Le crime du Puy-de-Dôme

Une inconnue étranglée - le crime du Puy-de-Dôme en 1855

Jean de Champeix - Les causes célèbres d’Auvergne
Textes publiés dans les éditions des 3, 7,10,11 et 12 octobre 1931 du « Moniteur du Puy-de-Dôme » et repris dans leur intégralité (Collection « Presse auvergnate » des Bibliothèques et médiathèques de Clermont – Auvergne –Métropole)

Ce crime fit, en son temps, à Clermont et dans les environs immédiats de la ville, un bruit énorme ; il en fit d’autant plus qu’il fut, d’abord, environné de mystère et qu’il avait été perpétré presqu’au sommet de notre géant auvergnat. Il sortait aussi de la banalité, mais n’était en somme qu’un de ces crimes qualifiés à juste titre de crapuleux. Voici les faits :

UNE LUGUBRE DÉCOUVERTE

Le 17 novembre 1855, par une idéale journée, un savant clermontois, M. Belvette, faisait au Puy-de-Dôme des expériences atmosphériques. Pour s’y livrer, il avait place des appareils spéciaux sur le coté est du mont, à deux cents mètres environ du sommet.

Bientôt M. Belvette voulut continuer ses essais à une plus grande altitude. Il monta jusqu’au sommet du puy et, en cherchant une place favorable aperçut, horrifié, le cadavre d ’une femme.

Epouvanté, il appela aussitôt une personne qui l’avait accompagné, M. Bravard, et comme tous les deux constataient que la femme était certainement morte à la suite de violences, ils plantèrent là leurs expériences et se rendirent en toute hâte à Clermont où ils avisèrent le Parquet.

LES CONSTATATIONS

Le juge d’instruction, le procureur, le greffier et le médecin légiste, laissant leur voiture sur la route, entreprirent à pied et à pic l’ascension du puy. A deux cent cinquante mètres du sommet, ils trouvèrent d’abord un panier d’osier, à demi-découvert ; ce panier contenait un vêtement de femme et des noisettes…

Plus haut, ils arrivèrent près du cadavre.

La morte reposait la tête inclinée du côté gauche. Du sang s’était échappé du nez, de la bouche et des oreilles de la malheureuse dont la langue, serrée entre les dents, sortait entre les lèvres. Le visage était violacé ; les yeux conservaient une expression d’indicible terreur.

Aucun doute n’était possible, femme avait été étranglée. Son cou était d’ailleurs étreint par un mouchoir blanc, noué à demi sous le menton ; ce mouchoir était déchiré, ensanglanté et serré avec une telle force qu’il avait tracé dans les chairs un sillon d’un centimètre de profondeur.

Les vêtements de la morte avaient été rangés avec soin après le crime. Sur le cadavre, ni argent ni bijoux, mais les oreilles percées indiquaient le port de boucles, de même qu’aux doigts des traces montraient de façon évidente que la femme avait dû être dépouillée de ses bagues.

LE CADAVRE EXPOSĖ À LA BARAQUE

De nombreuses personnes avaient emboîté le pas aux magistrats. Aucune d’elles ne connaissait la victime, une étrangère au pays, probablement. Il fallait donc, tout d’abord, établir son identité.

Le cadavre fut descendu jusqu’à La Baraque et y resta exposé du 18 novembre au 21 du même mois.

Et ce fut, devant lui, un interminable défilé de curieux et de curieuses.

UN DRÔLE DE « PARTICULIER »

Déjà, sur la montagne, lors des constatations, quelques personnes avaient aperçu un homme de haute taille, fortement charpenté, portant une grande barbe noire, qui n ’osait s’approcher du corps, mais cherchait à voir tout de même quelque chose. Lors de l’exposition du corps à La Baraque, le lendemain, plusieurs femmes virent de nouveau cet individu... Il regardait de loin la morte...
- Qu’est-ce que c’est que ce particulier-là ? dit l’une d’elles... On dirait qu’il a peur.
- Oui, fit une autre... il doit avoir quelque chose de louche sur la conscience...

Elles le dévisagèrent et les traits de l’inconnu se gravèrent dans leur mémoire.

L’exposition à La Baraque ne donna aucun résultat. Devant la négative, le parquet fit transporter le corps à l’hospice de Clermont où il resta exposé à partir du 24 novembre.

Indiquons ici que l’autopsie avait démontré que l’assassin devait être doué d’une force peu commune.
- Un hercule a fait le coup, avait dit le médecin légiste.

Et le défilé avait continué devant le cadavre, toujours sans résultat, quand, le 24 au soir, un coup de théâtre se produisit.

