Bitords et bittons - LE BITTON

À lire précédemment Bitords et bittons - LE BITORD

LE BITTON

Le lecteur de ces lignes se sera déjà demandé pourquoi, puisque le mot « bitord » était un mot infamant, une insulte, les Thiernois sont si fiers d’être des bitords.
Tout simplement par substitution de nom.
Nous avons vu que le bitord était un petit câble servant à remorquer les trains de bois, les embarcations légères, et que par extension les forçats qui le tiraient étaient désignés sous ce même nom « bitords ».
L’autre extrémité de ce câble venait s’amarrer, s’attacher à une petite poutre posée verticalement à l’avant des embarcations.
Cette poutre c’était le bitton, et toujours par extension, le nautonier chargé de sa manœuvre était désigné sous ce même nom « bitton ».
Mais, tandis que le mot bitord était un terme de mépris, le bitton, au contraire, désignait l’homme affable, bon vivant, joyeux drille. On était heureux d’être appelé « bitton », c’est-à-dire homme serviable, aimé de tous.
Ces bittons, chefs de la navigation, toujours accompagnés de leur femme, les « bittounes », sillonnaient toutes les rivières de France et revenaient à Thiers, porteurs de nouvelles, de chansons ; ils rapportaient aussi des ports où ils avaient fait relâche, des produits exotiques qui attiraient la curiosité des Thiernois. Impatiemment attendus, puisque souvent ils rapportaient des produits de consommation, on se disputait à Thiers le plaisir de les avoir à sa table. Petit à petit, ce nom servit à désigner tout Thiernois bon, affable, rendant service à ses voisins.
Les siècles ont passé et avec eux est venu l’oubli. A Thiers, bitord et bittons furent confondus en un seul mot ayant la même signification.
Au XVIIIe siècle, la France fut sillonnée de grandes et magnifiques routes qui portèrent un coup fatal à la navigation fluviale. Le port de Thiers, qui n’était plus entretenu, s’ensabla peu à peu et redevint un marais. Un peu avant la Révolution, les Thiernois imaginèrent d’y établir une rizière ; le résultat ne répondit pas à leur espérance et, comme Thiers prenait chaque jour un plus grand développement, les déchets, les résidus de la ville, descendaient dans le marais qui, en temps de sécheresse, dégageait des odeurs pestilentielles et donnait naissance à des épidémies.
On décida de le combler, ne laissant subsister que le lit de la Durolle, tel que nous le voyons aujourd’hui.
Les forçats, bitords et bittons, disparurent ; mais, tandis que du nom bitton, il n’en resta pas même le souvenir, dans toute la région on continue à désigner les Thiernois sous le nom de bitords. Les Thiernois, braves gens, acceptèrent d’être des bitords, tout en donnant à ce dernier mot la signification de bitton, c’est-à-dire celle d’un homme bon, jovial, aimant à rendre service.
Je dois dire cependant, que dans le Puy-de-Dôme je retrouve des familles portant ce nom, Bitton ou Biton, et, sans vouloir être affirmatif faute de preuves, je reste persuadé que ces Bitton sont les descendants de l’homme des bois, chargé de la navigation aux siècles qui nous occupent.
Je crois que des recherches dans les anciens cadastres, dans les archives des paroisses, donneraient des résultats probants. Ces recherches devraient être effectuées dans toutes les villes (Thiers, Ambert, Maringues, etc.), situées sur les cours d’eau qui autrefois furent navigables. Mon grand âge ne me permet malheureusement pas de tels déplacements et je laisse à ceux que ce sujet peut intéresser, le soin de rechercher ces origines.
L’usage des noms de famille ne date guère que du XIII° siècle. Jusqu’alors, les noms de baptême existaient seuls. A cette époque, et évidemment aux siècles qui suivirent, on prit l’habitude de joindre au nom de baptême un qualificatif, surnom qui se tirait d’une particularité physique ou morale et qui resta patronymique.
L’historien Mézeray (1610-1683) nous dit :
« On doit remarquer que sur la fin du règne de Philippe-Auguste, qui mourut en 1223, les familles commencèrent à avoir des surnoms fixes et héréditaires ; les seigneurs les prenoient le plus souvent des terres qu’ils possédoient, les gens de lettre du lieu de leur naissance. Quant à ce qui a donné le nom aux roturiers, ça esté aux uns la couleur du poil, l’habitude ou les défauts du corps, aux autres le mestier ; mais pour la grande partie ça esté quelque soubriquet, qui a passé à leurs descendants. »
Il n’a pu en être autrement pour Bitton ou Biton, qui dans le courant des siècles est devenu un nom de famille. Ce nom, nous le retrouvons à Thiers.

À peu de distance du confluent de la Durolle et de la Dore, il existe une propriété, « Chez-Biton ». Ce « Chez-Biton » nous indique parfaitement qu’autrefois un Bitton fit construire cette demeure et lui donna son nom, devenu héréditaire, et cette situation à proximité des deux rivières nous indique aussi que c’est à cause de son métier qu’il avait choisi ce lieu pour y établir sa résidence.

À suivre : Bitords et bittons - L’HOMME DES BOIS.

L’intégralité du texte sur Gallica.
Illustration le port du Moutier de Geneanet.