BRUGIÈRE - BARONS DE BARANTE - vente aux enchères 2016

Du 23 au 25 mars dernier, 1350 lots de la bibliothèque du château de Barante – riche au XIXème siècle de quelque 60 000 ouvrages, ce qui en fit le fonds le plus important de France en mains privées- ont été mis aux enchères à Clermont-Ferrand. L’histoire de la famille de Barante est une histoire fascinante à laquelle, Georges Therre , professeur de Lettres en retraite et sans conteste le plus fin connaisseur de l’histoire thiernoise, a consacré une longue étude publiée par la Société des Études Locales de Thiers dans son bulletin N°54 de Janvier 2018. C’est cette saga que nous vous présentons au travers de huit portraits que nous publierons en plusieurs fois avec l’aimable autorisation de la SELT. Quatre textes suivront : le premier sur Barante au XXème siècle, le deuxième sur la bibliothèque du château, puis un texte sur les deux ventes aux enchères de 2016 et 2017, et enfin, le texte publié en introduction des trois superbes catalogues édités par l’étude de Maîtres Vassy et Jalenques, commissaires-priseurs à Clermont-Ferrand, qui ont procédé à la dernière vente, les 23, 24 et 25 mars 2021.

À lire précédemment : BRUGIÈRE - BARONS DE BARANTE - La bibliothèque de Barante

Les deux ventes aux enchères
Première partie - la vente de 2016

C’est avec émoi que les Thiernois ont appris la mise en vente, à Clermont-Ferrand, de la plus grande partie du mobilier du château de Barante, programmée le 5 novembre 2016. Les jours qui précèdent, le public est admis à la salle des ventes, 19, rue des Salins, où sont exposés les 325 lots. Un superbe catalogue illustré en couleurs, de 80 pages, les détaille de façon méticuleuse. Meubles, tableaux, dessins, argenterie, miniatures, décorations. Les commissaires-priseurs papillonnent dans la salle. La liberté règne. Des marchands soulèvent d’énormes vases pour mieux voir le dessous. Un membre du personnel décrit au téléphone tous les défauts d’un meuble d’assez belle allure pour le profane. Des œuvres qu’on disait de CARRACHE, de Salvator ROSA sont dits prudemment "école de...". De l’argent massif, et aussi du métal argenté. Beaucoup de dessins anciens n’échappent pas aux rousseurs, pliures, manques. Un dessin au crayons noir qu’on croyait représenter Antoine II BRUGIÈRE, par Robert NANTEUIL (1623-1678) est en fait celui d’un étranger à la famille. Des décorations émaillées en mettent plein la vue. Des spécialistes, penchés sur les vitrines, leur trouvent des défauts, des fentes.
On en arrive à craindre que ce que nous avons admiré religieusement dans le cadre du château soit livré en pâture au mépris de professionnels ultra-pointilleux.
Arrive le jour de la vente, qui se déroule de 14h30 à 20h30. La salle est pleine, des gens sont debout au fond. C’est un spectacle vivant avec ses acteurs, le commissaire-priseur qui plaisante volontiers, les experts en dessins, les fils du réputé DE BAYSER, qui ont peur de manquer le train de Paris dans l’après-midi, les employés qui promènent les lots transportables, les antiquaires et leurs bâtons numérotés, les amateurs, les curieux. Six heures, ça passe vite, mais c’est tout de même long, les gens se lèvent, vont aux toilettes, reviennent. L’atmosphère n’a pas complètement changé depuis le temps où Me BAÏF, voici quelques décennies, tenait le marteau d’ivoire dans les mêmes lieux. Même mélange de sérieux et de bonhomie. Hésitations, emballement des enchères. Deux lots seulement sont retirés de la vente, faute d’amateurs.

M° VASSY et les experts devant le portrait de Prosper.

Ce qui a complètement changé, c’est la communication. À gauche, debout, le commissaire-priseur. Au milieu, sous le portrait de Prosper de Barante peint par GIRODET, un véritable orchestre symphonique : en haut, les experts, plus bas, une nuée d’assistants les yeux sur leur ordinateur, ou le téléphone à l’oreille. Ça parle autant anglais que français.

À droite, en hauteur, un écran affiche le numéro du lot, et les chiffres des enchères de seconde en seconde. Clarté, efficacité.
Les spectateurs ont le nez sur leur catalogue, les yeux sur l’estrade. On reste baba sur les estimations, parfois ridiculeusement basses. Une ruse pour appâter les clients ? Ou une méconnaissance de la qualité ou la valeur historique ? Ou les deux ?
En principe, rien de spécifiquement thiernois dans les lots. Mais il est des observateurs très perspicaces. Le lot 79 est intitulé sobrement :"J. RÉGNIER 1787-1860. Deux vues d’un château sur un même montage. Lavis brun sur traits de crayon noir. Signé, daté 1827. 9,5 x 15,6 cm chacune". Le château anonyme, les Thiernois l’ont reconnu : Barante avant l’incendie de 1842. Les lithographes ENGELMANN et CHAMPIN en ont tiré une gravure. Mme GIRAUD conservait beaucoup d’exemplaires d’une carte postale la reproduisant, qu’elle offrait à quelques heureux élus. Estimation 150/200 €. Un thiernois l’emporte pour 1 100 €.
Ce n’est rien à côté des dessins anciens. Une étude d’homme nu de FRA BARTOLOMMEO, estimé 50/60 000 € atteint 86 000 €, tout de même 104 060 € avec les frais à 21 % ! Un homme assis d’Annibal CARRACHE, couvert de rousseurs : 16 000 €. Un paysage presque effacé de FRAGONARD : 9 000 €.

