À la recherche du pain perdu

Notre meilleur ami ne serait-il pas le souvenir ? Nous savons qu’un véritable ami est une chose douce ! Les années passant, ces souvenirs du passé s’accumulent au point que la ‘’boîte de réserve’’ affiche complet. Je sais avec l’âge, bien des fois, une sélection naturelle se fait, même si elle n’est pas souhaitable ! ‘’Le temps s’enfuit et s’efface à nos yeux ‘’ ! Il emporte avec lui tant de choses, les heureuses et parfois les malheureuses.

Il y a quelques jours à la fin du repas chez des amis, quelle ne fut pas ma surprise de voir arriver sur la table des pains perdus ! Dans ma tête, sans que personne n’y prête attention il y eut comme un gros coup de vent ! En un instant je fus transporté dans mon enfance quand ma mère faisait ces fameux desserts. Je me suis revu mélangeant les œufs, le lait et le sucre.
Nous avions alors, mes frères et moi, le privilège de tremper les tranches de pain dans le saladier avant que ma mère ne les mette à dorer dans la poêle beurrée. J’avais oublié ce moment, petit détail d’une vie. Suite à ce rappel, je me suis mis à la recherche du pain perdu, de tous mes pains perdus !

Choses du passé bien sûr mais lorsqu’on atteint un certain âge on a constitué un gros stock ! On nous le répète : ‘’on ne fait que passer’’ et pourtant chaque génération bon gré mal gré vit sa fin du monde. Malgré tout, notre récompense n’est-ce pas le voyage, le voyage de la vie ? Il faut souvent se contenter de ce que l’on a et accepter que même si rien n’est jamais vraiment acquis, rien n’est jamais vraiment perdu. L’espérance est un sérieux facteur d’équilibre. Il arrive même que parfois ce sont les morts qui nous escortent en nous guidant dans la vie. Il faut alors se laisser aller à une intime connivence qui nous relie au visible comme à l’invisible, tous deux comportent leur part de merveilleux et de terrible. Il nous faut voir toute la beauté qui nous entoure, la nature, les arts, la fraternité des êtres car elle existe (même pour une limace la vie doit être merveilleuse !) et subir la détresse humaine. Je sais que j’use de ‘’mots nourritures’’ mais ce sont des mots de la réalité. Trop souvent et par la force des choses il nous faut quitter ce que nous vivions comme un paradis (mais nous n’en prenions pas la mesure) pour pénétrer dans le chaos du monde et en affronter le vulgaire vacarme.

S’arrêter un moment, se remémorer des événements, atteindre par la pensée ce qui était enfoui, souvent depuis très longtemps, plonger dans les méandres de son propre chemin, c’est aller dans l’invisible, dans ce qui nous habite pourtant et que nous n’avons pas définitivement oublié (l’oubli est une douleur). Revoir les amis de jeunesse : ‘’la jeunesse en sa fleur brille sur son visage’’ (Boileau). Se souvenir même quand nous ‘’galopinions’’ dans l’enfance, nous rappeler avec délice ces doux moments que nous vivions avec nos frères et sœurs dans le giron de nos parents. Cet âge là est le préambule à la joie de l’existence. À l’adolescence c’est le temps des amours volages et des jeunes filles en pleurs (et pas seulement les jeunes filles !). Puis très vite nous empruntons la passerelle des ans, heureusement il faut beaucoup de temps pour apprendre à être jeune. C’est ce célèbre acteur Anglais (Sean Connery) qui disait : ‘’certains vieillissent, d’autres mûrissent’’. On se console car comme cela a déjà été dit : ‘’l’homme jeune marche plus vite que l’ancien mais l’ancien connaît le chemin’’ ! Cela dit, je me méfie de l’adage selon lequel c’est de la barbe que viendrait la sagesse, voire la toute puissance, nous savons tous que la sagesse se découvre ! Pourtant, j’ai toujours en tête cet extrait d’un poème de Baudelaire : ‘’ adieu vive clarté de nos étés trop courts ‘’.

Dans mon réservoir de souvenirs, il y a aussi les voyages dans les pays proches ou lointains, accomplis comme des pèlerinages plus ou moins initiatiques, plus ou moins influents dont nous gardons au cœur les souvenirs heureux. Quelques fois ce sont des ruines anciennes, voire antiques, refuges de la nostalgie où parfois aux abords des colonnes d’un temple il nous a semblé humer les derniers parfums du passé. D’autres émotions dans d’autres domaines nous reviennent mais tout aussi belles, dans un sous bois tout proche, en ramassant des champignons, un chevreuil intéressé et inquiet de ma présence sur son territoire me mit en présence de la beauté de la nature et de son partage avec tout ce qui vit. Tout ce dont on se souvient vit. C’est, bien sûr, valable pour les êtres. Ce sont ces rencontres d’être à être qui contribuent à élargir le chemin de nos existences dans l’ivresse des échanges et des rencontres. C’est certain, à exhumer le passé, il en reste toujours quelque chose pour préparer l’avenir.

À y réfléchir encore, tant de pensées venues du cours de notre vie peuvent refaire surface : la première fois où nous avons vu la mer, le silence des églises, la splendeur de la lumière des cathédrales.

Je me souviens de l’homélie prononcée par un prédicateur (dont j’ai oublié le nom, mais l’ai-je jamais su ?) lors de ma première communion (il y a 70 ans !) le thème en était l’amour qui, par sa puissance, peut fonder une espérance au-delà de la mort en transformant l’au-delà en plénitude. Pour cela il faut vivre sa vie comme si le Ciel était sur terre.

Au milieu du conteneur des souvenirs, il y a aussi les moins bons, les mauvais, les fautes souventes fois commises par nous-mêmes dont nous ne sommes pas fiers, celles des autres aussi mais fort heureusement le temps habille le souvenir de tendresse et d’indulgence, ça aide. Les gens peuvent oublier ce qu’on leur dit, ce qu’on leur fait mais rarement ce qu’on leur fait sentir, la profondeur des sentiments et puis les vrais amis sont comme les étoiles, on ne les voit pas toujours mais nous savons qu’ils sont toujours là. L’amitié comme tout ce qui s’en va revient.

Il me faut bien conclure cette chronique, ce survol rapide des souvenirs, il y aurait tant de choses à dire, je serais tenté d’évoquer les bienfaits de la poésie tant elle constitue un bagage dans nos transports d’esprit, de découvertes et d’aliments propres à nous faire voyager. Notre vie durant, les vers de poètes nous accompagnent. Ah ! Ces souvenirs de se savoir parfois ailleurs dans le temps. La magie des mots qui savent nous transporter sous d’autres cieux vers d’autres rivages. C’est bien par la poésie qu’il est possible de quitter la vertigineuse pente qui pourrait nous mener à l’abyssal néant.

Aujourd’hui , c’est en étant ‘’à la recherche du pain perdu’’, que je vous emmène, miracle d’une communion que l’on doit au verbe qui depuis des siècles nous a amenés à cet état privilégié.

Je vous souhaite de jouir de ces moments de plongée dans une eau toujours calme et apaisante.

‘’Les jours s’en vont je demeure’’ (Guillaume Apollinaire).

Jean-Paul Gouttefangeas