Au lit au Moyen-Âge

Aux temps des carolingiens, on dort souvent par terre. Les lits ne sont encore que de simples tables de bois aux pieds élégamment tournés. Sur leur plateau plein est disposée la couette, un grand coussin mou et ovale. Celle-ci sert de matelas. Pour dormir, on s’enroule dans une couverture. Dès le XII° siècle, le lit plus courant est un simple caisson doté de pieds, plein ou à barreaux. Ce meuble fixe et solide, est en bois de peuplier, de châtaignier, plus souvent de sapin ou de noyer. Aux XIV° et XV° siècles, il prend de la hauteur. Il est isolé du sol par une planche épaisse ou un estrade dans les châteaux. Là, protégé par une courtine, mollement couché sur une couette et enroulé dans des draps et couvertures épaisses, le dormeur médiéval n’a rien à envier à notre confort moderne !

Le lit de vie

Tout une vie se déroule autour du lit d’ordre privé avec les proches mais aussi d’ordre public. En effet, le lit est symbole du pouvoir. Au XV° siècle, les grands procès sont jugés par le roi dans une lit de justice, espace surélevé à l’intérieur d’une clôture. Son trône est surmonté d’un dais et entouré de tentures, à l’image d’un lit, d’où le terme de lit de justice. C’est également allongé sur un lit que les grands donnent audience à leurs proches et alliés, astreints à demeurer debout. Paradoxalement, être couché est le signe d’un statut supérieur. Dans la chambre de parement, pièce destinée aux fonctions officielles, un lit d’apparat est dressé. Ce meuble de prestige est exposé aux yeux des visiteurs, sans qu’il en soit fait usage. Dans les cours royales et princières, il est de dimensions extravagantes, comme en témoigne la description d’une couverture de fourrure appartenant au rois Charles V (1364-1380) et dépassant les 38 m2.

Dans le cadre privé et intime, le lit conjugal a toute son importance et doit être béni par le prêtre le soir des noces. De nombreuses croyances sont liées au pouvoir du lit.
Par exemple, avec l’aide d’un bijou, comme un diamant ou une pierre d’aimant, le lit serait capable d’expulser l’adultère qu’un mari soupçonne sans pour autant avoir de preuves. Pour les hommes d’église, il n’existe qu’une seule justification à l’amour physique, la procréation, la position allongée sur le dos pour la femme.

Le lit des malades et mourants

S’il touche aux moments de vie, le lit est aussi le seul horizon des grabataires et des mourants. Dans sa chambre, le malade alité ne reste jamais seul. Autour se pressent la garde-malade, le notaire, le médecin, le prêtre, qui vient donner la dernière communion ou l’extrême onction, la famille, les amis, les voisins...
La majorité des gens meurent dans leur propre lit. Les défunts sont inhumés cousus dans leur linceul, à savoir le drap de leur lit, puis couchés dans la terre jusqu’à la consommation des temps. Le christianisme médiéval veut que les chrétiens soient enterrés couchés sur le dos, face tournée vers le ciel. L’assimilation entre le sommeil et la mort est profonde : la tête du défunt est posée sur un oreiller.

La chambre idéale et son lit

La chambre idéale est lambrissée ou blanchie, planchéiée et confortablement aménagée, avec latrines privées. Une cheminée est jugée souhaitable, surtout dans les pièces accueillant femmes et enfants : c’est en effet au coin du feu que les nourrices allaitent, que les dames filent ou brodent en chantant des "chansons de toile". Souvent, une autre pièce sans fenêtre et adossée à un poêle ou à une cheminée est prévue pour les nourrissons et les malades : la chambre chaude.
Dans les châteaux, la chambre est équipée d’un sas d’accès en bois, appelé tournavent ou ostevent, dont le nom montre bien qu’il avait pour mission d’éliminer les courants d’air. Sur le sol de la chambre est disposée une natte en paille tressée, parfois étendue à l’ensemble de la pièce. Au chevet du lit se trouve une chaire pratique pour s’habiller le matin, elle peut être déplacée pour que l’on s’y fasse raser et peigner. Au pied du lit est dressé un grand coffre à linge et à habits et autour sont disposés un chandelier sur un petit buffet ainsi qu’un lavabo à proximité. À l’occasion, la chambre sert même de salle à manger, en dressant rapidement une table sur tréteaux.

