Accueil > Sortir > Voir

Ce que j’appelle oubli

Un spectacle de Laurent Mauvignier, interprété par Jean-Benoît L’Héritier, au café Le Colibri, rue du Commerce, à Saint-Germain L’Herm, vendredi 5 mai 2023, à 20 h.

Renseignements au 04 73 82 61 90.

Jeu et mise en scène :
Jean-Benoit l’Héritier artiste associé à la compagnie la Trouée.

UNE HUMANITÉ

Sous la ligne claire d’un fait divers que des journalistes pourraient traiter de manière lapidaire, un SDF se fait casser la gueule à mort par les vigiles d’un supermarché où il a volé et bu une cannette de bière, Laurent Mauvignier déploie la toile fragile d’une pensée qui ne veut s’éteindre.
Si les faits sont nés d’un fait divers, survenu à Lyon, en décembre 2009 , dixit la quatrième de couverture, ils sont le socle ici du long soliloque éclairé adressé à un frère ; comment s’imaginer, comprendre ce meurtre ? Question que la fraternité amoureuse ne parviendra pas à résoudre, parce qu’il est vain de croire comprendre la violence du monde, alors l’esprit se raccroche au peu de mots qui lui restent, des mots et des mots encore pour éclairer la conscience, la maintenir en éveil, éviter l’oubli. Une seule phrase, pas de début ni de fin, mais une exigence à être, à se constituer témoin de ce à quoi la lucidité nous ordonne de faire face.
Le dispositif de narration est donc simple, un homme accompagne la douleur d’un frère, je te le dis à toi parce que tu es son frère et que je voudrais te réconforter comme lui aurais voulu le faire de temps en temps. C’est un jeu à multiples miroirs en fait, puisqu’ici toutes les fraternités sont possibles. En réalité, Mauvignier questionne une fraternité universelle. Comme dans une chanson réaliste, nous devenons frères de SDF, et c’est à notre humanité même qu’est fait appel.
Et l’auteur essaie encore de nous dessiller car face à la misère, tous ont baissé les yeux parce qu’ils ont du travail qui les attend ou un train à prendre (...) et aussi parce qu’ils espèrent échapper à leur misère, ce que j’appelle misère, à tous les malheurs quand sur le chemin c’est un type comme lui qu’ils croisent...

LES CORPS DU MONDE

tu culpabiliseras, pour un peu tu demanderais à ton patron qu’il t’excuse et tu reprocherais à ton frère d’être mort, c’est mon frère, il a encore fait une connerie...

Ce récit est une prise de con science des inégalités qui baignent dans le brouhaha de la marchandisation. Combien de bières vaut le corps d’un homme ? Ici le corps social est porté à une apogée de violence, conséquence sécuritaire d’une réalité néolibérale bien d’aujourd’hui. Le supermarché fait monde, une mondialisation de palettes et de boîtes de conserves, ici les mots viennent creuser la masse des corps, la chair toujours palpitante des vivants, parce que c’est aussi cela qui nous sauve de l’oubli.

...il s’est souvenu du papier peint avec les cerises rouges et de comment elles éclataient dans la nuit quand il rentrait chez lui à sept heures du matin...

Il y a chez Mauvignier un sentiment attaché à chaque objet, et chaque objet est un souvenir, une présence, une prise au corps. Ainsi le triptyque corps/objet/sentiment acquiert le pouvoir de défier la mort, parce qu’en fin de compte c’est bien de ça qu’il est question, défier la mort, encore et toujours.

SEUL EN SCÈNE

Nous sommes devant cette écriture contemporaine comme devant une véritable oeuvre classique, une tragédie, unité de temps, une phrase sans début ni fin, unité d’espace, une boîte crânienne, unité d’action, un combat contre l’oubli.
Dès les premières lignes nous savons que cet homme est mort et pourquoi. Il y a pourtant l’imaginaire du meurtre, on y assiste comme dans un polar, un mauvais polar, bien triste, et alors le texte bascule, tout enjeu disparu, que reste t-il donc à éprouver, entre le comédien et les spectateurs ? Et bien justement, ce qui fait l’impossible d’une vie, comprendre, la vie, l’amour, et l’espoir d’en vivre encore, du désir, de l’amour. Une ultime tentative de consolation.
Le fil tendu par Mauvignier est si mince qu’il demande simplement un corps, une voix, et une mise en scène aussi limpide que possible. Le parti pris étant de privilégier l’écoute. Le travail de répétition se focalisera d’abord sur le travail de la voix, pour envisager possiblement la création d’un décor, aussi simple et violent que la présence d’un mur de boîtes de conserves. Mais ici, la voix doit tenir seule et sans artifices.
Cette simplicité de mise en jeu permettra ainsi de jouer dans des lieux très divers, du théâtre à la salle de classe, de la médiathèque au fond possible d’une impasse.

