À Thiers, d’un jardin à l’autre

Mes amis, durant les deux jours passés à Thiers, avaient visité le musée, acheté des couteaux, et parcouru les rues et les quartiers anciens. Le Centre d’Art Contemporain étant aussi dans leur programme, ils en avaient profité pour parcourir la vallée des usines et terminé en pleine nature avec les rouets longeant la Durolle. Grandement séduits par la beauté de la nature environnante, ils en ont redemandé. Je leur ai alors proposé une promenade dans les différents squares et autres ‘’points verts’’ de la cité.

Une première surprise nous attendait, place Saint-Exupéry, où nous avions décidé de garer notre véhicule. Je connaissais cet espace sans vraiment le connaître. De nombreuses fois, venu en soirée, juste avant l’heure d’un spectacle dans la salle attenante, le but n’étant pas alors de flâner entre les voitures. À y regarder de plus près et en s’avançant jusqu’à la limite du remblai et après avoir passé les différents ‘’parcs’’ séparés par des haies formelles de lauriers-cerises agrémentées de rosiers, on peut voir un espace ovale aménagé à l’aide de piquets qui n’est pas sans rappeler une sorte de corral ou manège où l’on pourrait faire évoluer des chevaux. Le pourtour est très bien planté d’arbres qui deviendront grands et veilleront longtemps sur ‘’l’Espace’’ ! Ce plateau domine un petit jardin où trône un banc solitaire qui ne semble pas avoir beaucoup de succès du fait peut-être du nom du lieu : la Poudrière !

Partis en direction de la gare, un arrêt s’imposait, place de la Mutualité, si bien nommée par les Thiernois place aux arbres. Quelle belle ordonnance pour ce lieu autour de son kiosque à musique avec ses relents de ‘’Belle Epoque’’, ce bel ovale là encore où les frondaisons font oublier que c’est un parking si utile, entre une double rangée de platanes et de tilleuls. La statue de la Mutualité située dès l’entrée perpétue l’hommage de la population aux deux bienfaiteurs : Mancel Chabot, le donateur et le baron de Barante, l’exécuteur. La vue surplombe à l’est (côté Aigle d’Or) quelques petits espaces juxtaposant l’esplanade des Droits de l’Homme, plantés de bambous envahissants (mais heureusement enserrés) et de quelques jeunes arbres. La vue sur la montagne, rocailleuse en diable, est très belle. Au sud, c’est une vue plongeante sur le square de Verdun avec son immense cèdre rescapé d’une fratrie de cette essence et deux résineux participant de leur mieux à la solennité des sonneries commémoratives.

Continuant notre périple vers ce qu’il peut y avoir de vert à Thiers, c’est lentement que nous nous dirigeons vers la gare, rien ne pressait, nous n’avions pas de train à prendre. Avant de parvenir au petit jardin dit de la gare, ce sont les odeurs qui nous l’annoncent : les troènes en pleine période de floraison ont cette capacité tout comme d’autres arbustes tels que : seringat, chèvrefeuille, d’embaumer l’air alentour, même parfois en excès. À ce propos, une petite histoire drôle. On la doit à l’auteur humoriste Romain Bouteille qui, séjournant dans un hôtel de la belle petite cité de Collonges la Rouge, compulse au matin le livre d’or de l’établissement et y découvre des avis dithyrambiques sur la qualité de l’hôtellerie. Voulant sans doute rompre avec cette monotonie, il écrit alors dans le précieux cahier : ‘’Avec cette saleté de rossignol et cette puanteur de seringat, je n’ai pas fermé l’œil de la nuit !’’ Je reviens au jardin clos de lauriers, à deux niveaux, abondamment planté de tilleuls entre lesquels sont ‘’dispatchés’’ des rosiers en fleurs de pompons roses et blancs où quelques bancs invitent le promeneur au repos. Venu des haies fleuries, c’est un bourdonnement incessant d’abeilles butineuses. La partie basse du jardin, à l’ombre d’un catalpa et d’un chétif ginkgo biloba est réservée aux enfants, pour preuve, une cabane haut perchée leur permet de tenter l’escalade. Ça ne doit pas toujours être facile, c’est comme escalader une colline, les escargots eux-mêmes y arrivent, mais ils en bavent ! Une pancarte rappelle que cet espace entouré de barrières est réservé aux enfants de 2 ans à 6 ans mais une main espiègle a rajouté un zéro derrière le 2 et un autre derrière le 6, ce qui change grandement les possibilités d’accès !