UNE DĖPOSITION INTERESSANTE

Cette déposition fut faite par une aubergiste de Clermont, Mme B…
- Le onze novembre, déclara cette dame, vers dix heures du soir, une étrangère est arrivée chez moi avec Michel B…, scieur de long à Clermont. Elle est demeurée dans mon auberge jusqu’au 14 novembre. Ce jour là, elle décida de quitter Clermont et elle partit avec Michel B… qui l’accompagna au chemin de fer. Mais, sans doute, elle revint et me déclara qu’elle remettait son départ au lendemain 15 novembre… Le 15, elle n’est pas partie. Elle est restée jusqu’au 17. Ce que je peux affirmer que le 15, elle avait de l’argent et que le 17 elle ne possédait plus rien, pas même ses bagages.

La police eut alors tôt fait, par les registres de la logeuse, de connaître l’identité de la victime.

IDENTITÉ ETABLIE

C’était une nommée Dorothée Aupérine, qui s’était mariée dans le Berry, au village de Thaumier, avec un sieur D..., qu’elle avait quitté, dans les premiers jours de novembre, pour suivre Michel B.... son amant.

En désertant le foyer conjugal, Dorothée Aupérine avait emporté une somme de 275 francs et tous ses bijoux ainsi que diverses robes.

Les renseignements recueillis sur Michel B... furent probants. Dorothée Aupérine était laide et difforme. Michel B..., un gars superbe, n’avait fait d’elle sa maîtresse que parce que cette disgraciée de la nature ne le laissait manquer de rien.

PRĖCAUTIONS

On le voit, ce Michel B... était un assez triste personnage. Il devait, d’ailleurs, avoir bientôt assez de sa maîtresse. Elle devenait encombrante. Michel B... résolut de s’en débarrasser. Dans la matinée du 16 novembre, il la décida - on ne sut jamais comment - à se dessaisir, à son profit, de tout son argent, de tous ses bijoux et de sa garde-robe, et tout cela s’en fut - car il était marié - l’apporter à sa femme et à sa belle-fille, afin de le soustraire, ultérieurement, à la police.

Puis, le 17 novembre, le temps - nous l’avons dit au début de ce récit - était magnifique, il proposa à sa maîtresse une excursion :
- Veux-tu, lui dit-il, que nous fassions l’ascension du puy de Dôme ? On a du sommet une vue magnifique.

Dorothée Aupérine accepta cette proposition... pour son malheur. Et les deux amants partirent.

LE CRIME

Michel B... s’était dit assez justement que l’époque n’était point celle où les touristes escaladent notre belle montagne auvergnate. Et de fait, partis avant le jour, les deux amants arrivèrent jusqu’au sommet sans avoir rencontré âme qui vive.

Et ce fut le drame, Michel B... se précipita sur la pauvre Dorothée, la jeta brutalement à terre et se mit en devoir de l’étrangler.

Il était colossalement fort. Dorothée poussa bien quelques cris d’appel, mais qui pouvait l’entendre ? Qui pouvait venir à son secours ? Sous l’étreinte de la main puissante que l’avait saisie à la gorge, elle ne tarda pas à perdre à demi-connaissance. Michel B..., constatant qu’elle n’était pas morte, sortit alors un mouchoir de sa poche, le passa au cou de la pauvrette et serra avec une force extraordinaire ce lacet d’un nouveau genre : Sous la pression, le sang jaillit du nez, de la bouche et des oreilles de Dorothée Aupérine, sa langue sortit de ses lèvres et elle expira.

Michel B... prit alors le soin de réparer le désordre des vêtements de sa victime. Pourquoi ? Il ne pouvait cependant pas espérer qu’on crût à une mort naturelle... Mais sait-on ce qui se passe dans la cervelle d’un meurtrier ?

Il prit enfin, peut-être dans l’intention de l’emporter, le panier en osier de sa victime et fit, en descendant quelques mètres. Puis, ayant réfléchi que ce panier pouvait le compromettre, il le jeta là où il fut trouvé.

Et Michel B... dégringola le plus vite possible jusqu’à la route... Un berger passait qui le remarqua :
Ce berger devait devenir plus tard un des témoins à charge, car avec une énergie incroyable, maladroitement aussi, Michel. B..., lors de son arrestation, nia avec énergie s’être trouvé le 17 novembre au puy de Dôme.

LE MEURTRIER RÔDE

Mais à peine Michel B... arrivait-il à La Baraque que M. Belvette faisait la découverte du cadavre de Dorothée Aupérine... Et comme Michel B... venait d’arriver à Clermont, le bruit s’y répandait de cette découverte et du départ immédiat du parquet...

Michel B..., comme presque tous les assassins, reprit le chemin du Puy-de-Dôme, suivit la file des curieux, mais, sans s’approcher du cadavre, tenta de savoir ce qui se passait et surtout si quelqu’un était soupçonné. Il en fut pour ses frais, mais, à plusieurs, son insistance à questionner parut assez suspecte.

Plus suspecte encore, on l’a vu, son attitude lors de l’exposition du corps à La Baraque. Michel B... put croire, cependant, pendant quelques jours, à l’impunité. On n’arrivait pas à identifier la morte.

