Le Cavalier Maudit - Légende des ruines de Buron en Auvergne
Par Henry FRANZ. Ce texte a été publié dans la Semaine Auvergnate, Paris (1919) et dans l’Almanach Populaire du Puy-de-Dôme (1926) ; il est présenté sur un panneau à l’entrée de la chapelle de Buron.
- L’Ecir (1) hurle au val, lamentable.
- La nuit descend, Grands et petits
- Abrités dans la chaude étable
- Ecoutent les anciens récits.
Cette histoire effrayante, amis, n’est pas un conte ;
Sur un cratère éteint, non loin de Vic-le-Comte,
Le château de Buron mêle aux basaltes gris,
Aux laves de volcan, ses imposants débris...
Souvenirs du passé, lugubre silhouette,
Jadis nid d’aigle, asile aujourd’hui de chouette ;
Murs fendus, qu’on dirait bâtis par des géants,
Donjons découronnés ouvrant leurs flancs béants,
Dentelle des créneaux par le temps déchirée...
Squelette énorme d’où la vie s’est retirée,
Dont les os de granit s’effritent chaque jour,
Mais qui menace encore le pays d’alentour.
Ils ont tôt renversé de trop frêles barrières,
L’esprit du mal doublant la force de leur bras...
Vers la blanche chapelle ils dirigent leur pas :
Vainement le prieur, sublime de courage
Résiste ; le lieu saint subit l’infâme outrage.
Robert veut se saouler de débauche et de vin,
Et ses vils complaisants apprêtent un festin...
La voûte accoutumée aux solennels cantiques
A frémi d’épouvante aux accents sataniques
De ces profanateurs.. Tous les moines tremblants
Sont adossés au choeur, muets fantômes blancs,
Semblant du désespoir les formes animées
Sous la douce lueur des cires allumées...
- On sent frémir chaque auditeur
- Au récit des forfaits sans nombre...
- Les petits pâtours, gris de peur
- Claquent des dents, blottis dans l’ombre.
Robert, en blasphémant, appelle le prieur :
- Ton vin, vieux prêtre, est bon ; mais il serait meilleur
" Dans ce calice d’or où tu vois aux offices ;
" Je le veux". Les valets bruyamment applaudissent
L’Homme de Dieu se tait et toise le bandit.
- Barbe Blanche, entends-tu ? " Rien. Le monstre bondit
Au tabernacle, il ouvre et brandit le ciboire :
- Voici la seule coupe où "Le Garou" doit boire,
"Fais-moi raison comme un ami." - "Maudit, maudit !"
Clame le religieux. D’abord presque interdit
Buron gronde : "tait-toi, ma patience est lasse".
Déchirant leurs frocs blancs et se voilant la face
Les moines, dans le chœur, sont tombés à genoux...
- "Maudit. Maudit !" répète avec plus de courroux
L’héroïque vieillard, voyant le sacrilège
Vider d’un trait, prenant le saint autel pour siège,
Le vase consacré qu’il fait remplir de vin...
- J’appelle sur ton front le châtiment divin.
"Que tu sois..." l’anathème en un râle s’arrête
Sauvage, un coup de hache a fracassé sa tête,
Il tombe, éclaboussant les degrés de son sang...
Le meurtre est un signal. Comme un fleuve puissant
Rompant soudain sa digue et noyant le rivage,
La horde d’assassins veut assouvir sa rage ;
Les moines sont tués, et chacun d’eux redit
Avant le coup mortel ces mots : "Maudit. Maudit !"
Dans l’air vibre l’émoi d’un appel éperdu
Râle suprême, qui de tous est entendu ;
D’affreux éclats de rire y répondent... des ombres
Grouillent sinistrement sous les arcades sombres,
Puis tout se tait, sauf la lugubre voix du vent
Qui se lamente et bat l’enceinte du couvent...
- On croirait que tout dort... On n’ose
- Risquer le moindre mouvement
- Et l’ancien, après une pause,
- Grave, achève le dénouement :
Le lendemain matin, le castel en ruines
Consumé par le feu des colères divines
Attestait que le ciel se vente... Le maudit
D’oncques ne fut jamais revu... Pourtant on dit
Qu’à minuit, très souvent, dans les tours écroulées
S’élèvent tout à coup des clameurs désolées,
Des sanglots, et, mêlés aux appels suppliants,
Des grincements de dents et des rires bruyants...
Quand la tempête rage en la plaine paisible
Parfois aussi galope un coursier invisible
Au choc de ses sabots le sol semble crouler,
Et son triste écuyer ne cesse d’exhaler
De lugubres soupirs dont frisonne l’espace ;
Du "Cavalier Maudit" c’est le spectre qui passe.
- Il est tard... Chacun d’eux, lassé
- S’en va reposer sur sa couche
- Et rêve aux récits du passé
- Ainsi transmis de bouche en bouche.
Henry FRANZ
(1) Vent des montagnes d’Auvergne
© CHROMO collection Dominique CHAPELON
Le collectionneur Auvergnat
On trouve de nombreuses photographies sur le site Geneanet
Les fresques qui illustrent cet article sont de Louis DUSSOUR, Peintre fresquiste (Riom 1905-1986), dont des oeuvres sont visibles à Clermont-Ferrand.
Une PREMIERE PARTIE présente le château et la chapelle de la commune.