 200 ans et a sûrement connu le chemin avec une fréquentation plus importante. Peut-être a-t-il été planté ici volontairement pour marquer un carrefour autrefois très fréquenté ?

« Le hêtre de Montguerlhe » n’est plus

Avant de continuer notre route, il est bon de rendre hommage à un géant. En effet « le hêtre de Montguerlhe » (situé sur la route de Chapet au Péage : voir fig. 1) a disparu en avril 1999. Il s’est fendu de par le poids de la neige sur ses branches. Infesté par un champignon, il a donc été abattu et débité. Il était certainement un des plus gros hêtres de la région.
Pour mémoire, voici ses dimensions (pour plus de détails, voir brochure « Le Pays Thiernois » n°22) :
- Hauteur : environ 20 m
- Circonférence à 1,5 m du sol : 5,5 m (1,75 m de diamètre).
- Âge : environ 250 ans

Dans les années 1950, un autre hêtre remarquable se trouvait légèrement en dessous du hêtre cité ci-dessus, le long de la route menant à la Grimardie. Cet arbre, d’une taille colossale, a été abattu pour les besoins commerciaux d’une entreprise locale qui voulait faire la promotion d’une nouvelle tronçonneuse (quel gâchis !). D’après les dires, le « gros fayard » était bien plus imposant que le hêtre récemment disparu ; son exploitation ayant donné environ 80 stères de bois. On peut penser que cet arbre, âgé d’au moins trois siècles dépassait les 2 mètres de diamètre.

De la croix à Fermouly

Après avoir quitté le gros chêne, nous apercevons à une centaine de mètres la petite route goudronnée qui mène de Chapet à la Grimardie. Une croix en fer matérialise ce nouveau carrefour autrefois appelé Trévy de Chapet (acte de partage entre les consorts Guérin / sources Michel Sablonnière).

La croix actuelle, en fer, a été érigée en remplacement d’une ancienne croix en bois qui portait l’inscription d’une date (1750 ?).

De ce point, le chemin initial suivait certainement l’actuelle route goudronnée qui monte à la Grimardie pour ensuite prendre le chemin qui mène aujourd’hui aux ruines. De nos jours, il se dessine encore nettement sur la droite en montant jusqu’à l’ancien relais de poste (voir fig.1). Mais nous utiliserons un autre parcours plus intéressant.

Quant à nous, notre itinéraire nous conduit tout droit. Le vieux chemin perpendiculaire à la petite route goudronnée, menant autrefois à Vollore, est bien visible avec ses deux vestiges de murs de part et d’autre. Trop envahi par la végétation pour pouvoir l’emprunter, nous le contournerons par la droite sur environ une cinquantaine de mètres avant de le reprendre. Le mur de gauche, très envahi par la végétation luxuriante du coin, est en assez bon état sur 300 à 400 mètres et mesure parfois plus de deux mètres de haut.

Nous continuons donc à longer ce mur (quasiment intact sur une vingtaine de mètres) avant de bifurquer sur la gauche et emprunter un sentier qui devient alors plus étroit et plus pentu.

Au bout de 200 mètres, en entrant dans les plantations de conifères, on remarque sur la gauche un immense tas de pierres d’une vingtaine de mètres de long et plusieurs mètres de large, débordant même sur le sentier. Sûrement un tas formé par les générations de paysans qui, de tout temps, les ont apportés ici à chaque charruage et hersage (appelé localement « perrallié ») ou les restes d’une habitation.

Fermouly et ses fantômes

Continuons à suivre le chemin forestier, et... après une pente un peu raide, nous arrivons dans un hameau fantôme : Fermouly dont les ruines paraissent presque irréelles au milieu de la forêt (ce lieu étant une propriété privée, respectons-le !).

Néanmoins, attardons-nous un instant sur ce hameau constitué de quatre bâtiments distincts. Trois d’entre eux ont probablement été des bâtiments à usage agricole ; quant au quatrième (à usage d’habitation) il attire notre attention. En effet, celui-ci est constitué de deux parties distinctes, construites à deux époques différentes. Celle de gauche, avec des jambages de fenêtres en briques, est la plus récente ; celle de droite, la plus délabrée, est la plus intéressante car aussi la plus ancienne.

Un seul pan de mur reste debout mais quel spectacle ! Tout d’abord, à sa base, nous entrevoyons la partie supérieure d’une voûte entièrement comblée, faisant penser à l’entrée d’une cave. Au rez de chaussée se trouve une belle fenêtre avec un meneau vertical et des barreaux en fer tandis qu’à l’étage une autre, à meneau vertical et croisillon horizontal défie le temps (fig. 6). Ces deux fenêtres sont exceptionnelles car, vu leur style et leur forme, elles datent du 15ème siècle, voire du début du 16ème et ont donc entre 450 et 550 ans. Guillaume Revel, en réalisant l’armorial de Thiers vers 1450, en a représenté de semblables sur de nombreux édifices de son plan et notamment sur le château.
Ces deux fenêtres, autrefois image d’un certain pouvoir et d’une certaine richesse nous permettent de formuler deux hypothèses :
- ces fenêtres ont le même âge que la ferme et ont été installées lors de sa construction. Dans ce cas, la ferme de Fermouly, en ruine et oubliée de tous, a plus de 500 ans.
- ou bien ces fenêtres ont été rapportées à une époque beaucoup plus récente que le 15ème siècle (rajeunissant de ce fait considérablement notre ferme) et sont peut-être les restes (et quels restes !) du château de Montguerlhe : ceci laisserait penser que le château aurait été restauré au 15ème siècle (car sa construction initiale est beaucoup plus ancienne comme nous le verrons plus tard).

