Le pinson de mai
Il y avait une fois dans les vieux, vieux temps, un pinson. Il fut assez heureusement avisé pour aller faire son nid dans le tilleul d’un monastère. Heureusement avisé ? Ce fut sans doute un souffle d’en haut venu qui le poussa. Dieu voit à tout, même au sort d’un pinson, pourvoit à tout.
La Providence chaque matin s’éveille
Une heure ou deux plus tôt que le soleil.
Voilà donc le pinson en son arbre, dans la feuille de mai. C’était mai, le mois de Marie, celui où dans les prés de là-haut fleurissent ces narcisses qu’on nomme les « gants blancs », les gants de Notre-Dame. De sa logette au milieu du cloître, le pinson entendait huit fois le jour les nonnes réciter les prières. De prime et de tierce àccomplies, deux mots y revenaient toujours. Et il les entendait, et il les écoutait, puis s’essayant, les répétait de son gosier d’oiseau. Sans savoir, le pauvret, que ces deux mots, c’était l’ange du ciel qui les avait apportés à la terre en venant annoncer le salut du genre humain. La feuille se berçait, les rais de soleil passant balançaient comme des encensoirs ; et mêlé aux feux verts et aux souffles de l’air, le pinson redisait les deux mots revenus sans cesse : Ave Maria ! Ave Maria !
Le monastère était assis sous les forêts pendantes et les flèches de roc, à l’avancée d’une montagne. Un soir que le pinson s’était aventuré sur ces déserts de sapins et de pierres, il sentit tout à coup une présence en suspens sous la nue. A tire d’aile, vers le toit du couvent, comme il se hâta de revenir.
Mais le milan a l’oeil plus perçant que l’enfer. Celui qui tournoyait là-haut avec lenteur, menant sa ronde en ces courants de nuée et de vent, s’est arrêté comme l’aragne qui pend au bout d’un fil. Aux galons blancs de son plumage, il a avisé le pinson.
D’un trait il fond sur lui. Il le saisit, il l’étreint de ses serres.
L’oiselet bien que son coeur s’en allât de lui, a crié. Et il a crié ces deux mots qu’il avait en la tête, ceux qu’il était tout le jour à répéter : Ave Maria, Ave Maria...
Tant est grand le pouvoir de ce nom de Marie, de son nom seul, du seul appel à Notre-Dame, dans l’instant le milan a desserré l’étreinte. Il est reparti vers la nue sans oser toucher à sa proie.
Le pinson d’un vol éperdu est venu se jeter au coeur de son tilleul.
Et il s’est retrouvé dans le baume de l’arbre en fleur, sauvé, rassuré, jubilant,- comme blotti entre les mains de celle qui est la Fleur et la Reine du Monde.
Texte d’Henri Pourrat publié avec l’aimable autorisation de la Société des Amis d’Henri Pourrat.
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