LAURENT MAUVIGNIER

Tout à la fois romancier, essayiste et auteur de théâtre, Laurent Mauvignier déploie une langue dont la singularité pourrait être son oralité même. La parole reste chez lui d’une extrême concentration, comme une lame de couteau brillant sous un néon dans une cuisine, elle lui permet d’interroger les phénomènes du vivant à diverses échelles, la micro-société qu’est la famille (LOIN D’EUX, Les éditions de minuit, 1999), le fait divers en tant qu’il est un outil privilégié pour comprendre une société à un moment donné (HISTOIRE DE LA NUIT, Les éditions de minuit, 2020), les soubresauts de l’Histoire, en cela qu’elle fabrique les corps du présent (DES HOMMES, Les éditions de minuit, 2009, à propos de la guerre d’Algérie).
Il a reçu de nombreux prix.
CE QUE J’APPELLE OUBLI a reçu le prix des lycéens PACA 2012 et a été plusieurs fois monté au théâtre, notamment par Denis Podalydès aux Bouffes du Nord en 2016.

JEAN-BENOÎT L’HÉRITIER

Après des études aux Beaux-Arts de Clermont-Ferrand, c’est finalement vers le théâtre qu’il se porte grâce à des rencontres (Stages aux Fédérés), des amitiés, des amours de voyage (Sarah Kane montée en Serbie).
Il est costumier, décorateur, comédien pour des textes contemporains (Virginia Woolf, Joël Pommerat), metteur en scène, œil extérieur pour des écritures de plateau (Compagnie l’Enracinée), adore les textes classiques (Sophocle pour Brut de Béton, Shakespeare ou Tchekhov pour Urzula Mikos), parfois dramaturge. C’est en faisant avec les autres qu’on devient autodidacte.
Il a traversé les polémiques politiques du collectif (Les Permaloso), les joies d’être dirigé (compagnie Hors Champs), le bonheur d’être marionnettiste avec la compagnie la Trouée et maintenant il s’attaque au soliloque, trouvant encore une fois que dire "il" pour parler de "moi" est une bien étrange affaire. Aussi dans ce chemin faussement solitaire de CE QUE J’APPELLE OUBLI, il a bien l’intention de fabriquer de nouvelles rencontres, invoquer certainement les tu et les toi, pensant que définitivement, nous ne sommes pas faits pour être seuls.

COMPAGNIE LA TROUÉE

La compagnie la Trouée voit le jour en 2013. Elle est conduite artistiquement par Juliette Belliard, marionnettiste formée à l’école de Charleville-Mézières et Pierre Bernert, musicien et marionnettiste. Afin de poursuivre leurs expérimentations dans l’art de la marionnette, la trouée prend racine dans le Puy-de-Dôme, dont tous deux sont originaires.
Dans un questionnement sensible et moqueur sur l’humain et le monde contemporain, dans un esprit d’ouverture sur le fond et la forme, Juliette Belliard et Pierre Bernert souhaitent ainsi amener le théâtre, la marionnette et la musique partout et pour tous.
La compagnie fait appel à de nombreux artistes notamment Jean-Benoît L’héritier qui signe avec eux deux formes pour marionnettes, TOUT OU RIEN sur un texte de Thomas Bernhard et ATTENTION EXTRATERRESTRES sur un texte de Benoît Jacques.
Nous choisissons ici d’accompagner une mise en scène sans marionnette, porté par un artiste en qui nous faisons toute confiance, tant pour sa personne que son jeu d’acteur. Nous apportons ici notre soutien administratif, logistique et amical.

Plein tarif : 10 € - Tarif réduit : 5 € - Pass’médiathèques : 8 €.