ON L’ARRÊTE

Mais, le 24 novembre, après la déposition spontanée de l’aubergiste clermontoise, Michel B... se disposa à partir de Clermont. Il n’en eut pas le temps et fut mis en état d’arrestation.

Il protesta avec énergie de son innocence.
- Dorothée m’a quitté, dit-il, dans la matinée du 17. Elle m’a déclaré qu’elle repartait pour Thaumier, afin de réintégrer le domicile conjugal. Je suis, moi, resté à Clermont.

C’est alors qu’il fut mis en présence du berger L...
-  Je vous ai vu, lui dit ce dernier, le 17 novembre, sur la route de La Baraque. Je vous avais même aperçu descendant les pentes du puy de Dôme... Vous couriez comme quelqu’un qui a le feu au derrière. (Sic.)
- Ce n’était pas moi.
- Allons donc !... Je me suis même dit quand vous avez passé à dix mètres de moi : « « Vrai de vrai, c’est un bel homme ».
- Pourquoi vous êtes-vous troublé, à La Baraque, à la vue du cadavre de votre victime et pourquoi êtes-vous venu dans ce village ?
- Tout le monde y allait... J’ai fait comme les autres.
- Mais les autres s’approchaient du corps pour voir s’ils reconnaissaient votre victime... Vous, vous regardiez de loin et vous étiez si pâle, si troublé, que deux femmes se sont étonnées de votre émoi.
- Ces deux femmes ont eu des visions.

Et Michel B... persista dans son système de dénégations énergiques, jusqu’au jour où, chez sa femme et sa belle-fille, furent trouvés l’argent les bijoux et la garde-robe de Dorothée Aupérine.
- Michel, déclarèrent les deux témoins, nous a apporté tout cela le 16 novembre et nous a bien recommandé de le cacher sérieusement. Il nous a dit que c’était une femme qui lui avait confié ces objets et cet argent, la femme d’un de ses amis mais que la justice pourrait lui créer des ennuis, si elle savait cela.

AVEUX

Cette fois, pressé de questions habiles, Michel B... se décida à passer des aveux. Mais il visa la préméditation et raconta une histoire à dormir debout.
- Je n’avais, assura-t-il, nullement l’intention d’assassiner Dorothée, dit-il. Si j’ai apporté ses effets chez ma femme, c’est sur la demande de ma maîtresse, qui savait que son mari la faisait rechercher et qui ne voulait pas qu’il les reprit. Nous étions partis bien tranquilles et nous allions arriver au sommet du Puy, quand Dorothée, qui mangeait des noisettes qu’elle avait emportées, m’en a jeté une au visage. Cette noisette m’a atteint à un œil. Cela m’a fait très mal. Je me suis fâché. Dorothée s’est moquée de moi, alors la colère m’a pris comme ça, d’un coup, je l’ai jetée à terre. Elle m’a injurié et frappé... C’est alors que dans un accès de rage, je l’ai étranglée.

AUX ASSISES

Devant le jury, Michel B... soutint cette version du crime et ne voulut pas en démordre. Mais la déposition émouvante du mari de la victime, le sieur P..., montra l’accusé sous son véritable jour :
- C’est un misérable, dit le témoin. Je le recevais chez moi et il n’a eu de repos que quand il a eu pris ma femme. Dorothée le soignait de son mieux et lui faisait tous les jours de bons plats. Moi, je ne m’apercevais de rien... Mon argent, cependant, disparaissait petit à petit, mais Dorothée me fournissait des explications assez plausibles. Et dire que mes sous allaient à ce salaud... Puis, un beau matin, plus de femme, plus un centime à la maison... Dorothée avait tout emporté et filé avec Michel. C’est bien lui qui l’a tuée... Après tout, elle n’a eu que ce qu’elle méritait. Cette phrase devait sauver la tête de Michel B...

Si, en effet, l’avocat général, dans un réquisitoire magistral, brossa de Michel B... un portrait peu flatteur, s’il démontra que l’accusé n’était en somme qu’un vulgaire souteneur, s’il établit, de façon la plus nette, la préméditation et, dans une péroraison d’une envolée superbe, réclama le châtiment suprême, le défenseur du misérable, sans admettre cependant la version de son client, soutint qu’il était fort possible qu’une discussion, qui devait mal finir, ait pu se produire entre la victime et le meurtrier.

Et il conclut :
- Mon client, dites-vous, monsieur l’avocat général, est peu intéressant. La victime l’était-elle ? Ce n’est pas Michel B... qui en a fait sa maîtresse. C’est elle qui l’a voulu à toute force pour amant. Ce n’est pas lui qui l’a décidée à fuir le domicile conjugal. C’est elle qui a exigé qu’il l’emmenât...
Dorothée Aupérine a été cruellement punie de ses fautes. Mais la mort doit-elle frapper, alors que, tout, messieurs les jurés, vous incite à accorder des circonstances atténuantes ? vous les accorderez.

Et le jury les accorda. Michel B…ne fut condamné qu’aux travaux forcés à perpétuité.

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