Ce matin j’avais 12 ans
Ce matin au réveil j’avais 12 ans, la tête pleine d’envies, voir ou plutôt revoir des gens, des lieux, marcher, courir, sauter, grimper, dévaler les rues, d’une enjambée aller à Courpière. J’avais envie de revoir mes copains d’alors, de jouer avec eux, compter les billes que je leur avais gagnées. Parier avec eux les paris les plus excitants, marcher sur le parapet du pont, grimper au pylône électrique en ignorant les râteaux métalliques qui étaient censés nous en dissuader. C’était l’âge où l’on montait aux arbres pour en dénicher les oisillons, entourés par l’escadrille tournoyante de leurs parents affolés et agressifs, bec et ongles dehors, sans le moindre scrupule de notre part et bien sûr sans penser à mal. D’ailleurs les enfants souvent méchants par nature n’ont pas cette notion de culpabilité.
Que j’aimais ces jeudis après midi lorsqu’un abbé nous emmenait en balade dans le cadre du patronage. Que de fois nous sommes allés (toujours à pied) au barrage de Sauviat. Il me revient l’image de l’arrivée en surplomb au dessus de la retenue d’eau. Nous dévalions parmi les cascades de granit en nous retenant aux buis sauvages qui inondaient les lieux, à l’époque nous ne pouvions prévoir cette invraisemblable perspective qu’ils disparaîtraient totalement de ce site (et de bien d’autres !). En face, le petit village et ce qu’il reste du château médiéval. Le plus remarquable étant l’église : petit joyau gothique placé là par on ne sait quel prodige tant sa beauté est grande et si inattendue. On nous avait fait entrer à l’intérieur et à l’époque nous ne pouvions en apprécier la lumière à sa juste valeur car c’est bien de cela qu’il faut parler. La taille des verrières, c’est la démesure pour une église de village. Comment l’influence du nouvel art de bâtir alors a-t-elle pu autant se manifester ici ? Pénétrer en ce lieu, c’est ressentir cette impression de grandeur et d’élévation apportée par l’intensité de la lumière, ce que l’on ressent dans une cathédrale, une Sainte Chapelle (toutes proportions gardées). Dans notre région, nous sommes plus habitués aux massifs et sombres édifices romans, la différence en est d’autant plus frappante.
Pour rester dans le domaine (un peu) religieux, notre école organisait des sorties en autocar lors des congrès eucharistiques. C’était pour la plupart d’entre-nous une journée formidable. Nous apportions chacun notre petit viatique pour le repas de midi, invariablement c’était : œuf dur, pain, jambon beurre et banane, chocolat, l’eau étant fournie par l’école. Le souvenir le plus marquant pour moi est celui (toujours à cette occasion) du déplacement au congrès de Billom. Dés l’arrivée sur la place de la fontaine alors noire de monde, j’avais été ébloui par toute cette agitation et je n’avais d’yeux que pour les arcs de triomphe fleuris et les ‘’reposoirs’’ agrémentés de fleurs de tissus, de dentelles et de candélabres, disséminés sur les parcours que devait emprunter la toute prochaine procession. Je dois dire quand même que c’est la vue de la fontaine qui me ravit le plus au point que, descendu du marchepied de l’autobus, les yeux écarquillés et la bouche ouverte et ne prêtant pas du tout attention au départ de mon groupe je restai sur place, j’étais perdu !
Il me semble qu’une dame voyant mon émoi (je n’ai pas pleuré !) me prit en main et me conduisit vers un autre groupe de ‘’perdus’’ de mon âge) et nous restâmes ensemble jusqu’à la fin de l’après midi où l’on me ramena au maître et à la maîtresse pour le retour à Courpière. Ce jour là, pour moi, la spiritualité n’était pas du voyage ! Malgré tout, 70 ans plus tard je me souviens de l’anecdote.
Il y eut une autre sortie de fin d’année, juste avant les grandes vacances, elle nous conduisit de Courpière à Dorat et surtout à l’édifice majeur là aussi, c’est-à-dire l’église dite fortifiée. Dans les jours précédant ce déplacement on nous avait parlé grandement en classe des églises ‘’fortes’’, de défense des villages et des forts dans les temps anciens. C’est donc avec une idée préconçue que nous avions visité le site. Je dois dire que j’avais été très impressionné à l’époque en arrivant par le bas du tertre où est implantée l’église, j’imaginais voir le château fort primitif, deux tours rondes que je voyais crénelées en diable encadrant la porte, reliées par deux piles massives avec au sommet un arc en plein cintre, le tout surmonté d’un clocher carré avec son toit pointu. Là encore sur l’esplanade nous avions mangé nos œufs durs, prenant des forces pour l’assaut imminent de ce qui nous semblait une citadelle !
Il y eut aussi ce grand voyage à la Chaise Dieu et ces moments si agréables passés dans l’enceinte de la basilique, notamment dans la ‘’salle des échos’’ où dans le brouhaha causé par les 50 élèves surexcités qui criaillaient nous tentions vainement de correspondre ‘’en diagonale’’ avec nos copains. Le résultat n’était pas concluant mais ce fut pourtant un souvenir impérissable venu surtout de cette course dans la salle, de ces cris et de cette tentative de parler dans les coins, la tête coincée dans l’angle des murs.
Ce matin j’avais 12 ans, j’ai repensé à mon grand frère qui avait été appelé en Algérie lors des ‘‘événements’’ et qui était revenu au pays en permission après plusieurs mois de service militaire et d’absence. Le voir dans cet uniforme, dans cette couleur, sorti de ce que l’on appelle la vie civile me faisait voir en lui un frère changé, différent, ne disant pas tout ce qu’il aurait pu dire, d’ailleurs comme cela a été souvent le cas de la part de ces jeunes hommes, ils ont été
avares de récits de ce qu’ils avaient vu et vécu. Le plus triste pour moi était le départ pour Marseille pour embarquer sur le ‘’Ville d’Alger’’ après ces jours passés avec nous. Ma mère qui, sitôt que son grand fils avait tourné les talons, sanglotait sans se retourner vers mon petit frère et moi-même. La guerre ne grandit pas les êtres, elle les anéantit.
Ce matin j’avais 12 ans, c’est bien de faire un saut dans le temps, dans les souvenirs, qu’ils soient heureux et qu’ils restent alors instants durables ou malheureux, peut être est-ce désuet mais comme cela a déjà été dit, ‘’ le superflu est chose très nécessaire’’, c’est comme un feu et il ne faut pas le laisser s’éteindre. Peu me chaut si on me trouve brouillon, de passer du coq à l’âne, de mélanger les histoires, d’être souvent trop moraliste je dis (et j’écris) ce qui me passe par la tête ! Comprenne qui pourra !
C‘est curieux d’avoir 12 ans au réveil, ce devrait être au contraire en s’endormant, mais il est permis de rêver !
Jean-Paul Gouttefangeas