La maison hantée de Fournols
Depuis quelque temps, quatre à cinq semaines environ, le bureau de poste de Fournols est le théâtre de phénomènes étranges qui ont fini par provoquer la panique dans le personnel des postes et parmi les habitants du quartier.
Il y a cinq semaines environ, Mademoiselle la Receveuse entendit dans son bureau et dans les appartements voisins une espèce de ronflement qui rappelait vaguement le bruit lointain d’un avion.
Tout d’abord, elle n’y attacha pas d’importance. Mais avec le temps, le bruit augmenta en durée et en intensité et atteignit, certaines nuits, un diapason inquiétant. C’était la nuit du Mardi-Gras : le bruit devint si intense qu’il lui sembla qu’un moteur électrique ou à pétrole marchait dans l’appartement situé à l’étage inférieur.
Prise d’une panique folle, elle alla demander du secours chez les voisins.
Ses appels furent écoutés par quelques citoyens de bonne volonté qui se rendirent dans le bureau et là furent témoins d’un charivari colossal qui n’avait rien d’extraordinaire un jour de Mardi-Gras. Mais les auteurs du concert restaient dans la coulisse : ils étaient invisibles.
Pour la compréhension de ce récit, je dois donner quelques détails sur la disposition des lieux.
L’hôtel des postes est situé au centre du bourg, à quarante mètres de l’église. Cette maison appartenait à M. le docteur Pourtier, de Manzat, qui l’a vendue il y a un an au boucher de Fournols. Le rez-de-chaussée est inhabité.
L’étage occupé par la poste est au premier du côté du midi et au rez-de-chaussée côté nord.
En présence de cet état de choses les citoyens qui étaient intervenus allèrent quérir le propriétaire de l’immeuble et le sommèrent de venir ouvrir les portes de ses appartements pour connaître la cause de ce vacarme.
Celui-ci s’exécuta sur le champ, il se rendit au bureau, où il entendit comme les autres le concert carnavalesque laïque et gratuit dont profilaient ses auditeurs.
Les appartements du rez-de-chaussée furent ouverts et fouillés avec soin : on n’y découvrit aucun personnage suspect, on n’y trouva pas davantage de moteur mécanique, de scie mécanique , ni de perforateur, enfin aucun instrument de musique, orgue de barbarie, vielle moyenâgeuse pouvant rendre compte de l’infernal concert qui continuait toujours. Enfin, malgré l’étrangeté des faits, tous ceux qui en étaient témoins furent d’avis qu’il n’y avait pas lieu d’incriminer dans cette affaire l’intervention du suppôt de messire Satanas , qui est connu dans la mythologie Fournolaise sous le nom de « Letien ».
Toujours est-il que les citoyens de bonne volonté qui consentirent à monter la garde furent tenus en éveil par cette musique jusqu’à cinq heures du matin, où tout rentra dans le silence comme par enchantement.
Maintenant, quelle est la cause de ce phénomène étrange ? Je n’ai pas besoin de vous dire que les hypothèses les plus étranges et les plus burlesques ont été émises à ce sujet. Certains ont voulu voir une relation entre ce concert et les pérégrinations de certains noctambules qui se reproduisaient régulièrement à une certaine heure de la nuit. Mais ces promenades ont cessé avec la neige et l’abaissement de la température. D’autres ont attribué tout ce tapage à la traction exercée par le froid sur les fils télégraphiques et téléphoniques. Mais les bureaux du voisinage, dont l’altitude et le climat sont les mêmes qu’’à Fournols ont été alertés et rien de semblable n’v a été signalé II me semble qu’il ne reste plus d’hypothèse plausible que celle de phénomènes électriques occasionnés par induction dans les appareils télégraphiques, phénomènes qui se produisent en temps d’orages ou tels que ceux qui occasionnent les aurores boréales. Il serait à souhaiter que des ingénieurs télégraphistes soient désignés pour venir étudier les faits sur place et donner la clé de cette énigme.
D’après L’Avenir du Plateau Central - Edition du 18 avril 1929
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