Prix des objets de première nécessité au XVII° siècle

À lire précédemment : Tableau du prix des couteaux au XVII° siècle

CHAPITRE IV
III - prix des objets de première nécessité au XVII° siècle

Nous supposons que nos lecteurs ont dû se poser depuis longtemps cette question :

« Que représentent tous ces prix d’autrefois ? Quelle était la valeur d’une livre en 1680 ? Un sol de celle époque représente-t-il un sol d’aujourd’hui ? »
Si nous nous contentions de répondre que la livre du XVII° siècle valait 10, 15 ou 20 fois plus que ne vaut le franc du XIX° siècle, cette réponse paraîtrait sans doute évasive et vague. Mais il nous semble que mieux vaut indiquer ici la valeur des choses essentielles à la vie : outre que, par ce moyen , nous saurons plus exactement ce que vaut la livre en connaissant ce qu’elle peut procurer ; nous aurons aussi l’occasion de faire une étude des moeurs ou plutôt de la manière de vivre de nos anciens couteliers.

Si nous étions quelque peu sorcier, à l’instar des partisans modernes de l’école Spirite, nous évoquerions volontiers l’esprit d’un maître d’autrefois, de Jean Lacroix par exemple, le priant de nous faire les honneurs de sa maison et de son ménage... Ma foi ! c’est fait ! il a suffi de ce désir d’évocation pour attirer l’Esprit ; écrivons donc sous sa dictée :

« En ce temps-là, le septier de seigle valait en moyenne 5 livres, et le septier de froment, 7 livres ; le poinson de vin en moyenne, 5 livres ; l’huile d’olive, 24 livres le quintal ; l’huile de noix, 4G livres le quintal ; le poivre, 12 sous la livre ; le lard, 15 livres le quintal ; la graisse, 4 sous la livre ; le sucre lro qualité, 55 livres le cent, 2e qualité, 50 livres 10 sols ; la muscade, 4 livres 5 sous la livre, le girofle, 5 livres 10 sous, et la canelle, 5 livres la livre ; la chandelle, 20 livres le quintal ; la cire jaune, 16 sous la livre ; l’azur, 10 sous la livre ; le fromage blanc, le cent 9 livres, autre à 42 livres le cent ; la merluche, 14 livres le cent ».

— Ici nous nous sommes permis d’interrompre l’esprit de Jean Lacroix, et de lui faire remarquer que cette nomenclature pourrait paraître monotone et sèche,
quoiqu’exacte comme un inventaire notarié, qu’il fallait donc procéder avec un peu plus d’ordre ; à quoi l’esprit de notre maître a répondu :

« Je pourrais vous dire peut-être que si mon tableau vous semble dépourvu de charmes, je m’en lave les mains avec du savon de Castres à 24 livres le quintal ; mais puisque vous daignez visiter ma demeure, je m’empresse de vous ouvrir les portes. Voici d’abord la première et la plus importante de toutes les pièces qui la composent. La boutique, elle n’a pas je l’avoue cet aspect monumental de vos magasins du XIX ° siècle, point de devantures, encore moins des glaces, qui semblent devenir de mode chez vous ; aussi bien n’est-ce qu’une boutique dans toute l’acceptation du mot ; vous y trouverez les instruments nécessaires à l’exercice de ma profession :

- Une enclume ou forge, fer et acier, pesant entour 200 livres, garnie de ses soufflets et de sa souche, valant GO livres.
- Quatre étaux garnis de leurs souches, valant 7 livres chacun.
- Une scie à main, estimée 15 sous.
- Dix limes grandes ou petites qui ne valent pas davantage.
- Deux marteaux de main, à 12 sous pièce.
- Deux petits marteaux ou Hoquets, à 5 sous chacun.
- Deux brunissoirs, à 4 sous pièce.
- Quatre cornues, à 50 sous pièce.
- Deux pinces à feu, valant 5 sous.
- Deux étaux à main, à 12 sous pièce.
- Deux petits martelets, à 2 sous 6 deniers chaque.
Voilà mon matériel, mes outils de travail.

