Le crime de Piboulet en 1884

Les assassins trahis par une boîte de sardines : le crime de Piboulet - 1884


Les couplets du crime de Piboulet
(Crimino-Corpus - Musée d’histoire de la justice, des crimes et des peines)

Au sommet de cette rude côte de Piboulet, que connaissent bien tous ceux qui ont parcouru l’arrondissement de Thiers, s’élevait alors une maisonnette où son propriétaire tenait une sorte de buvette-épicerie. Elle était relativement assez achalandée. A une époque où la bicyclette n’était pas encore employée comme moyen de locomotion, où on était loin de penser à l’automobile, les voituriers s’y arrêtaient volontiers pour se rafraîchir.

L’aubergiste, presqu’un vieillard, était aimable, accueillant, empressé auprès de ses clients et ses petites affaires étaient assez prospères...

La salle était située, naturellement, au rez-de-chaussée et, près du comptoir-caisse, se trouvait une trappe qui se levant sur un escalier, menait à la cave...

On disait le père Chaussière assez fortuné. Chaque soir, il faisait le compte des gains journaliers et montait se mettre tranquillement au lit après avoir fermé solidement sa porte. S’il se levait tôt, il se couchait relativement de bonne heure, car l’habitation était dans un lieu désert...

Durant la journée, le père Chaussière laissait son magot dans le tiroir-caisse

Parfois, venait chez lui, vider une chopine, un sieur J..., avec lequel il faisait un brin de causette.
- Alors, ça va les affaires ?...
- On n’est pas mécontent...
-  Vous devez faire de bonnes journées ?...
- Je n’ai pas à me plaindre...

Ce J... connaissait on ne peut mieux les habitudes du père Chaussière. Il n’ignorait point que celui-ci laissait presque toujours son magot dans le tiroir de son comptoir et, souvent, en voyant l’aubergiste l’ouvrir, pour rendre de la monnaie, il avait aperçu des sommes assez rondelettes...

Les jours passaient... J... continuait à venir de temps à autre à l’auberge de Piboulet. Il était presque toujours seul...

Une après-midi, vers le soir, il se présenta au débit. Cette fois, il était accompagné...

Son compagnon paraissait âgé de vingt-cinq à trente ans. C’était un superbe gaillard, haut de taille, large d’épaules, bâti en force mais remarquablement proportionné. Les deux hommes s’assirent à une table et J... commanda :
- Allons, père Chaussière, un litre de bon vin.
L’aubergiste plaça deux verres devant les consommateurs :
- Je descends à la cave, fit-il.

Les deux clients se regardèrent et J... fit un signe à celui qui était entré avec lui. Ce signe signifiait :
- C’est le moment .

Et comme le père Chaussière venait de soulever la trappe qui permettait l’accès de la cave, comme il mettait le pied sur la première marche, le nouvel arrivant, un colosse, se leva bondit vers le malheureux aubergiste et l’abattit d’un coup formidable d’un instrument contondant.

Le père Chaussière râlait, son meurtrier l’acheva très vite en l’étouffant. J... et lui coururent au tiroir-caisse, s’emparèrent du contenu et s’apprêtaient à prendre la fuite...

Sans doute, ils se proposaient de fournir une assez longue étape, le crime commis, car l’assassin dit à son complice en lui montrant une « miche » :
- Prends ce pain...

Lui-même, avisait dans un placard, des conserves, s’empara d’une boîte de sardines et la mit dans sa poche.

Après quoi, comme la nuit tombait, ils s’enfuirent.

Dès la découverte de cet horrible crime, accompli avec une rapidité déconcertante, le Parquet de Thiers, prévenu, arriva en hâte et n’eut aucune peine à établir quel en avait été le mobile : le vol. Le tiroir-caisse béait, en effet, vide de son contenu...

Le juge d’instruction était un magistrat très habile, qui ne négligeait, dans une affaire, aucun détail. Les verres, vidés, sur une table, parlaient éloquemment. Ils indiquaient que les criminels étaient deux et le crime se reconstituait d’autant plus aisément que la trappe de la cave était restée ouverte, que le cadavre gisait sur les marches. C’était donc au moment où l’aubergiste allait chercher du vin qu’il avait été assailli et avait été tué...

La boîte de sardines

Mais le placard ouvert fit penser au magistrat que les criminels avaient pu dérober autre chose que de l’argent et ses regards se portèrent sur une pile de boîtes de sardines que, dans sa précipitation à prendre une de ces boites, un des assassins avait dérangée... Il supposa, non sans raison, qu’on pouvait en avoir emporté une ou deux boîtes et il releva soigneusement la marque de fabrique, marque assez peu courante.

Et la gendarmerie fut mise au courant, avec mission de rechercher les agresseurs...

Deux jours plus tard, au cours de leur enquête, menée avec ce soin minutieux et cette adresse qu’ils déploient toujours, les gendarmes apprenaient qu’à une quinzaine de kilomètres de là, au matin, deux individus s’étaient fait servir, dans une auberge, un litre de vin blanc qu’ils avaient laissé, vidée en mangeant du pain et des sardines. Ces deux individus avaient laissé la boite sur la table et cette boîte avait été jetée aux ordures. On la chercha, on la retrouva... elle portait une marque identique à celle des boîtes du père Chaussière.

Plus de doutes, elle avait été ouverte et mangée par les assassins...

