Avé l’accent
Ce ne serait donc plus une légende : l’accent circonflexe s’apprêterait à tomber dans l’abîme ! Diantre, voilà qu’on nous ressort la réforme de l’orthographe, une lune vieille de … 26 ans que tout le monde avait oubliée et dont la populace (de l’italien popolaccio) se contrefout allègrement, empêtrée qu’elle est dans le chômage, les dingues qui prennent les terrasses de café pour des stands de tirs, les menteurs et menteuses qui nous font croire à des lendemains qui chantent et le Tournoi des Six Nations ! Mais c’est quand même à y perdre le peu de latin qu’il nous reste. Je ne vous parle pas du grec… On pourra donc tout à loisir écrire ognons pour oignons, nénufar en lieux et place de nénuphar et enlever le chapeau du i ce qui n’est pas très malin surtout par temps de pluie ou de fort soleil ! Ceci dit, pour être juste, en ce qui concerne nénuphar, le débat reste ouvert l’origine arabo-persane du mot pouvant justifier ce ripolinage orthographique.
Il est tout de même à craindre que les mots, s’ils sonneront pareil à l’oreille, perdront le substrat étymologique qui permet d’en comprendre le sens. A ce train là, on va finir par écrire en langage SMS ! Simplifions au maximum au prétexte que nous nous comprendrons mieux !!!! Ouais, ouais, on peut aussi passer à l’orgasme virtuel, se rencontrer pour des déjeuners sur l’herbe dans un « cloud » délétère, on peut même tous se suicider puisque qu’un jour on va finir par mourir ! Putain de vie qui au fond, n’est rien d’autre qu’une maladie mortelle sexuellement transmissible !
Le plus drôle dans cette histoire, je l’ai trouvé sur un réseau social ou un abonné défendait l’accent circonflexe en juxtaposant ces deux phrases phonétiquement semblables : « Je vais me faire un petit jeûne" et "Je vais me faire un petit jeune" : ça laisse perplexe, non ? Et bien, les zélés réformateurs ont tout prévu : le mot jeune ferait exception à la règle, on l’écrirait avec deux orthographes parce qu’il y a ambigüité sur le sens du mot. D’où, paradoxalement l’utilité de l’accent circonflexe. C’est la démonstration par l’absurde et un brin moralisateur : on touche à certains mots, pas à d’autres, convaincu que le diable se cache dans les détails !
Mais il y a aussi toute cette poésie, tout ce travail passionnant de recherche sur la compréhension des mots qui tirent vers le haut et qui vont tomber aux oubliettes. Ne plus tenir compte de l’origine des mots, de leurs racines, c’est simplement se priver d’une certaine forme de savoir.
Bon, pour l’instant tout va bien : en tapant ce poussif papier j’ai écrit « drôle » sans accent, immédiatement la machine m’a rappelé à l’ordre, le mot surligné en rouge m’a signifié que je n’étais qu’un cancre.
J’arrête là, je suis en train (entrain ?) d’éplucher mes oignons. Et je pleure.
PS : *Nénufar : De l’arabe nainūfar, nīnūfar, nīlūfar et du persan nīlūfar
Réforme de l’orthographe... Une chronique de Jean-Luc Gironde.