Avec vue sur la cathédrale de Clermont

C’est depuis Thiers et des montagnes du Livradois Forez que l’on jouit de la plus belle (et plus lointaine) vue d’ensemble sur Clermont (hormis bien sûr depuis la descente du puy de Dôme). Le fanion qui s’aperçoit d’aussi loin, masse brune pointue dominant la ville, c’est la cathédrale.

Mais c’est de la cathédrale en général que je souhaite vous parler, même si au cours de mon propos je reviens à notre ‘’ cathédrale des charbonniers ‘’, ce sera donc un récit sans plan, je crois que j’ai tout oublié de ce que l’on m’a enseigné à l’école !

C’est connu, la cathédrale peut-être couverte de plomb, de cuivre ou sommée d’une ou plusieurs sphères à la manière orientale ou bien encore de lanternes semblables aux godets de verre des lustres de mosquée, c’est-à-dire byzantine, qu’elle se nomme sainte Sophie (enfin autrefois), saint Marc, ou tout simplement Notre-Dame, qu’elle soit précédée d’un parvis de pierre, ou non, avec des emmarchements comme au PUY et à Clermont ou encore posée sur une pelouse comme à Pise, la cathédrale romane ou gothique est toujours l’Eglise-Mère. Elle fait partie de ce groupe de monuments divins qui flottent entre terre et ciel, symbolisant l’élan mystique des chrétiens de la grande famille d’Occident vers le Très Haut et ce, dans presque toute l’ancienne Europe. Pour ce qui est de l’élan gothique, nous connaissons bien le berceau de cet art si noble, il réside entre Somme et Oise, là où quelques rivières délimitent un petit territoire au doux nom d’Ile de France ! Cette lignée si féconde engendra les plus belles réalisations gothiques et ce rayonnement dura 400 ans. La cathédrale gothique c’est une image de la France et peut-être parmi les plus belles !

Elle tenait dans l’histoire de notre pays la même place qu’elle occupe aujourd’hui dans son paysage. Elle est une forme matérielle de la pensée spirituelle et pas seulement pour nous, Français, mais pour tous les hommes en quête d’absolu. Parler de la cathédrale, c’est parler de la grandeur de la France, car ces formes de nefs, de tours, de vitraux, de parvis et de flèches, ce sont des signes d’une grande spiritualité.

La cathédrale du temps de saint Louis est une des plus belles choses que la France ait produite de main d’homme. Ces bâtisseurs, si chers encore au coeur des générations suivantes construisirent en eux-mêmes un suprême édifice de Foi, ils portaient dans leur âme le trésor des plus profondes pensées. C’est dans cette construction sublime que nos pères ont déposé leurs inébranlables convictions et peut-être le sens de nos destinées, un grand nombre des idées que nous nous faisons au fond de nous-mêmes de la terre et du Ciel. Ces maîtres bâtisseurs nous ont rendu nos titres et c’est à nous encore en ce siècle de redécouvrir la plus haute image que nous puissions nous faire de nous-mêmes en perfectionnant cette ressemblance perdue du Divin. La cathédrale est le grand témoin de nos vies passées, elle a vu défiler à ses pieds toute notre histoire et, sous ses voûtes, écouté l’ardente prière d’un peuple en quête parfois d un élan vers l’infini, c’est sans nul doute ce qui a contribué à en élever la hauteur.