Cela fend le cœur des visiteurs du château de voir vendus à l’encan les trois grands portraits de famille qu’on voyait dans les appartements : celui du préfet de Léman 114 x 87 cm, plutôt officiel et austère, estimé 40/60 000 € atteint péniblement 22 000 €. Mais celui de Prosper par GIRODET, 61 x 51 cm, estimé seulement à 30/40 000 €, 1814, part à 64 000 €, et il est tout de suite préempté par l’État, qui le destine au Musée Quilliot de Clermont, sous les applaudissements du public. Reste celui de Césarine, 193,5 cm x 143 cm, 1818, par une femme artiste un peu moins connue, Louise BOUTEILLER. C’est celui qui nous a tous rendus amoureux de la baronne. La jeune femme, assise dans un décor exotique, un madras créole enserrant ses cheveux, lève les yeux rêveusement du livre Paul et Virginie ouvert sur ses genoux. C’est le rappel de l’enfance heureuse aux Pamplemousses. Malgré les dimensions et le talent, il ne dépasse guère l’estimation du portrait de son époux, 40/60 000 €. Mais les enchérisseurs ne s’y sont pas trompés : adjugé 75 000 €. L’estimation d’un buste en marbre de Carrare de la baronne, aussi beau que les meilleurs CANOVA, mais anonyme et restauré, paraît scandaleuse 600/800 €. Mais le charme de Césarine a joué : 17 000 €. Celle-ci avait elle-même un talent certain de dessinatrice. On lui doit un ensemble de 30 portraits en deux encadrements : 98 x 118 cm, fins et discrètement coloriés, qui sont un souvenir de ses fréquentations en Russie. L’estimation laisse pantois : 4 000/6 000 € le tout. À l’arrivée, 41 000 €.
Le livre d’or de Barante, en deux volumes, comportant de 1822 à 1922 les signatures de nombreux princes et de LYAUTEY, document familial s’il en est, est estimé 150/200 €. On dit que des parents de barons sont présents dans la salle. Ont-ils eu les moyens de les acquérir à 8 500 € ?

Une des plus grosses surprises concerne un jeu d’échecs, qui a laissé perplexes les experts. Pas même photographié dans le catalogue, c’est un "jeu d’échecs en os, le damier en incrustation (accidents à deux pièces sur les trente-deux, accidents et marques au damier), 400/600 €". Il faut croire que certains spectateurs avaient une petite idée de son origine et de son intérêt, car il s’est envolé en trois minutes à 27 000 € !

Terminons aves les Russes, représentés par un jeune courtier, russe ou à leur service. La chute du régime soviétique fait des heureux à Barante. Elle a fait naître une caste d’entrepreneurs férus du tsarisme. STALINE n’aurait pas donné un kopeck de deux masques mortuaires en bronze, peu avenants, Pierre le Grand et Charles XII, estimés les 2 à 800 €. Le second est suédois, 1 100 €. L’autre est un grand Russe, et ce sont des cadeaux de Nicolas Ier à Prosper : 14 000 €.

Le bloc de malachite.

On admirait à Barante un bloc de malachite de 18 kg, laissé brut en partie, une facette polie laissant admirer les volutes vertes du minéral. De 200/400 € on passe à 10 500 €. C’est aussi un cadeau du Tsar. Prosper a été décoré de la Croix de 1ère classe de l’ordre de Saint Alexandre NEVSKY par le Tsar : l’objet, purement honorifique, atteint 59 000 €.

On peut regretter que l’État n’ait pas préempté davantage de belles pièces historiques ou artistiques. La ville de Thiers ne semble pas avoir les moyens d’en conserver. Le Musée de la Coutellerie ne pouvait être intéressé par la ménagère CHRISTOFLE d’une centaine de pièces en métal argenté (720 €). L’autre ménagère, de PUYFORCAT, 312 pièces en argent massif, aux armes de Barante, était plus séduisante. Mais elle a tout de même atteint 14 000 €. Pauvres quidams, nous nous contenterons du catalogue au prix dérisoire de 5 €, dont les belles photos entretiendront notre nostalgie.

Georges Therre

À suivre : Les deux ventes aux enchères - Deuxième partie - la vente de 2017.