Qu’est-ce que le GORE ?

Le "GORE" est une roche plus ou moins granuleuse de couleur rouille, assez friable à sec, et peu résistante à l’eau, avec laquelle elle donne une bouillie plutôt argileuse.

Ce document a été publié dans le numéro 23 du "bulletin de la Société des Etudes Locales et du Musée de Thiers", en 1963. Auteur : H. PELLETIER

La nature du sol est un élément important, sinon prépondérant dans la physionomie d’une région. Elle en détermine pour une grande part le relief qui n’est pas sans influencer sur le climat. Elle commande les modalités de l’agriculture, et détermine souvent l’habitat puisque bien souvent l’homme en tire le matériau du sol-même sur lequel il construit.

La ville de Thiers a la renommée d’être monstrueuse, voire même tortueuse, et c’est un des étonnements du touriste que de contempler un site aussi pittoresque. Les Gorges de La Durolle ne sont plus à décrire : l’échancrure du rocher de Margeride les signale de loin au visiteur et fait deviner la proximité d’un plateau granitique.

Mais cependant, si un promeneur s’égare sur un de nos chemins de montagne, et s’il s’informe de la nature du matériau avec lequel il voit le cantonnier combler les trous et les ornières après l’orage, il s’étonne d’apprendre que cet du "GORE"... !

Le mot est très probablement d’origine régionale : cependant Max Derruau dans sa thèse sur la "Morphogénèse de la grande Limagne" l’adopte et le fait sien, et il dénomme le plat pays qui s’étend sur la rive droite de La Dore au pied de la faille-falaise orientale de La Limagne : "Le pays du Gore".

Qu’est-ce donc que le gore dans la terminologie régionale ? Comment le géologue peut-il le définir ? Quelle est l’origine de cette roche ? Voilà quelques questions auxquelles nous voudrions, ici, en tant que géologue, essayer de répondre de manière satisfaisante pour le profane.

Le "GORE" est une roche plus ou moins granuleuse de couleur rouille, assez friable à sec, et peu résistante à l’eau, avec laquelle elle donne une bouillie plutôt argileuse.
Si vous l’observez, non plus en tas déposé sur le bord de la route, mais en place dans une de ces nombreuses petites carrières d’où on l’extrait, alors elle apparaît assez indéfinissable et d’aspect très variable. Ici, on dirait un sable aggloméré, là elle ressemble à une argile sableuse bien compacte, ailleurs elle prend un aspect proche de celui d’un grès et en a presque la résistance, parfois elle semble se rapprocher du granit.

Le granit... ! Voilà le maître mot est lâché... ! Car, en effet, le gore n’est autre chose qu’un granit décomposé ou en voie de décomposition.

Pour bien comprendre ce qu’est le gore et comment il se forme, il nous faut voir en détail le processus de décomposition du granit. Vous n’êtes pas géologue, direz-vous ; rassurez-vous, c’est une chose qui peut s’expliquer de manière simple, et qui doit vous rappeler sans doute des observations personnelles, car vous avez probablement fait un jour ou l’autre de la géologie sans le savoir ! ...

Les éléments du granit

Pour comprendre comment se décompose le granit, il faut en connaître la composition. Prenons un de ces cailloux qui traîne au bord de la route ; en pays thiernois, il y a 99 chances sur 100 pour que ce soit un morceau de granit. S’il n’a pas l’aspect très frais, cassons-le d’un coup de marteau et examinons la cassure.

Nous observons tout d’abord de petites lamelles noires et brillantes, qui s’effritent si nous les grattons avec la pointe d’un canif ; elles sont répandues un peu partout et en désordre, souvent un peu teintées de rouille : ce minéral est le mica.

Faisons tourner dans la main notre caillou cassé sous un rayon de soleil, nous apercevrons sans difficulté des cristaux blanc laiteux, à surface miroitante, de forme irrégulière, mais assez nettement géométrique ; il s’agit du feldspath. Enfin, nous verrons un minéral à l’éclat vitreux d’un blanc plus ou moins diaphane, c’est le quartz.

