Chansons patoises de la région de Thiers - avant-propos
Chansons patoises de la région de Thiers, recueillies par Alexandre Bigay. Première édition parue en 1926.
Nous diffuserons progressivement son contenu. Voici, en première partie, l’avant-propos.
Ce texte est remarquable à tous points de vue : A. Bigay, très intelligemment, rend hommage à cette langue patoise, qu’il s’efforce de transcrire à la lumière de son érudition latine ; il a tenu à marquer la spécificité de la langue régionale dans la prononciation, la conjugaison, la grammaire et se refuse à faire figurer des “s” ou des “x” qui indiquent des pluriels de mots français, JAMAIS prononcés en auvergnat ; Il tient à marquer la différence entre pronoms de la 1ère ou 3ème personne selon qu’ils sont employés au singulier ou au pluriel, alors qu’ils se prononcent de la même façon.
A Bigay a voulu donner aux textes une présentation cohérente, lisible , lui conférant le statut de langue auvergnate. Il en avait bien perçu la valeur et son travail savant est d’autant plus inestimable que sa formation classique le rendait plus familier des auteurs classiques. Mais A. Bigay aimait entendre parler auvergnat et cherchait à modéliser ce qu’il entendait, se faisant traduire ce qu’il ne comprenait pas et , comprenant la valeur de ce patrimoine populaire, a tenu à lui donner ses lettres de noblesse. Aujourd’hui, il est incontournable et a permis à d’autres , plus tardivement, de s’exprimer en patois, en auvergnat tout simplement.
Marie-France Bonnet
Avant-Propos
À l’heure actuelle, il est peu d’habitants de Thiers capables de chanter en entier une vieille chanson patoise du pays. Le nombre de ceux qui en gardent quelques-unes en mémoire se restreint à mesure que les anciens disparaissent, et l’on peut envisager le moment peu éloigné où ces ritournelles de jadis seront complètement oubliées. C’est pour tâcher d’éviter cet effacement total, que j’ai formé ce recueil avec celles d’entre-elles que j’ai pu me procurer.
La grande difficulté a été pour moi de les écrire.
Ceux qui dans ces dernières années ont cherché à fixer du patois sur le papier, se sont surtout préoccupés de la phonétique, sans souci de l’étymologie. Ce qui rend la lecture difficile, et parfois même le sens obscur.
À mon tour je ne prétends pas avoir orthographié exactement. Pour cela, il aurait fallu me livrer à de longues recherches linguistiques, que je n’avais ni le temps, ni les moyens de mener à bien.
Mais comme en général la plupart des mots dérivent du latin, j’ai pensé d’abord qu’il serait bon de prendre pour modèle la manière italienne. Puis, j’ai été affermi dans cette opinion en recopiant certaines de ces chansons, sur des manuscrits datant du milieu du siècle dernier. Il est probable que l’orthographe employée à cette époque, où l’on se servait encore peu du français, devait être beaucoup plus logique que celle dont se servent aujourd’hui ceux de nos contemporains qui écrivent en patois.
Or justement elle se rapproche de l’orthographe italienne, par les élisions de voyelles au commencement des mots, ainsi que par certains termes comme quel, quet, traduction des pronoms ce, cet, et qui viennent de la même racine que l’italien quello, questo.
Un autre point qui m’a confirmé dans la conviction que l’orthographe de ces vieilles chansons était bonne, c’est que j’y ai retrouvé l’emploi de l’h mouillé propre à l’Auvergne.
Le copiste du siècle dernier écrit le mot qui veut dire dans : dhin dont la prononciation devait se trouver entre dien et djin, comme l’orthographiaient ceux qui écrivent aujourd’hui en patois.
Cette prononciation de l’h est particulière à notre contrée, ainsi qu’en témoigne son emploi dans les noms propres d’hommes ou des villes, comme Lintillhac, Tournilhac, Soalhat, Marilhat, Lanthaume, Cunlhat, Paulhaguet, Polminhac, Golinhac, Maryinhac, Vernhes, etc. On trouve même dans certains vieux papiers, les mots Avernie et Auvergne écrits Avernhie et Auvernhe.
De nos jours, en beaucoup de cas, nhe est devenu gne, pour se conformer à l’usage répandu dans le reste de la France, mais cela n’empêche pas que cet h mouillé est tellement nécessaire, que si l’on ne l’emploie pas, il devient impossible d’orthographier certains mots, tels que par exemple : Montguerlhe.
J’ai donc cru bien faire en m’inspirant de ces données pour livrer ces chansons l’impression.
D’autre part, le patois faisant son pluriel en i en a et en ou, j’ai supprimé l’s et l’x marques du pluriel en français, et que beaucoup de patoisants conservaient à tort, selon moi.
C’est ainsi que j’écris : Là grôla (les corbeaux) et non les grôlas : lou usagi (les usages) et non lous usagis. Je n’ai conservé l’s que dans les mots communs aux deux langues comme par exemple le pronom vous.
De même pour éviter le confusion j’ai toujours écrit I : (je, nous) et Y (il, ils), iou (eux) et you (leurs), eyot (était) et ayot (avait).
Quant aux mots correspondants, aux mots français en aille, comme futaille, ripaille, mangeaille, afin d’éviter toute hésitation de prononciation, j’ai abandonné nettement l’orthographe française, et me suis serti du lh auvergnat. C’est ainsi que j’écris futalho (futaille) et non futaille qu’on pourrait être tenté de prononcer futeillo en patois.
Évidemment je donne mon système, sans y attacher plus d’importance qu’il n’en mérite, simplement pour expliquer ma manière d’écrire le patois, afin d’en faciliter la lecture, et je laisse à de plus qualifiés que moi, le soin de fixer des règles précises en cette manière.
D’ailleurs, l’intérêt de ces chansons pour tout bon Bitord, réside non en pas en leur orthographe mais en ce qu’elles disent.
Beaucoup d’entre-elles sont de vraies diatribes, quelques-unes sont grivoises, certaines chantent le vin et la ripaille, d’autres les divers métiers qui sont exercés ou s’exercent encore à Thiers.
Il y en a d’une crudité et d’une truculence telles qu’on croirait certaines pages de Rabelais.
Aucune de celles que j’ai pu recueillir ne parle d’amour pur. Pas d’élégie, pas de rêverie. Mais dans toutes il se glisse quelque trait de malice ou de satire.
À travers elles, les vieux Thiernois de jadis apparaissent profondément matérialistes, avec un goût prononcé pour souligner malignement les travers ou les infirmités de leurs contemporains.
D’où cela provient-il ?
Leur esprit réaliste les éloignait-il de la véritable poésie ? Ou bien leur langage rude et sonore se prête-t-il mal à l’expression de sentiments tendres et délicats ?
Peut-être y a-t-il de l’un et de l’autre.
Cependant, malgré tout, j’aime à croire que des chants d’un genre plus élevé ont existé, mais qu’ils se sont perdus, ou que je n’ai pas eu la chance de les trouver, car il est difficile d’admettre que le spectacle merveilleux offert en toute saison par la nature dans cette contrée pittoresque, n’ait jamais parlé au cœur des habitants, et que devant la splendeur souvent féérique des couchants, dont on jouit à Thiers, aucun des vieux Bitords n’ait jamais éprouvé le besoin de célébrer autre chose que les satisfactions des sens, les joies du ventre, ou les défauts de son voisin.
De ce que je n’ai rien trouvé de mieux il faut se garder de tirer une conclusion trop prompte.
D’autres, plus heureux que moi, dénicheront peut-être ces chants que je n’ai pu découvrir.
Alexandre Bigay
À suivre :
Chanson de Taillandier