Or, l’aubergiste, connaissant ses deux clients, il les nomma, c’était J... et un sieur Biton.

L’arrestation des deux coupables ne traîna pas. Si on trouva peu d’argent sur J…, on recueillit une somme assez importante dans les poches de Biton, qui, ne travaillant presque jamais, ne put en expliquer la provenance...

L’enquête, poussée à fond, établit ensuite la présence de J... et Biton, quelques instants avant le crime, sur la montée de Piboulet, où ils avaient été rencontrés ; d’aucuns reconnurent J... ; d’autres Biton, qu’ils n’avaient jamais vu auparavant, mais dont la carrure athlétique avait attiré leur attention. Ils l’avaient dévisagé et pensé :

- Quel bel homme !

Mis en présence de Biton, ils n’eurent pas une minute d’hésitation :
- C’est bien lui que nous avons vu, dirent-ils, se diriger vers l’auberge...

Biton nia tout d’abord, mais J... passa des aveux qui finirent par entraîner les siens.
— Eh bien ! soit, fit-il, j’ai tué..., mais c’est J… qui m’a indiqué le coup à faire.

En Cour d’assises, les témoignages écrasèrent Biton, J... l’accabla :
- Depuis longtemps, dit-il, Biton cherchait un mauvais coup à faire... Souvent il m’en parlait... J ’ai alors pensé au père Chaussière dont j’étais l’un des habitués, mais Biton m’avait promis de seulement « l’étourdir »...

J…s’en tira à assez bon compte. Pour Biton, le jury se montra impitoyable et le sinistre assassin fut condamné à mort.

Pour éviter l’échafaud, Biton se pourvut en cassation. Mais les moyens invoqués par son défenseur ne purent faire révoquer la sentence. Biton n’avait plus qu’à espérer une mesure de clémence. Elle lui fut refusée...

Et, pendant plus de deux mois Biton escompta en vain sa grâce. Il y croyait.

Il se montrait docile avec ses gardiens, faisait avec eux d’interminables parties de cartes, dormait bien. Sa santé demeurait florissante.

Un jour, le bruit se répandit à Riom et à Clermont, que l’exécution de Biton était imminente. Et pendant plusieurs jours, la foule, cette foule avide de voir mourir un homme, attendit...

Puis, les bois de justice arrivèrent enfin et la venue du bourreau fut signalée...

On assista alors à la ruée des Clermontois vers Riom. Cependant que, de tous côtés, on accourait dans cette ville.

Le condamné rêvait de Nouvelle-Calédonie alors que 7000 curieux assistaient à son exécution

Ce fut par une matinée d’un bel été qu’eut lieu, à la maison d’arrêt, le terrible réveil de Biton. Il avait, selon son habitude, dormi d’un sommeil de plomb. La veille, il avait plaisanté avec ses gardiens et fait des projets d’avenir...
- Je me conduirai bien au bagne, avait-il dit...

Quand le procureur de la République, assisté du défenseur de Biton et de l’aumônier, pénétra dans sa cellule et éveilla le condamné, celui-ci devint affreusement pâle. Avant que le magistrat ne parlât, le malheureux avait compris :
-  C’est dur, dit-il de mourir à mon âge...
- Ayez du courage, dit le procureur
Biton ne répondit pas... Bientôt, il était livré au bourreau.
Ici un détail. L’exécuteur des hautes œuvres, en voyant celui qu’il allait faire passer de vie à trépas, demeura un instant silencieux... Il regardait le condamné, puis il laissa tomber de ses lèvres cette phrase textuelle et déplacée :
- Je n’ai jamais fait un homme aussi magnifique...

Il procéda ensuite à la toilette et, bientôt, Biton sortit de la maison d’arrêt cependant que s’élevaient les clameurs de la foule...

La guillotine s’élevait à cinq ou six mètres de là... Elle dressait, dans un ciel d’une pureté incomparable, sa silhouette hideuse... Sur la Limagne, le soleil allait se lever, les oiseaux, dans les arbres du Pré-Madame piaillaient...

Livide, Biton, auquel l’aumônier tentait d’éviter la vue de la tueuse d’hommes, s’avançait d’un pas chancelant... Et soudain, il vit... alors, il se rejeta en arrière, déséquilibra un instant, malgré ses liens et tant il était fort, les aides du bourreau... Résistance inutile ; il fut jeté sur la bascule...

Il ne s’avouait pas vaincu... dans sa soif de vivre, il tenta encore d’arracher de la lunette sa tête que, dans un effort suprême, il rejeta on arrière, de telle sorte que le couperet en tombant, la trancha à la hauteur du maxillaire inférieur.

Le moulage de cette tête, je l’ai vu chez un statuaire clermontois. Il appartenait à un médecin de Clermont qui avait été autorisé à faire sur elle des expériences.

Et à regarder ce masque tragique, on restait épouvanté.

En illustration, Une des premières boîtes de conserve nantaises. Boîte de conserve (sardines à l’huile) Vincent Colin Nantes Vers 1840 - Château des ducs de Bretagne – Musée d’histoire de Nantes, Alain Guillard

Jean de Champeix (Les causes célèbres d’Auvergne)
Textes publiés dans les éditions des 18, 22 et 24 août 1931 du « Moniteur du Puy-de-Dôme » et repris dans leur intégralité (Collection « Presse auvergnate » des Bibliothèques et médiathèques de Clermont – Auvergne –Métropole)
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