Ce sont là les éléments essentiels du granit ; il en est d’autres, moins importants, et qui ne nous intéressent pas ici.

Le Granit face aux intempéries

Le granit, à l’état frais, se montre comme une roche homogène dure et très résistante, et constitue, en effet, un excellent matériau de construction, mais avec le temps cependant, il s’altère et arrive à se décomposer.

Les cristaux de mica, feldspath, et de quartz, que nous avons précédemment décrits, paraissent intimement soudés les uns aux autres, et ne former qu’un ensemble solide : une roche grenue certes, mais tenace ; ce n’est qu’une apparence. En réalité, il existe entre eux de très fins interstices qui permettent à l’eau de pénétrer dans le granit. Il faut noter aussi que certains feldspaths sont plus ou moins fêlés et les micas présentent normalement une structure en lamelle : ils sont en quelque sorte feuilletés, et se prêtent donc bien à la pénétration de l’eau. Cette pénétration est lente assurément et superficielle, mais elle mine lentement et sûrement le granit.

De tous les éléments du granit : quartz, feldspath, mica, ce dernier est le plus sensible à l’action chimique de l’eau de pluie. Celle-ci est pure, mais contient du gaz carbonique et des composés azotés empruntés à l’atmosphère en la traversant. En pénétrant dans les micas, essentiellement composés de silicates de fer, elle va les désagréger et les réduire en pâte argileuse couleur de rouille. Les micas s’altèrent alors et de disjoignent de proche en proche, ouvrant ainsi la voie à une pénétration de plus en plus profonde de l’eau.

Mais l’eau n’est pas la seule ennemie du granit, il y a aussi le froid. L’hiver, lorsqu’il gèle assez fort, après des jours humides, l’eau qui a pénétré dans le granit se prend en glace. Or, on sait que la glace fait éclater un flacon dans lequel elle se forme, par augmentation de volume. C’est ce qui se passe dans le granit dont les éléments sont ainsi efficacement disjoints les uns des autres, la roche est fissurée, les feldspaths et les micas sont boursouflés. Lors du dégel, le granit va commencer de s’émietter en surface : on dit qu’il gélive, l’eau de pluie va maintenant l’imbiber avec beaucoup plus de facilité.

Mais tout ce travail ne constitue d’une première étape.

Au cours d’une deuxième phase, c’est une transformation chimique qui va s’opérer : des oxydes de fer sont libérés par les micas, les feldspaths s’argilisent peu à peu.

Plus tard, les grosses pluies ou les gels intenses n’auront pas de peine à fendre la pierre et à la délayer, le granit sera devenu de l’argile (micas et feldspaths transformés) et du sable (grains de quartz).

C’est là le processus classique de décomposition du granit, mais il peut dans certaines conditions s’opérer d’une manière quelque peu différente.

Si la surface de la roche est protégée du contact direct de l’atmosphère, si le granit présente de nombreuses diaclases, des anomalies de cristallisation, etc, ... l’eau d’infiltration pénètre alors en profondeur, après avoir perdu sa teneur en gaz carbonique, son action chimique ne sera plus la même et sera limitée à des échanges d’ions au sein du granit.

Il en résultera une altération superficielle des feldspaths qui seront seulement argilisés à leur surface de contact avec le quartz. Ce dernier sera, lui, plus profondément atteint. Il en résultera que la cohésion cristalline du granit sera détruite, mais la roche restera quand même relativement résistante par suite de la pénétration de la phase argileuse des feldspaths, dans les interstices, et de l’oxyde de fer issu des micas. Selon les zones du granit, cette phase de transformation sera plus ou moins amorcée ou avancée : d’abondantes infiltrations d’eau précipitent l’argilisation dans la masse des feldspaths. Ou bien la roche sous son propre poids effectue un affaissement qui a des conséquences mécaniques : exsudation de l’argile et agglomération des grains de sable.