Une photographie de 1964 (voir fig. 7) nous montre la ferme de Fermouly en excellent état (celle-ci était encore habitable à la fin des années 60). Dans les années 20, seule existait la maison ancienne qui était alors composée de deux parties égales avec fenêtres à meneaux. La partie de gauche, avec jambages en briques, a été construite entre les deux guerres.

Avant de quitter ces troublantes ruines, on remarquera, en bordure du chemin, un conifère plutôt insolite, au tronc roux, mesurant une quinzaine de mètres de haut. Cet arbre, un Métaséquoia (Metasequoia glyptostroboides) qui vit naturellement en Chine, sur un territoire restreint dans la vallée du fleuve Yangzi, entre 700 et 1300 mètres d’altitude (Fermouly est à 790 m), perd ses aiguilles en automne. Découverte en 1944, cette espèce a été introduite en Europe en 1947. Nécessitant beaucoup d’eau, notre arbre se trouve à 3 ou 4 mètres de la source de Fermouly alimentant un bac en pierre. Tout semble réunit pour qu’il se sente bien !

Fermouly - Montguerlhe

Quittons Fermouly la tête pleine de pensées et continuons notre chemin en direction des ruines du château de Montguerlhe.

Après avoir marché sur 500 mètres environ, au travers de plantations de conifères, prenons à droite à l’intersection et longeons sur une centaine de mètres une parcelle déboisée, avant de prendre à gauche le chemin d’exploitation qui mène à la butte du château.

Avant de continuer, faisons une halte et posons le regard sur une autre curiosité : à une cinquantaine de mètres, sur la droite, un étrange amoncellement (d’un diamètre de 10 mètres environ) constitué d’une douzaine de grosses pierres, disposées en cercle autour d’un gros rocher affleurant le sol se dresse devant nous (voir fig. 8-36). Certaines d’entre elles sont plantées comme des menhirs. Sur l’une des pierres situées au centre de l’amoncellement, d’étranges raies (d’un à deux centimètres de profondeur) semblent former un dessin (voir fig.9).

L’érosion provoque des choses étranges mais une pensée peut nous effleurer :
- si des hommes les avaient placées ainsi pour on ne sait quelles raisons ?
- si ce lieu avait été utilisé par les hommes comme point de rassemblement ?
Toutefois, il est fort probable que cette curieuse disposition soit due à un phénomène naturel d’érosion. Le versant Sud du site de Montguerlhe possède de nombreux autres agencements de gros rochers rendant ce lieu très mystérieux.

En continuant le chemin tout proche qui va de la Grimardie à Escoutoux (via La Gonie), on trouve à 200 mètres de l’étrange amas de rochers cité ci-dessus, une mare à moitié comblée (voir fig. 36-48). Cette mare artificielle, parfaitement circulaire, d’une dizaine de mètres de diamètre est remplie d’eau en hiver ou lors de fortes pluies. Michel Sablonnière (qui l’a sondée) précise que sous la vase, le sol est dallé sur toute sa superficie. Nous voici donc en présence d’un bassin artificiel dallé, qu’on appelle localement « l’abreuvoir aux chevaux ». On peut aussi penser que ce point d’eau fut un abreuvoir à moutons comme ceux existant dans certaines régions où l’élevage est encore présent (Cévennes, plateaux des Causses...). La fouille de ce point d’eau serait à coup sûr enrichissante.

Ce chemin au tracé quasiment droit, est encore bordé d’énormes pierres (ce qui lui donne un aspect surnaturel au milieu de ces plantations de conifères) et est admirablement conservé entre Montguerlhe et la Gonie.

Montguerlhe fût un carrefour important au Moyen Age comme l’attestent les nombreuses citations faisant allusion à de multiples chemins : Thiers - Montguerlhe, Le Moutier - Montguerlhe, Les Belins - Montguerlhe, La Roche - Montguerlhe, Escoutoux - Montguerlhe, Vollore - Montguerlhe, Celles - Montguerlhe ...

La brochure Escotal n°2 nous indique la présence d’un nouveau chemin, au 15ème siècle, entre Thiers et Montguerlhe, passant par les Belins (ou du moins à proximité). Par contre aucune précision n’est apportée sur le tronçon les Belins - Montguerlhe : il est probable que cette voie ait recoupé l’ancien chemin aux environs du Faux Martel, Bel Air voire Rabissay et Chapet.
Mais revenons à notre château en remontant au sommet du plateau.

Laurent MOSNIER

La brochure éditée par Escotal sur "Le château de Montguerlhe" a 20 ans cette année 2020 ! Auteur : Laurent Mosnier. A suivre : autopsie d’une ruine.


Voir en ligne : Commander la brochure sur le site d’Escotal