La coutellerie thiernoise de 1500 à 1800 : marques de fabrique

CHAPITRE V
I. Des marques de fabrique

Autant de maîtres Couteliers, autant de marques, ou caractères propres à marquer, à distinguer les ouvrages fabriqués à Thiers. La marque est le blason de chaque maître ; c’est par elle, et non par l’empreinte du nom, que les produits de notre industrie se recommandent au consommateur. Tant vaut le
couteau, tant vaut la marque. Aussi que de précautions pour éviter les contrefaçons. Daignez pour vous en convaincre relire les statuts de la Jurande. La fraude est si facile et peut être si profitable, surtout en ces temps où la gravure du poinson est tellement grossière ! Et puis ne suffit-il pas de l’omission d’un seul trait, d’un point, d’un croissant, etc., pour permettre la confusion de deux marques distinctes cependant ? Nous donnons à la fin de cet ouvrage un tableau des ventes de plusieurs marques de notre fabrique. C’est
un moyen de constater en quoi consistaient ces signes particuliers de chaque maître, d’indiquer leur valeur, et de faire passer en même temps à la postérité les noms d’un grand nombre de Couteliers d’autrefois. Le lecteur voudra bien y recourir, s’il le juge convenable. Actuellement, donnons ici quelques exemples de la vigilance déployée par les Jurés visiteurs relativement à cette contrefaçon des marques...

En 1595. — Procès-verbal de saisie faite par les Visiteurs Annet Bellin, Antoine Brunel et François Sabattier, à la requête de Guillaume Manbrun,
Me Coutelier, habitant au village de Mambrun, représentant ses consorts ou sa Communauté (15 membres mâles), sur Gabriel Courtade dit Grangeon, coutelier au village des Belins, et Blaise Pourcharesse, de la Vidallie. Les Manbrun ont appris : « Que chascun d’eux forgent en leurs maisons des allemelles de couteaux et à icelles mettent marque ou impression d’une lettre M en lettre Romayne, voire en mettent 2 l’une sur l’autre. » Les délinquants sont propriétaires de la marque de l’N, et leur but en doublant cette marque,
surtout en ayant soin de faire emporter et effacer un ou deux jambages par l’Emouleur, est facile à comprendre. On saisit donc chez eux « 10 douzaines de couteaux appelés Grands Chalellerault, et 2 appelés Grands Boucherons » portant la double empreinte de la lettre M. Confiscation de la marchandise et jugement du châtelain qui les condamne à se contenter de frapper et marquer l’N seule...

En 1621.— Les Visiteurs Annet Bellin, Louis Prodon, Pierre Rigodias et Mathieu Begon, saisissent dans les magasins des frères Courtade, marchands à Thiers, divers couteaux portant la marque de la Hallebarde, qui est celle de Bellin, et qui leur ont été vendus par André Pozet-Barge. Procès en contrefaçon, confiscation des objets saisis et double condamnation contre Courtade et Pozet-Barge...

En 1671. — Louis Costebert, Me Coutelier, fait saisir sur les Bechon, Me Couteliers au village de Bechon, divers articles, prétendant que la marque qu’ils
portent est la sienne, soit l’ Etrier couronné. Erreur profonde, disent les Bechon, cette marque n’est autre que la nôtre, soit le Chapeau couronné. En fin de compte, par transaction reçue Gardelle, notaire, « les parties prennent l’engagement de s’en tenir désormais scrupuleusement à leurs marques respectives, telles qu’elles sont immatriculées dans la table do plomb, si bien que le Chapeau couronné de Bechon ne puisse plus ressembler à l’Etrier couronné de Costebert... »

En 1705. — Procès entre Jean Bostmambrun, Me Coutelier du village du Montel, et Antoine Chabrol, maître du même village. Bostmanbrun prétend
que la marque de L’M avec une étoile au-dessus, empreinte sur les lames saisies est une contrefaçon de sa marque L’M avec une barre au-dessus. Recours au plomb, et jugé qu’on se conformera des deux parts à l’empreinte immatriculée...

En 1706. — André de Boilteriges, Me Coutelier de la ville, invente et veut faire recevoir une marque nouvelle qu’il appelle la Trompette. Opposition de la
part de Me Genès Meallet, fondé sur la ressemblance du susdit Trompette avec son Mousquetaire. Après tout, l’opposition peut être juste ; car rien ne ressemble plus à un Mousquetaire qu’une Trompette de Mousque-
taires
par exemple. Il en devait être ainsi, car les maîtres assemblés constatent cette ressemblance ; et le Procureur d’office, conformément à leur délibération,
s’oppose à l’admission de la marque nouvelle...