En face du jardin, c’est la glycine du Café de la gare qui attire l’œil, exubérante, envahissante et biscornue à souhait. Elle fait corps avec la marquise de la maison, le tout très 1900, on imagine la terrasse il y a un siècle, les messieurs en canotier un pied dans la main, les dames chapeautées, en robe à rayures et portant ombrelle, les garçons, le grand tablier blanc leur descendant jusqu’aux chevilles, une main portant le plateau, l’autre dans le dos, virevoltant entre les tables : ah la Belle Epoque !

Le train étant annoncé, on empruntait le grand escalier solennel juste en face (comme à Cannes, sans le tapis rouge !) pour partir vers d’autres aventures, à d’autres amours peut-être ou plus prosaïquement se rendre à son travail !

Comme à l’accoutumée, je m’éloigne encore de mon sujet mais que voulez-vous, aller dans un jardin, c’est donner libre cours à l’imagination joyeuse car sa fonction c’est de donner du bonheur et de la paix pour l’esprit.

Assez philosophé, ayant rejoint notre véhicule, nous repartons dans la ville basse. ‘’L’ Orangerie’’ lieu béni par les plantes frileuses, car c’est là, dit-on, que, l’hiver, les oranges rient ! Ce jardin, c’est tout un ensemble consacré à la nature (et à sa protection). Ancien parc d’ornement de la grosse maison du XIXème siècle attenante, c’est aux propriétaires d’alors que l’on doit tout un ensemble d’arbres (pour certains assez rares), centenaires parfois, immenses, certains droits comme des crayons, on pourrait en faire des mâts de bateau (enfin, ça c’était autrefois !) . Parmi les platanes et épicéas, des tulipiers de Virginie, des marronniers, un ailante de Chine. Des fleurs un peu partout, c’est très beau. À l’intérieur de la splendide serre, outre quelques habitants à plumes et à écailles : poissons, tortues et oiseaux cohabitent avec des papyrus géants, des agrumes, des agaves, des alocasias et même un énorme ‘’oiseau de feu’’ sans flammes en ce moment mais les braises sont encore chaudes, ce qui laisse présager un futur ‘’incendie’’ pour l’année prochaine, des succulentes sont dispersées sur un embryon de désert de sable !

Un peu plus loin, dans le même parc, un jardin mi-agrément, mi potager est étrange par sa destination. En effet on peut lire dès l’entrée : ‘’On vous remercie même de récolter’’, et puis pour accentuer encore cette idée : ‘’Planter, désherber, récolter, voilà quelque chose d’essentiel pour un jardin’’. Là, dans des alignées de préaux (comme au Moyen âge), pêle- mêle : haricots, œillets de poète, tomates, salades, verveines de Buenos Aires, motte à compost et bien d’autres légumes, le tout parsemé de beaucoup de fleurs. Ce jardin donne envie de mettre la main à la pâte, ou plutôt à la terre. En rejoignant l’entrée principale, en face de l’église, on passe au pied de ce qui était autrefois un pavillon chinois lorsque, pour le seul plaisir des yeux, on agrémentait les jardins de ‘’fabriques’’ en tout genre, mais de préférence exotique, nées souvent ‘’déjà ruinées’’, parfois coiffant une glacière comme c’est le cas ici, mais ça, c’était au temps de la splendeur. Sous la protection d’une petite tour érigée là comme en gardienne d’une autre époque, nous quittons à regret ce jardin pour filer pas très loin d’ici à celui nommé Jo Cognet, aux abords de la salle éponyme. Autour d’un marécage envahi de plantes aquatiques, cerné de peupliers d’Italie, de chênes et autres charmes, des bancs (paradoxalement) invitent à la méditation dans cette zone dite aussi industrielle du Breuil. Bel endroit où l’on aimerait planter sa tente de camping, ce qui montre une fois encore que les belles réalisations naissent de la volonté de les faire. Un peu plus loin, en face, une belle pelouse plantée d’arbres alignés au cordeau comme conscients de leur importance en ce lieu.

Nous repartons de ce quartier de verdure où nous trouvons le ‘’pré des archers’’ pour rejoindre l’avenue Max Dormoy par une belle allée de mûriers, lesquels sûrement à l’abri, de nos jours, du danger des vers à soie ! La route de la vallée nous invite encore à partager le plaisir des jardins de l’hôpital, de St Jean qui semblent nous dire en ces lieux : jardinier, fais et ris.

Cette balade dans le ‘’vert’’ de notre ville, je ne peux que la conseiller, ce que j’ai pu vous en dire n’est qu’un écho du jardin, à vous de déambuler à votre rythme en vous attardant là où vous poussent votre sensibilité et vos goûts. En entrant dans le jardin, vous abandonnez, pour un temps, le tumulte du monde pour atteindre peut-être le silence intérieur et pourquoi pas le plus profond silence, mais ça c’est une autre histoire !

Jean-Paul Gouttefangeas