BRUGIÈRE - BARONS DE BARANTE - Une famille thiernoise et son fief

Du 23 au 25 mars dernier, 1350 lots de la bibliothèque du château de Barante – riche au XIXème siècle de quelque 60 000 ouvrages, ce qui en fit le fonds le plus important de France en mains privées- ont été mis aux enchères à Clermont-Ferrand. L’histoire de la famille de Barante est une histoire fascinante à laquelle, Georges Therre , professeur de Lettres en retraite et sans conteste le plus fin connaisseur de l’histoire thiernoise, a consacré une longue étude publiée par la Société des Études Locales de Thiers dans son bulletin N°54 de Janvier 2018. C’est cette saga que nous vous présentons au travers de huit portraits que nous publierons en plusieurs fois avec l’aimable autorisation de la SELT. Quatre textes suivront : le premier sur Barante au XXème siècle, le deuxième sur la bibliothèque du château, puis un texte sur les deux ventes aux enchères de 2016 et 2017, et enfin, le texte publié en introduction des trois superbes catalogues édités par l’étude de Maîtres Vassy et Jalenques, commissaires priseurs à Clermont-Ferrand, qui ont procédé à la dernière vente, les 23, 24 et 25 mars 2021.

Une famille thiernoise et son fief, BARANTE

Du XVII° au XX° siècle, la famille BRUGIÈRE, bientôt dite de BARANTE, a accumulé un patrimoine mobilier et culturel considérable. Le début du XXI° siècle aura vu la dispersion d’une partie importante de cet ensemble, en deux ventes aux enchères, 2016 et 2017. La population thiernoise a suivi avec attention et estime l’ascension de cette famille à travers les temps, et c’est avec émoi qu’elle a vécu cet épilogue.
La documentation rassemblée par les BRUGIÈRE, eux-mêmes et par de nombreux témoins ou historiens extérieurs a fasciné nos compatriotes du XIX° et du XX° siècle. On peut juger utile d’en donner un aperçu aux générations actuelles qui pourraient s’étonner de cette renommée, et la laisser sombrer dans un relatif oubli.
Il paraît bon d’évoquer le passé de la terre de BARANTE, avant et pendant la présence des BRUGIÈRE. Après avoir envisagé l’arrivée des BRUGIÈRE sur le domaine, nous avons choisi de faire revivre huit figures marquantes de la famille, tout en étant conscient que de nombreux autres personnages mériteraient aussi une étude qui ne serait pas sans intérêt.
Puis arrivons au vingtième siècle, où les mémoires encore vives et les témoignages personnels donnent une idée de la façon dont étaient perçus le château et ses résidents à travers quelques-unes de leur tribulations.
Enfin, ceux qui n’ont pu suivre de près la dispersion récente de nombreux meubles, tableaux, livres à Clermont-Ferrand pourront bénéficier des souvenirs certes fragmentaires mais précis d’un témoin attentif.


Le château de Barante en 1827

Le domaine de BARANTE

Il s’étend sur la paroisse de DORAT, tout proche de Thiers. Comment l’abbé et les religieux du Moutier ont-ils été mis en possession de ce fief ? C’est dans les titres de l’abbaye que nous relevons l’hommage rendu par la veuve de Guy de la GRAULIÈRE et sa fille Isabelle en 1349, pour les cens qu’elles ont le droit de lever sur cette terre. En 1533, c’est une propriété du notaire thiernois Genès DESAIGNES, puis de son fils François, châtelain de Thiers en 1570. Deux mariages apportent le domaine d’abord à l’écuyer Claude BACHELIER en 1602, puis à l’écuyer Jacques de SARRAZIN en 1626. Celui-ci est vendu le 7 septembre 1627 à Antoine BRUGIÈRE, époux de Marie BODIMENT, "marchant bourgeois en la ville de Thiers". En voici la description d’alors : "une maison, une grange, colombier, prés, terre, jardin, vergers, chenevieres, garennes, vigne, pasquiers, bois et estangs". Pas de château encore, mais le fief, dès l’entrée des BRUGIÈRE jusqu’au XVIII° siècle, est dans la mouvance directe de la baronnie de Thiers. Celle-ci passe de Marie de BOURBON, épouse de Gaston d’Orléans, à la Grande Mademoiselle, puis à LAUZUN et au financier CROZAT.


Le grand salon. À gauche, le portrait de Césarine aux Pamplemousses

Les BRUGIÈRE couteliers

Le premier connu, Loys BRUGIÈRE, maître coutelier, est établi en 1534 à Thiers, rue Conchette. On croit savoir qu’il résidait à l’actuel n° 10 de cette rue ; dans maison donnant sur la cour, à l’arrière de l’hôtel particulier habité plus tard par Alexandre BIGAY. Celui-ci ne semble pas l’avoir su, bien qu’il se soit interrogé sur le passé de cette propriété, il n’en a jamais fait état.
Loys avait au moins deux fils, Georges, maître coutelier, mort vers 1585, père d’Antoine dont une petite-fille, Jeanne BRUGIÈRE, épousa noble Brémond PASCAL. Celui-ci était fils de Martin PASCAL, Trésorier général de France en la généralité d’Auvergne à Riom.
Titre considérable, mais pour nous, moins prestigieux qu’un autre : oncle du grand écrivain et savant Blaise PASCAL. Dès cette époque, nous ne cesserons de découvrir des liens entre les BRUGIÈRE et les célébrités du monde.
Le deuxième fils est Loys BRUGIÈRE, mort avant 1602, époux de Marguerite FEDICT. Ce marchand eut cinq enfants, dont deux fils, Jean, dont la fille Marie-Belotte (1625 ? - 1699) fit enregistrer à l’Armorial de 1696 les premières armoiries connues de la famille BRUGIÈRE. N’y voyons pas une vanité de parvenu : Louis XIV, pour renflouer ses caisses, obligea toutes les familles honorables du royaume à se trouver cette année-là un blason contre espèces sonnantes et trébuchantes. L’autre fils est Antoine BRUGIÈRE (1585 - 1630 ?), l’acquéreur de Barante.

Tout porte à croire que le seizième siècle fut une période décisive pour l’essor de l’industrie et du commerce thiernois. C’est le temps où les familles OSSANDON, FÉDIT, TOLIER, BERAULT, NEVREZÉ entretiennent des relations internationales et incarnent la caste dynamique des "Marchands bourgeois" de Thiers. C’est dans cette lignée que les BRUGIÈRE passent du statut de maîtres couteliers à celui de marchands. Ceux-ci ne se cantonnent pas à la coutellerie, mais aussi bien à la papeterie, aux cartes à jouer, au fil, au cuir, et à tout ce qui peut s’acheter et se vendre.

Georges Therre

Lire la suite : BRUGIÈRE - BARONS DE BARANTE - portraits I.