D’autres lits

Tout le monde ne drot pas aussi confortablement. Le paysan dort sur un lit modeste fait de paille et de modestes couvertures qu’il partage avec les siens. Dans les auberges, on peut dormir jusqu’à cin ou six personnes par lit, en rand d’oignons.
À l’hôpital, l’intimité est supprimée au profit de l’utilité car les soignants doivent pouvoir accéder facilement à leurs patients. Les tout-petits sont plus commodément installés, dans leur berceau qui berce à roulis, en France, Flandre ou Angleterre ou à tangage en Italie. Pour éviter que le bébé ne tombe, s’il est bercé trop vivement, le berceau est muni d’une sangle de sécurité qui court des pieds à sa poitrine.

Quelques bons conseils pour bien dormir

Pour bien dormir, après un souper mesuré, une veillée paisible et donc recommandée pour un sommeil d’une durée maximale de 8 heures, coiffé un bonnet, nu, si possible allongé sur le côté et jamais sur le ventre. L’excès de sommeil est en effet jugé nocif : il engendre des maladies "froides".
Seuls les malades et les femmes accouchées ont le droit de rester au lit. Après un accouchement, ces dernières, jugées impures, doivent patienter quarante jours alitées, le temps des relevailles. Les images médiévales du sommeil montrent toujours des dormeurs étendus de tout leur long, faisant contrepoids à une idée reçue selon laquelle nos ancêtres dormaient assis dans des lits de médiocre longueur. La position assise paraît se diffuser à La Renaissance plutôt qu’à l’époque médiévale.

Insomnies, rêves et cauchemars

Pour stopper les insomnies, les médecins du Moyen Âge ont plusieurs recettes, dont la première et la plus simple a un caractère quelque peu immoral : boire ! Un adage répandu dit en effet que le bon vin fait souef dormir. Dans les fabliaux, les gros buveurs boivent jusqu’à en être assommés et s’endorment d’une masse...
Les autres recettes sont de type médical : l’absorption de somnifères à base par exemple de mandragore. Pour les personnes les plus riches, la musique est considérée comme une aide à l’endormissement.
Rêves et cauchemars intéressent les savants. Selon eux, les songes se forment dans l’une des trois chambres du cerveau : la chambre de l’imagination, logée dans le lobe frontal.
Les rêves suscitent l’intérêt des laïcs et des clercs : ceux-ci ont observé que les vies de saints et de grands personnages abondaient en rêves prémonitoires... Quant aux cauchemars, les images et récits les concernant sont nombreux dès le XII° siècle. Les puissants rêvent de tempêtes prodigieuses, d’animaux sauvages dévorant leur peuple, de paysans révoltés, de guerres. Leur raison d’être est jugée multiple.
Si certains les croient d’origine démoniaque, les médecins pensent qu’ils sont le résultat d’une alimentation trop lourde. Les thérapeutes prennent néanmoins les cauchemars au sérieux et les traitent comme une maladie. Pour éviter tout danger, sur le lit des adultes comme des enfants, des signes de protection sont peints sur les berceaux, le plus souvent au pied du lit : signes stellaires, solaires, images de saints, pictogrammes de crucifixion, trigramme IHS...
Mais il faut surtout faire des prières, en plus d’invoquer le nom de son ange gardien avant d’aller au lit.

Bonne nuit !

Article paru dans CentralParc juin 2013. Que l’on y dorme, que l’on y joue, que l’on y travaille, que l’on y soigne ou que l’on y meure, le lit est coeur de la vie médiévale. C’est le meuble le plus important de la demeure médiévale.