Un drame passionnel à Ambert en 1827

Textes publiés dans les éditions des 17, 20 et 21 juin 1931 du « Moniteur du Puy-de-Dôme » et repris dans leur intégralité (Collection « Presse auvergnate » des Bibliothèques et médiathèques de Clermont – Auvergne –Métropole)

Une fabrique de médailles à Ambert

Le rival était un gars vigoureux sournois et vindicatif : un drame passionnel à Ambert (1827)

« Quelques mois avant d’être assassinée, la victime du drame passionnel, qui fit d’autant plus de bruit à Ambert qu’elle y était fort honorablement connue, envoyait à L’Ami de la Charte le compte rendu d’une fête brillante donnée dans la jolie cité...

Son auteur, un homme instruit, bien élevé, était à Ambert l’agent général, pour l’arrondissement, d’une vieille et grande compagnie d’assurances.

Reçu dans la meilleure société, très aimable, très habile en affaires, M. X... n’avait qu’un défaut, celui de courir un peu trop le guilledou. Et son malheur, sa malchance voulurent qu’il se mit en rapport avec une fille B..., beauté facile, avisez mal réputée, qui avait trouvé en lui une proie facile et lucrative...

Quelques bons amis avaient cru devoir mettre en garde M. X... contre le danger que pouvait lui faire courir une telle fréquentation. Mais il n ’est de pire sourd qu’un amoureux, et M. X... était aveuglé par la passion qu’avait fait naître en lui et savait entretenir cette sirène de bas étage...

Or, M. X... avait un rival... un rival peu commode. C’était un garçon meunier, gars vigoureux, sournois et vindicatif : Pierre L..., âgé de 29 ans.

La future victime n’était que le bailleur de fonds de la donzelle…

La donzelle l’avait pris comme ami de cœur ; M. X... n ’était pour elle qu’un bailleur de fonds, auquel elle accordait ses faveurs pour son argent.

Pierre L.... tout d’abord, avait ignoré que sa maîtresse partageait ses faveurs entre lui et M. X... Mais on avait « potiné » et il avait bientôt connu la vérité... Il en avait conçu une violente colère.

Et un jour de mai 1827, qu’il avait rencontré M. X..., entre quatre yeux, pour employer une expression vulgaire, il l’avait bafoué :
- On dit que vous voulez vous marier avec la B..., mais vous ne l’aurez pas... elle en voit d’autres.

M. X... n ’avait pas répondu et il s’était contenté de hausser les épaules.
- Un jaloux, pensait-il... on calomnie la fille B...

Il avait continué à la fréquenter et il était épris à ce point qu’en effet il avait formé le projet de l’épouser. Mais il avait parlé à un intime de sa rencontre avec le garçon meunier.
- À votre place, lui avait répondu cet ami, je me méfierais. Ce Pierre L... est un querelleur...

Et pour décider M. X... à rompre avec la fille B..., il avait ajouté ;
- Croyez-moi, renoncez à vos visites à cette péronnelle... Au vu et au su de tout le monde, elle est la maîtresse de Pierre L... Ce n ’est pas la femme que doit prendre un homme comme vous. Rompez ou, je le crois, tout cela va tourner mal.

Ces sages conseils n ’avaient pas été entendus. M. X... n ’avait pu trouver la force de renoncer à l’amour qu’avait su lui inspirer l’enjôleuse qui espérait bien, en effet, tout en continuant à se donner à Pierre L..., se faire épouser par M. X...

Tous ceux qui portaient intérêt à ce dernier n ’avaient point réussi à lui dessiller les yeux et vivaient, comme ils le dirent plus tard en cour d’assises, dans l’attente d’un événement tragique qui, d’ailleurs, ne devait pas tarder à se produire.

Par une nuit sombre, Ambert dort

Par une nuit sombre ; Ambert dort. Les artères sont obscures, mal éclairées... Un habitant de la petite ville, qui rentre chez lui, vers onze heures du soir et qui passe précisément dans la rue habitée par la fille B..., entend soudain un bruit de lutte. Deux hommes, à quelques mètres de lui, sont aux prises. On entend le halètement de leurs voix, les chocs des coups qu’ils se portent... Puis l’un deux s’enfuit, l’autre reste étendu à terre...

Le nocturne promeneur s’approche de ce dernier :
- Quoi ! C’est vous Monsieur X ?

Il réveille des voisins, on accourt, on relève M. X...Il est couvert de sang, il titube, il murmure :
- Emmenez-moi chez moi, je suis perdu, je suis mort...
Il est d’une pâleur livide. On lui fait prendre un cordial...
- Emmenez-moi, supplia-t-il encore, je n’en puis plus...
- Mais, enfin, que s’est-il passé, lui demande-t-on, avec qui vous êtes-vous battu ?
- C’est le garçon du meunier qui m ’a frappé.
- Pierre L... ?
- Oui, lui... Mais par pitié, aidez-moi à rentrer chez moi... Je vous le répète, je suis perdu... Vous ne voyez donc pas que je perds tout mon sang...