J’ai la prétention d’être aussi confortablement meublé que pas un de mes confrères, et cependant quelle différence, grands dieux 1 entre mon ameublement et celui de nos successeurs ! Le luxe a envahi vos demeures ; il vous faut un salon avec table ronde en acajou, fauteuils en tapisserie, glaces, garnitures de cheminée, etc., etc., que sais-je ?

Dans ma chambre haute, qui est mon appartement de réception, vous trouverez, au lieu de fauteuils, six grands caquetoires et quatre petits, valant, à 10 sous pièce, 5 livres
- Au lieu de table ronde, une table à ralonge à bois de noyer en menuiserie avec un tapis d’estame, usé, valant le tout 6 livres.
- Un miroir à plaques d’argent garni d’écaillé, qui vaut 3 livres.
- Un autre en noyer, valant 50 sous.
- Six petits tableaux enluminés, un autre représentant l’Annonciation, un autre représentant la tète de notre Sauveur en figure, enfin un dernier représentant la tôle de la mère de notre Roi, le tout valant 5 livres 10 sous.
- En guise d’armoire à glace, j’ai une grande garde-robe à 4 armoires à 2 clés et 2 tiroirs, valant 18 livres ; mais elle renferme 150 livres de vaisselle d’étain, presque neuf, à 10 sous la livre , ce qui fait 55 livres, et 58 autres livres de même vaisselle, ne valant à 9 sous la livre que 17 livres 2 sous.
- Sept fourchettes, douze cuillers et trois tasses d’argent de billion pesant 54 onces 1/2, à 50 sous l’once...

Et puisque je vous ai parlé de vaisselle, poursuivit l’esprit de Jean Lacroix, permettez-moi d’ajouter ceci : de mon temps, hommes de peu d’estomac, on mangeait beaucoup parce que l’on travaillait de môme ; la nourriture était bonne, saine, abondante ; on se contentait du vin du crû. La tradition vous a conservé les noms de quelques buveurs émérites, à l’estomac desquels un pot de vin ne faisait point peur. Il est vrai que chez eux cet organe n’était pas affadi, usé, délabré par le mélange et l’abus de toutes ces boissons liquoreuses ou vineuses frelatées et malsaines, que le commerce aujourd’hui jette dans la circulation. Nous faisions aussi quelques extras. Quand nous avions le bonheur de marier nos garçons ou nos filles, nous allions faire bombance à l’auberge, au Chapeau Rouge, surtout, où l’on nous servait un dîner de procureur... je veux dire un dîner semblable à celui de la noce du procureur Bonnefoy (1709) dont voici la carte et le prix. Veuillez les comparer à vos festins superbes et dispendieux qui absorbent trop souvent le tiers de la dot.

Grâce à la sobriété de notre régime ordinaire, nous savions, le plus souvent, nous passer des visites à 10 sous du docteur J.-B. de la Fuste ; des saignées à 5 sous de Me Bésian, chirurgien, et surtout des services que sa qualité d’apothicaire lui donnait le privilège de rendre, à l’exclusion de tous autres. Aussi bien, chaque fois qu’il était indispensable, le ministère de ce fonctionnaire à tergo coûtait 15 sous. 15 sous un.... lavement ! juste le prix d’une grosse de petits couteaux à sifflet ! horresco referens !...  »

Il dit, et sous l’impression, sans doute, de ce souvenir pénible, l’esprit de Jean Lacroix s’évanouit, et cependant nous aurions eu bien d’autres renseignements encore à lui demander Son vêtement se composait-il comme celui de Pigerol-Bonnemoy, son confrère, « d’un pourpoint et haut de chausses en drap gris estimés 8 livres ?...  » S’était-il payé, comme un autre maître, Antoine Batice, le luxe d’un « manteau appelé, bran de bourg boracant, estimé 15 livres  » (ce qui n’empochait pas le susdit Batice de porter « un chapeau reteint, valant 10 sous ?... »

Mais il faut laisser de côté tous ces détails. Poursuivons donc notre route, sans perdre plus de temps à compter ainsi toutes les pierres du chemin.

À suivre : CHAPITRE V. I. Des marques de fabrique. — II. Du mode d’exportation des produits fabriqués, et des négociants Thiernois.

Monographie imprimée, éditée à Clermont-Ferrand en 1863. Texte disponible dans intégralité sur le site de Gallica.