J’ai nommé Louis IX (qui deviendra Saint Louis) tout à l’heure, il faut se souvenir qu’il vint deux fois à Clermont, la première (huit ans auparavant)de retour de Terre Sainte, il rendit visite à son frère le comte d’Auvergne durant trois jours, la deuxième c’était pour marier son fils ainé Philippe, celui qui deviendra roi lui aussi : « le Hardi » à Isabelle d’Aragon en ce 28 mai 1262. La cathédrale ne
devait pourtant pas être encore en état pour cette fastueuse et somptueuse cérémonie, seuls quelques murs et quelques piliers étaient sortis de terre, puisqu’elle avait été mise en chantier en 1248, mais ce mariage eut peut-être lieu ailleurs dans la cité : N. D. du Port. La pauvre reine mourra dans un accident de la circulation neuf ans plus tard (chute de cheval) en 1271 non sans avoir donné auparavant un héritier à la France : Philippe dit ‘’ le Bel ‘’. Mais pourquoi me direz-voir avoir choisi Clermont pour ces épousailles ? Mais tout simplement par mesure d’économie, la cité arverne étant (à peu près) à mi-chemin entre Madrid et Paris. Les prix des transports donnaient déjà à réfléchir ! Pourtant le roi disposait de quelques moyens, ne se faisant pas tirer l’oreille pour faire choir de sa bourse une somme rondelette pour les travaux en cours, dotant même l’édifice de plusieurs vitraux conçus par le maître verrier qui avait oeuvré à la Sainte Chapelle de Paris.

Ne nous y trompons pas, cette fameuse cathédrale dont nous parlons faisait suite à plusieurs autres bâtiments. Songez, deux sanctuaires préromans s’étaient succédés à cet emplacement, ils contenaient peut-être déjà dans une confession les reliques de saint Vital et saint Agricol (morts en 304 sous Dioclétien) que fit venir à grand prix de Ravenne le constructeur de la cathédrale l’évêque NAMATIUS au Ve, s. Ce ‘’ merveilleux édifice aux 70 colonnes ! ‘’, ce n’est pas moi qui le dis, c’est Grégoire de TOURS. Ce cinquième siècle c’est celui de Sidoine APOLLINAIRE, qui fut évêque durant 15 ans et aussi le grand témoin de son temps : préfet et sénateur de Rome. Le peuple des Arvernes n’eut qu’à se louer d’avoir dans ses murs le gendre d’AVITUS, futur empereur romain, même si ce ne fut que pour une année et un des derniers ! Augustonetum (Clermont)s’en porta sûrement mieux (il sera même un temps évêque de Plaisance). C’est par cette prestigieuse union avec Papianelle que notre poète évêque Apollinaire reçut en dot sa propriété d’Aydat (Avitacum), villa, lac et terres. Quant à l’empereur qui avait été proclamé en Arles en 455, il serait peut-être enterré quelque part sous le beau sol de l’église de Brioude.

Et l’histoire de la cathédrale dans tout ça ? Elle se poursuit. Pépin (brièvement !) la détruit en 760. Sous le règne de Charlemagne nous avons la trace d’une châsse d’or (datée de 786) offerte par l’évêque Haddebert (qui fit reconstruire la cathédrale en 768) pour recueillir les reliques des deux martyrs (celle-ci a été fondue lors de la Révolution). La ville et les églises carolingiennes sont détruites à plusieurs reprises par les Normands en 862, 915 et 923. Tout est détruit, qu’à cela ne tienne, un splendide édifice est à nouveau construit vers 946. L’abbé SUGER (qui fit construire la basilique de Saint-Denis) s’intéresse à la cathédrale de Clermont, voulant lui redonner un certain lustre, il est possible en effet que durant un temps (durant les destructions), le siège épiscopal ait été déplacé à N. D. du Port. Enfin, nous arrivons à la cathédrale (enfin achevée) que nous connaissons, ce fut une histoire de longue haleine quand on sait que, commencée en 1248, elle sera terminée au début du XXe. s. Ce dernier aménagement sera la création des emmarchements face à la rue des Gras et pour ce faire, on démolira la maison natale de Blaise Pascal. La façade occidentale fut donc achevée en 1884 par un élève de Viollet-le-Duc. C’est difficile à imaginer, mais sous la Seconde République (en 1851) les Clermontois passaient devant une façade romane puisqu’elle fut abattue, cette année là. En 1866 redémarrèrent des travaux d’achèvement dans plusieurs parties de l’édifice.