En 1699. — Un Lion est un Lion, direz-vous peut-être. Un Lion est un Griffon, disent les visiteurs de 1699. Ces deux animaux ne constituent qu’une seule et même marque ; donc deux maîtres différents ne peuvent en user. Le Lion est une marque ancienne, propriété de Me Antoine Maubert-Bechon. Guillaume, son propre fils, a tort de vouloir créer le Griffon qui est une nouveauté ; donc, respect au Lion ! mais arrière le Griffon !...

En 1708. — Entre des Ciseaux et des Lunettes vous trouveriez sans doute plus d’une dissemblance. Laissez-moi vous dire poliment que vous vous trompez. Entre ces deux marques, toute la différence, c’est que les Lunettes constituent une marque ancienne, propriété de Me Jean Londant, tandis que les Ciseaux sont une nouveauté que prétend introduire Me Jacques Bechon...

En 1703. — Rien ne ressemblera davantage à la lettre romaine F droite, que la même renversée, selon la manière de considérer l’objet sur lequel cette marque est empreinte. En 1703, Pierre Provenchères marque l’F renversée ; quant à l’F droite, elle est vacante par suite du décès de son propriétaire qui n’a point d’héritiers. Antoine de Lignières profite de cette vacance pour usurper sans façon l’F droite et en marquer ses ouvrages. Plainte de Provenchères par requête au Châtelain, qui demande, suivant l’usage en cette matière, l’avis des maîtres assemblés. Ils comprennent que l’occasion est belle de supprimer une marque qui peut par sa ressemblance avec une autre occasionner des contrefaçons ; Antoine de Lignières ne peut garder un bien
qu’il a usurpé. La marque devenue par le décès du titulaire sans héritiers, res nullius, est devenue la chose de la Jurande qui décide « que Provenchères
demeurera maître et propriétaire des deux marques à la charge qu’il ne pourra se servir que de l’une d’elles, suivant les Règles et Statuts, moyennant 15 livres qu’il donnera à la Frérie pour employer au divin Service...
 »

En 1679. — A et B sont les deux premières lettres de l’alphabet ; c’est aussi la marque revendiquée par Me Antoine Brunel, et l’occasion d’un procès en la
Châtellenie ; procès dont nous possédons toutes les pièces. Comme elles contiennent plus d’un enseignement utile, qu’il nous soit permis de nous y arrêter un instant.

Et d’abord : Antoine Brunel n’est ni un Thiernois ni un simple Coutelier. Il habite loin de nous, à Billom, et s’intitule « Me Coutelier Mareschal et Grossier. » Mais il a été reçu « en la Jurande de Thiers le 20 juin 1668 » c’est à Thiers qu’il fait fabriquer. Il est donc soumis à la loi commune, et notamment aux dispositions relatives à la marque des ouvrages. Il devra avoir une marque spéciale...
— « Mais il marque en effet les deux lettres romaines AB ? »
D’accord. Mais celte marque a-t-elle été reçue dans les formes légales ? Est-elle immatriculée dans la Table de plomb ? C’est là toute la question. Elle est soulevée un peu tard, sans doute, puisque Brunel use de sa marque depuis
1668, date de sa réception comme maître, et le procès ne commence qu’en 1679. Mais les Visiteurs appliquent à la réformation des abus ce principe connu : Mieux vaut tard que jamais. Et voilà pourquoi le 6 juillet 1679 ils dressent le procès-verbal suivant :

