Le pont du Moutier
...Deus ipse loci fluvio Tiberinus amoeno*.
Oh ! dans un faubourg citadin, le lyrisme dépaysé de ce vieil ermite à l’échine cassée baignant ses pieds dans la Durolle ! Je veux parler de l’ancien pont du Moutier, saint homme en robe brune, barbu comme le pieux Agaric.
Vieille province, mes amours !... Hélas ! Quand donc repassera le doux Monsieur Cotylédon aux lunettes d’or, qui prit en des Facultés auvergnates une licence ès-sciences naturelles et menait au soleil d’été sur le vieux pont treize potaches cramoisis faire des excursions botaniques ! Achillées, mille-feuilles et germandrées, tuniques sombres et boutons, filets à papillons, nostalgies collégiennes des mois du solstice : jeu des grâces, croquet, consutes, et le sonnet qui ne se rend pas...
Le doux Monsieur Cotylédon, dans sa barbe blanche et sa redingote verte, s’épanouissait tel un arbre du verger.
Sa figure était un fruit rose parmi les neiges de l’hiver, une cerise sur du coton.
Alors, heureux comme un singe au jardin des plantes, car on grattait ses puces sous soleil, et le rude poil de ses oreilles ébréchées, le vieil ermite riait dans sa cucule de sentir pousser sur sa bosse ce poirier fleuri qui portait des cerises et menait un cœur de coquelicots.
Et il laisse traîner dans l’eau les filoches de sa barbe annelée.
Trois nuages, pommés comme des choux-fleurs, font le gros dos sur l’horizon.
Alexandre VIALATTE
© photo Jean-Luc Gironde : Passant(e ?) qui passe un soir près d’un petit pont de pierre dit du Navire, aux Choux ou de Gironde
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* Le dieu du fleuve Tibre amène
Le Centre : revue d’art et de littérature : Limousin, Périgord, Auvergne, Berry, Poitou, édition mars 1921