La grande église en pierre de Volvic (trachy-andésite), unique dans cette pierre, Notre Dame de l’Assomption, malgré tous les assauts des hommes et du temps s’est maintenue (en tant que présence matérielle), le tremblement de terre de 1490 qui fit beaucoup de dégâts en Auvergne (à Mozac entre autres) ne parvint pas à l’abattre, même si l’on peut en voir de nos jours quelques traces (portail sud). Puisque je parle de traces, sur la façade d’une maison de la rue Fontgiève est incluse une partie du jubé de la cathédrale. Mais que d’événements dans et autour de la cathédrale en 1500 ans d’histoire, que d’officiants et de visiteurs, célèbres et inconnus ! Elle a été durant tout le Moyen-Âge la maison du peuple, lieu de prière, de passage, de réunion et d’évènements. Elle a accueilli le Pape Urbain II venu prêcher la première Croisade, des mariés célèbres et d’autres beaucoup moins, Chateaubriand qui au cours de ses ‘’ 5 jours en Auvergne ‘’ en 1838 en décrivit l’intérieur : ‘’ la voûte en ogive de la cathédrale de Clermont est soutenue par des piliers si déliés qu’ils sont effrayants à l’oeil : c’est à croire que la voûte va fondre sur votre tête ‘’. Et le beau-frère de Blaise Pascal qui n’hésita pas à monter sur les terrasses pour poursuivre ses travaux sur la pression atmosphérique, entrepris au sommet du puy de Dôme. Le compositeur musicien Jean Philippe Rameau (1683-1764) fut l’organiste officiel durant deux périodes. La cathédrale devint-elle un Temple de la Raison, je ne saurais l’affirmer malgré l’inscription que l’on peut toujours lire au fronton du portail nord : ‘’culte de la Raison et de l’Etre Suprême ‘’, cette fête révolutionnaire eut bien lieu à Clermont le 8 juin 1794, mais peut-être sur la place de Jaude (là où l’on brûla la si fameuse et renommée Vierge assise qui habitait dans sa maison (la cathédrale) depuis plus de 1000 ans) . De cette période, nous sommes certains d’une chose, c’est que la cathédrale jugée utile, servant de lieu de réunion, de tour de surveillance et d’horloge pour le confort du plus grand nombre ne fut pas démolie !

Il arrive parfois que la cathédrale brûle, elle est alors comme un cygne blessé mais elle n’est pas morte : ‘’STABAT MATER’’ (la Mère se tenait debout) nous la soignons, nous la guérirons, ses grandes ailes que sont ses contreforts la maintiennent toujours debout, sa flèche, comme un cou majestueux, un jour à Paris, se redéploiera et sa façade hiératique et somptueuse continuera de parler et d’enseigner aux foules (même si elles ne sont pas toutes là pour la même raison ! ) parce que c’est sa mission. La haute silhouette, même meurtrie, de Notre Dame, que l’on voit flotter au dessus des toits de la capitale, doit nous faire espérer et comprendre comment l’homme, de ses mains, peut aussi honorer et ennoblir la terre.

Je vais conclure ces quelques lignes sur ce sujet qui me passionne, car je suis heureux de croire qu’il est des lieux nimbés de mystères et de symboles, des lieux sacrés sur lesquels pèse une hérédité de joie et de paix, des lieux soumis à une aura et à une domination mystique ; la cathédrale est de ceux-là !
Quelques vers d’un poète oublié : Charles de Pomairols, il avait contribué en 1908 à la fondation de la revue ‘’ La Veillée d’Auvergne ‘’.

‘’ Toi tu te cachais dans l’obscure maison
Qui s’abrite des vents au pied de la colline
J’ignorais tout de toi, Vierge, ô blanche voisine
Mais notre pays même, avec grâce et douceur,
M’a conduit vers le bien qui manquait à mon coeur
‘’.

Jean-Paul Gouttefangeas

Merci à François-Noël Masson pour la superbe photo qui illustre cette chronique.