C’est de cet ensemble de transformations que résulte le gore avec ses différentes variétés : sableuse ou argileuse.

A la différence du processus de destruction classique, ces transformations peuvent s’opérer à grande profondeur, si le granit est suffisamment fissuré (ce qui est le cas dans la région thiernoise), et des masses considérables de cette roche peuvent être ainsi transformées en gore.

Avant d’en terminer, examinons de près un morceau de "gore" comme nous l’avons fait pour le granit.

Nous observerons des cristaux blanc mat, souvent lavés de rouille, écailleux, friables sous la lame du canif, ce sont les beaux feldspaths à surface miroitante !! ... Il arrive fréquemment d’ailleurs qu’ils ne soient friables qu’en surface et présentent un noyau plus compact et parfois bien conservé.

Les micas n’apparaissent plus que comme des tâches de rouille foncée ou même noirâtre, souvent on dirait des débris de fer très oxydé, qui, s’il est mouillé, prend une teinte foncée et devient plastique sous les doigts, mais non onctueux ; car on sent rouler des grains anguleux, aux arêtes vives : ce sont les grains de quartz, absolument intacts et qui le resteront longtemps encore, alors que le gore se sera complètement effrité. Si on délaye le gore dans l’eau, ils seront lavés et on les reconnaîtra : toutefois, on constatera souvent qu’ils ont perdu leur éclat vitreux et se sont, eux aussi, colorés de rouille. Parfois, ils sont enrobés dans une gangue d’argile tenace en provenance des feldspaths, plus rarement dans une gangue ferrugineuse.

On voit par cette description sommaire, toute la différence d’aspect qui existe entre le granit et le gore.

Le pays du gore

C’est surtout, comme nous le disions plus haut, entre La Dore et la faille orientale de La Limagne que l’on trouve le gore ; il forme pratiquement tout le sous-sol de cette région, avec les sables qui en sont issus, car le gore mis à nu est très rapidement détruit et donne en abondance des sables grossiers et des argiles colorées qui sont les termes ultimes de la décomposition du granit.

La voie ferrée qui de Thiers se dirige vers Courty traverse en déblai de grandes épaisseurs de gore. Dans certains cas, le gore peut même être débité en blocs (à la vérité peu résistants) et le gore massif supporte bien d’être creusé en galerie, et il "tient", s’il est abrité en surface par une végétation arbuste ou forestière ou par un couvert artificiel (bâtiments).

Les colorations variées du gore ne sont pas dues à autre chose qu’aux différents degrés d’oxydation du fer contenu dans les micas, certaines impuretés des feldshapths peuvent aussi être libérées et modifier la coloration, mais de façon moindre je pense.

Quand on saura que notre bon granit thiernois date de plus de 200 millions d’années, on ne s’étonnera pas, je pense, de le voir "se pourrir" peu à peu sous le sol arable pour donner en définitive cet "ersatz de pierre" qu’est le gore !!...

Ainsi passe le roc inébranlable et inattaquable (apparemment), car, selon le proverbe, "tout passe tout casse",, même les pierres réputées les plus dures.

H. PELLETIER

Dans le Dictionnaire général Auvergnat-français de Karl-Heinz REICHEL (éditions Créer, 2005), page 441 : GORE en pays thiernois : (substantif : arène (sable) ; adjectif : qualifie le granit effrité) ; et, en Limagne gannatoise et Combraille du nord : sale. Se prononce avec un “o” ouvert et guttural, comme 1 esquisse de “r”qui suit ce “o”, ce qui est sans doute la façon graphique que certains ont voulu rendre en proposant : gorrhe !
Sur Wikipédia on peut lire : "L’arène, aussi appelé gore ou gorrhe (orthographe en vigueur dans le Beaujolais), est un sable grossier formant une roche sédimentaire meuble souvent de couleur ocre en raison de présence d’oxyde de fer. En illustration dans cet article.