Le sang, en effet, qui coulait d’une blessure béante à la tête, inonde M. X... Son visage en est rougi, ses vêtements imprégnés...

On le soigne tant bien que mal, puis M. X... semble avoir retrouvé ses forces :
-  Je peux marcher, dit-il... Accompagnez-moi jusqu’à mon domicile.

On le soutient et on le ramène chez lui :
- Merci, mes amis, fit-il... Je vais mourir, mais du moins chez moi.

Il ouvre sa porte et gagne sa chambre, cependant que ceux qui l’ont soigné rentrent chez eux, émus outre mesure...

La victime n’a plus la force de se mettre au lit, il s’affale au milieu de la chambre

M. X..., lui, n ’a pas la force de se mettre au lit. Il s’affale au milieu de sa chambre. L’hémorragie, un instant arrêtée, recommence et bientôt il rend le dernier soupir.
Ceux qui l’ont relevé, dès le lever du jour, vont prévenir la gendarmerie et le commissaire de police de la scène nocturne. Le magistrat se rend chez M. X... pour prendre de ses nouvelles et ne se trouve plus qu’en présence d’un cadavre.

Le parquet est aussitôt avisé et ordonne l’autopsie... M. X... a succombé à une fracture du crâne et un coup de couteau a également entamé l’artère carotide... Une hémorragie terrible a causé la mort de M. X..., mais la fracture du crâne, elle aussi, eût entraîné son décès.

Le témoin, qui a assisté de loin à la lutte des deux hommes, est entendu et rapporte au juge d’instruction cette accusation « in extremis » de M. X…
- C’est le garçon meunier François L..., qui- m ’a tué !

Et immédiatement, le parquet se transporte au moulin, où est employé François L... Il le trouve au travail, très maître de lui, et ne paraissait nullement inquiet de se trouver en présence de l’appareil de la justice.
- Où étiez-vous hier soir, à onze heures ? lui demande le juge d’instruction.
- J’étais couché.
- N’avez-vous pas été chez vôtre maîtresse, la fille B...
- Pas du tout.
- Vous mentez. Vous y avez surpris M. X... Vous êtes sorti avec lui et, aussitôt, vous vous êtes sauvagement jeté sur lui.
- Je n’ai pas vu M. X...
- Savez-vous qu’il est mort ?
- Mort ?
- Oui, tué par vous, à l’aide d’un bâton sans doute, ou d’une pierre, vous lui avez brisé le crâne. Enfin, vous lui avez porté un coup de couteau...
- Non...
- M. X..„ vous a accusé, avant de mourir... accusé de la façon la plus formelle...
- Il s’est trompé... S’il a été assailli par quelqu’un, je ne suis pas son agresseur... La nuit était très noire, il aura cru me reconnaître... Il s’est trompé... D’autres que lui et moi fréquentaient la fille B...

Et Pierre L..., bien qu’il soit pressé de questions, ne se départ pas de son système de défense...

Une perquisition fructueuse qui conduit aux assises

Mais une perquisition fructueuse est opérée... On trouve dans la chambre de Pierre L... des vêtements couverts de sang. De ce sang, l’assassin ne peut expliquer la provenance.

Et, pressé de nouvelles questions, il finit par passer des aveux.

C’est le 29 juin 1827 qu’il comparait devant la Cour d’assises. Il s’y présente le front haut. Il a réfléchi et croit avoir trouvé un excellent système de défense.

Et voici le récit qu’il fait aux jurés :
- J’étais allé, comme assez souvent, pour passer la soirée chez la fille B... En arrivant devant chez elle, j’ai aperçu de la lumière... Je suis monté doucement et j’ai entendu la voix de M. X... Mon premier mouvement a été d’entrer puis j’ai réfléchi...
Je suis redescendu dans la rue et là, j’ai attendu la sortie de mon rival... Je l’ai abordé et une discussion assez vive s’est produite entre nous... Une discussion, qui n’a pas tardé à devenir si violente que M. X... m’a porté un coup de poing au visage ; j’ai riposté. M. X... s’est jeté sur moi et une lutte corps à corps a eu lieu entre nous... Nous avons roulé à terre en continuant à nous frapper. A un moment donné, j’ai eu le dessous... Craignant pour ma vie, j’ai tiré mon couteau... Vous savez le reste...

- Mais, fit observer le président, la fracture du crâne...
-  J’ai pu trouver, sous ma main, une pierre, m’en saisir et me défendre avec...

L’avocat général, dans un réquisitoire sévère, n’admet pas cette version de l’accusé :
- Il a prémédité son crime, conclut-il, vous l’enverrez à l’échafaud.

Mais le défenseur soutint brillamment la thèse de l’accusé. Il la soutint avec un talent tel que le jury, impressionné, écarta dans son verdict la question de préméditation et accorda à l’accusé le bénéfice des circonstances atténuantes.

Pierre L... fut condamné aux travaux forcés à perpétuité. Le châtiment était sévère, mais l’accusé accueillit la lecture de l’arrêt avec le sourire. Il avait réussi à sauver sa tête. Il était satisfait.

Jean de Champeix (Les causes célèbres d’Auvergne)

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