« Aujourd’huy jeudy 6 juillet 1679, entour une heure après midy, nous Jean Lacroix, Genès Meallet et Gabriel Delarbre, trois des Mes Jurés visiteurs
du métier de Coutelier de la ville et mandement de Thiers, faisant notre visite pour descouvrir les fraudes et malversations qui se font dans led. mestier soit
pour les mauvais ouvrages qui se font ou en ce que plusieurs contrefont les marques les uns des autres et en impriment à leur fantaisie sans qu’elles soient
gravées dans la matricule des marques des Mes dudit mestier, nous sommes transportés dans un rouhet ou moullin à esmoudre quinqualhe et tranchants situé sur la rivière de Durolle, au dessoubs de l’église de St-Jean de Thiers, appartenant à sieur Gabriel Camusal marchand aud. Thiers : où nous avons trouvé Antoine Vachon et Jean Stipon Mes Esmoleurs lesquels nous avons requis d’assister à la visite que nous voulions faire dans la place de Jean Coste-Farge dit Grilhon m l’un des locataires dud. rouhet : ce qu’ils nous ont accordé. El en leur présence nous sommes portés dans la place dud. Coste-Farge où nous avons trouvé une douzaine faucilles et deux serpes marquées en cette forme AB. Et ayant enquis led. Cosle de qui il tenait ces ouvrages iceluy nous a respondu qu’il les tenoit d’Antoine Brunel taillandier de la ville de Billom lequel les luy avoit bailhiées pour esmoudre : et luy ayant remonstréque led. Brunel étoit reçu Me Coutelier et par conséquent subjet à toutes les Règles et Statuts dudit mestier de Coutelier dans lesquels sont comprins tous ceulx qui font des tranchants, ainsyque ledit Brunel l’avoit rccogneu en se présentant à lad. Maîtrize, ayant fait expériance et ayant été reçu maître, et qu’en celte qualité il devoit avoir une marque certaine qui fut gravée dans le Plomb et Matricule des marques dud. mestier, et que celle qu’il gravoit sur ses ouvrages en la forme susdite n’étoit point gravée dans led. Plomb, et par ce moyen qu’il avoit contrevenu ausd. Règles et Statuts, que les autresTallandiers avoient leurs marques gravées dans led. plomb, et qu’il devoit suyvre leur exemple, Icelluy nous a dit : que ce n’est pas son affaire, et qu’il ne vouioit pas empescher que lesd. Règles ne fussent exécutées ; Ce qui nous a obligé de nous saisir desd. faucilles et serpes, et icelles déposer es mains de Pierre Sabailier Me Coutelier de lad. ville pour estre ensuite apportées au Greffe de la Chatellenie de cette ville, pour en estre par nous demandé la confiscation avec amende despens domages et intérêts...
 »

Brunel n’attendit point que le procès lui fut fait. Il l’engagea lui-même par une première requête au Châtelain, du 7 juillet, tendante à la nullité de la saisie,
comme « tortionnaire et injurieuse. » Les Visiteurs font à cette demande une première réponse, le 29 du même mois. Seconde requête de Brunel pour demander communication du procès-verbal de saisie ; cela fait, troisième requête au Châtelain signifiée par Vernel procureur de Brunel à Daurelle procureur des Visiteurs, où les moyens du demandeur sont plus explicitement déduits.

Il s’étonne que les Visiteurs n’aient pas encore fait droit à son assignation et donné main-levée de la saisie de ses ouvrages, « attendu qu’on n’a aucune raison de les retenir, considéré que non-seullement il est maître dudit art de coutellerie, mais encore que cette sorte d’ouvrage de grosserie n’est pas traité a la rigueur comme les autres ouvrages parfaits et délicats dud. art, soit à cause que la grosserie ne le mérite pas, soit à cause que n’y ayant que très-peu de maîtres de cette sorte, le corps n’a presque point d’intérêt de leur faire
observer les règles que par une simple dépendance et pour en tirer ses droits de maîtrise. C’est ce qu’on lui remontra quand il voulut commencer de travailler
en l’année 1668, en la qualité de maitre et soubs la même marque qu’il fait à présent. Car les maîtres Visiteurs de cette année ne voulant pas souffrir qu’il fit
paraistre ses ouvrages dans lad, ville ny qu’il les fit esmoudre dans le rouhet, n’eurent point d’autre raison sinon que la grosserie étoit une dépendance dud. art de coutelier et que pour cela il y falloit passer maître. Et bien qu’il eut eu raison, do se roidir à cela, néant-moins il aima mieux recognoistre leur maîtrise que d’exposer un procès avec eux ; si bien que ayant passé maitre depuis l’année 1668, il a fait depuis comme il faisoit auparavant ses ouvrages marqués AB sans que personne l’ait aucunement inquiété ; outre cela, en tant que de besoin il met en fait et articulé positivement ; que lorsqu’il passa maître, il présenta aux maîtres Visiteurs de ce temps son ouvrage marque de lad. marque AB. Il offre en outre de prouver que sur la demande qu’il leur fit à cette époque de mettre lad. marque dans le plomb, il lui fut répondu : que le plomb
étoit rempli et qu’il n’y avoit plus place, qu’il falloit attendre qu’il y eut un nouveau plomb.

Si bien que ayant eu cette permission depuis 1668, des Visiteurs de lad, année et ayant du depuis jouy paisiblement de lad. marque, c’est une possession acquise qui ne sauroit lui être contestée, non pas même quand il n’auroit aucune permission et ne l’auroit fait que de son autorité privée, parce que la possession une fois acquise au vu et au su de toute une ville et pendant si
longtemps ne sauroit lui être si bizarement ravie. Il faudroit au moins passer dans les formes, et contester premièrement au possessoire de la part des défendeurs auparavant que de pouvoir espérer de rien obtenir au petitoire. Et comme la Cour voit que la possession du demandeur n’est point contestée de laquelle d’ailleurs il offre de rapporter preuve en cas de besoin, il s’ensuit
que de quelque façon qu’on regarde la chose la saisie est nulle, tortionnaire et injurieuse, de laquelle mainlevée doit être faite, sauf aux Visiteurs de se pourvoir par simple action, à quoi le suppliant conclud, attendu que c’est un trouble formel à sa possession ».

A cette requête les Visiteurs ripostent, le 8 août suivant, par une nouvelle écriture ; ils traitent les faits de permission et de possession allégués par Brunel de « imaginaires et inadmissibles. » Ils repoussent l’interrogatoire demandé des Visiteurs de 1668 pour obtenir d’eux l’aveu de la prétendue permission qu’ils auraient donnée, « ce qui est aussy absurde et ridicule, sauf respect, que les conclusions possessoires, parce qu’il n’est pas au pouvoir des maîtres jurés Visiteurs, sans ordonnance du Châtelain juge conservateur de la Jurande, de donner aucune permission contraire à la disposition des règles et statuts du métier, Chartres, arrêts de parlement et ordonnances de la sénéchaussée d’Auvergne et de cette châtellenie qui l’ont établie.

— La table de plomb était remplie ?
— C’est possible, mais parmi les marques gravées, il en était beaucoup do vacantes en 1668, « il y en a encore plus de cent qui sont vaccantes et en vente. » Brunel devait donc acheter une de ces marques, au lieu d’en introduire une nouvelle, conformément aux Statuts.
— Quant a ce qu’il allègue, « que les ouvrages fabriqués par lui ne sont pas des plus délicats, et que c’est seulement par une espèce de bienséance qu’il s’est fait recevoir maitre. » Qu’importe ? le point essentiel, c’est qu’il est maître, donc soumis aux règles de la Jurande. « Ce qui est véritable, c’est que tous les autres Taillandiers qui font des faucilles, serpes, hachoirs et autres tranchants ont leurs marques gravées et plaquées dans le plomb, et n’ont
jamais osé faire une entreprise semblable à celle de Brunel ; ce qui est d’une grande considération et même décisif, et d’autant plus que lesd. Taillandiers quand ils se sont présentés à lad. maîtrise n’ont fait pour leurs chefs d’oeuvres que des faucilles, serpes, couteaux d’épée, goyes, couteaux et autres tranchants, parce que tous lesd. ouvrages et tranchants entrent dans lad. maitrise, et que celluy qui fait les faucilles, serpes et hachoirs a le pouvoir et la liberté entière de faire des couteaux et ciseaux comme font les autres maîtres Couteliers et Taillandiers. Et pour faire voir que tout cela est véritable, lesd. Visiteurs font production des actes de réception à la maîtrise des maitres Couteliers et Taillandiers qui ont fait leurs expériences par des faucilles et serpes, bien que cella soit une vérité publique et constante dont personne ne peut disconvenir.
 »
Cella présuposé, et que la marque de chaque maitre est son principal bien, et que les uns ne peuvent rien entreprendre sur les autres, parce que tout leur crédit dépend de la et de la distinction et différence de leurs marques recognues et approuvées par tout le Corps, l’on peut dire que l’on ne voit pas comment Brunel a le front de soutenir qu’il a pu de son autorité inventer une marque et do la graver sur ses ouvrages sans être gravée sur la table de plomb. Le fait énoncé par lui d’avoir joui de celte marque pendant 10 ans, ne le rend que « plus punissable et plus criminel puisque sa contravention a eu une durée d’un si long temps et qu’elle est occulte et défendue. »

Ici nouveaux débats et nouvelles écritures signées de Me Clounet, avocat de Brunel, et de Me Durohanmys, avocat des Visiteurs, relativement aux caractères légaux de la possession prétendue par Brunel. Grâces à Dieu ! la matière est sommaire d’après les statuts de la Jurande ; sans cela avant d’arriver à la solution, nous serions obligé de compter autant de requêtes, contre-requêtes , écritures, réponses, etc., qu’un chapelet compte de grains. Nous pouvons donc laissant de côté cette querelle fort instructive pourtant entre les deux avocats, sur la question de droit que le procès fait naître, assister au prononcé du jugement le 5 décembre 1679, par « Mre Antoine Aslier, sieur de la Verchère, conseiller au conseil de S. A. R. Mademoiselle, châtelain et juge ordinaire es chatellenie, ville, baronnie et mandement de Thiers,par très-haute et Irès-puissante Princesse Madame Damoizolle Anne-
Marie-Louiso d’Orléans, duchesse de Montponsier, souveraine de Dombes, dauphine d’Auvergne, dame et baronne dud. Thiers » . Le dispositif de ce jugement est ainsi conçu :

« Nous disons la saisie en question avoir été bien faite. Faisons défense audit Brunel, demandeur, de plus marquer ses ouvrages de coutellerie do la marque
AB ny d’autre marque que de l’une de celles qui sont empreintes dans le plomb ou matricule de l’art et Jurande de couteliers de cette ville à peine d’amende et confiscation. Et néantmoins ordonnons que les ouvrages saisis et mis au greffe seront délivrés aud. demandeur en payant les frais de la saisie et de la procédure auxquels nous l’avons condamné taxés à la somme de 16 livres 15 sols, sans comprendre l’expédition des présentes.
 »

Comme on le voit par la teneur de ce jugement, le principe posé dans les Statuts était consacré. Si Brunel échappa aux conséquences de sa contravention, quant à la confiscation des ouvrages saisis et l’application de
l’amende, il le dut, sans doute, à l’admission par le Juge de celle excuse tirée de sa prétendue bonne foi résultant du long espace de temps pendant lequel il
avait usé de sa marque, sans être inquiété par les Visiteurs des années précédentes.

Avant de rentrer ce dossier dans le sac de Procureur d’où nous l’avons extrait, qu’il nous soit permis de donner ici les noms des maîtres couteliers-taillandiers, dont les actes de réception furent produits au débat ; ces
Maîtres sont :

En 1617. — « Michel Desolmades, fils à Romain, a fait pour son chef-d’oeuvre deux faulx ou faucilles et une sarpe à tailler la vigne, forgés et manches chez
Antoine Desapt, visiteur, en la présence des autres maîtres, Michel Meallet, Durand Roche et Benoit Dufaux. A fait son apprentissage en la maison de
Pierre Mambrun-Barbarin, et du depuis a travaillé chez Annet Girodon. »

En 1618. — « Etienne Chazeau a fait pour son chef-d’oeuvre 12 couteaux d’espée, manche d’os, faits en la maison de Guillaume Fédit, présence des au-
tres maîtres, lesd. couteaux par lui forgés et émoulus. »
« Benoit Girodon a fait pour son chef-d’oeuvre une serpe ou goye, icelle forgée et limée en la maison de Michel Girodon son père.
« Jean Girodon a fait 2 faucilles et une serpe, a travaillé chez son père plus de 20 ans. »

En 1643. — « Charles Chamboissier, fils a feu Sébastien, de Champetières, a fait son apprentissage chez Jean Tourlonias, fini il y a plus de 15 ans, et du
depuis a travaillé en cette ville, a fait pour chef-d’oeuvre une sèrpe et 5 couteaux pliants appelés Jambelles, manches de cornes de cerf, forgés, garnis et limés chez maître Anglade. »

En 1653. — « Antoine Chamboissier, de Thiers, a travaillé 20 ans, et fait pour son chef-d’oeuvre une douzaine faucilles icelles forgées et limées, à lui per-
mis planter sa marque au plomb. »....

Pour terminer ces quelques indications sur les marques, appelons l’attention du lecteur sur les articles du règlement de 1743, qui ont pour but la répression d’un abus qui devait causer un tort considérable a nos maiIres, soit la possession par nos marchands en gros de marques qui leur étaient propres, a l’aide desquelles ils pouvaient faire fabriquer par les ouvriers des articles de coutellerie, créant ainsi à nos maîtres une concurrence d’autant plus sérieuse, qu’ils avaient le privilège de faire la commission sur une vaste échelle, ainsi
qu’il nous reste à le démontrer.

À suivre : CHAPITRE V - II. Du mode d’exportation des produits fabriqués, et des négociants Thiernois.

Monographie imprimée, éditée à Clermont-Ferrand en 1863. Texte disponible dans intégralité sur le site de Gallica.