L’or brûle les doigts de l’assassin à Thiers en 1804
Le noyé de la Durolle - Thiers - 7 juillet 1804
Cette Journée du dimanche 6 juillet 1804 était superbe. Un soleil éclatant dorait les monts de la Margeride et la Durolle semblait rouler des flots d’or en fusion.
Quand le père B... entra dans un des petits cafés de Thiers, l’établissement regorgeait de consommateurs. Il faisait si chaud qu’on y vidait à qui mieux mieux force cruchons de bière ou chopines de blanc. Il y avait là des ouvriers, des paysans venus pour leurs affaires, un public assez mêlé en somme.
Le père B..., qui était porteur d’un attirail de pêcheur, s’en fut s’asseoir à une table où buvaient une dizaine de personnes. Il fut tout de suite reconnu.
C’était un petit vieillard de 75 ans, très alerte encore, droit comme un i et dont les yeux noirs pétillaient dans son visage glabre.
On lui avait fait place avec la déférence et l’empressement qu’on doit à un septuagénaire. Et, tout de suite, on le questionna :
Eh ! bien, cette pêche ?
Pas trop mauvaise, je n’ai point perdu ma journée.
De singuliers propos
Allons, tant mieux !... Alors, content ?
Oui, ça me permet de m ’offrir de temps à autre quelques douceurs.
C’est vrai que vous avez donné votre maison et vos terres en viager à votre neveu et à votre nièce et que vous ne devez pas avoir la vie trop heureuse à Billetoux...
Pas trop... Je regrette assez ce que j ’ai fait... Je me suis « dépouillé » pour des ingrats qui voudraient bien me voir passer l’arme à gauche.
Mais vous êtes encore solide au poste !
C’est « ben » ce qui les embête…
Ils vous laissent tout au moins ce que vous gagnez en pêchant ?
Ça oui, et aussi ils me paient régulièrement ma rente. Puis, entre nous, s’ils ont mes terres et ma baraque, j ’ai su garder de quoi boire un bon coup, quand ça me chaut, sans toucher à mes petits revenus.
Vous avez un magot, hein père B...
Qui, qui ne me quitte jamais, une trentaine de beaux Napoléons qui ne doivent rien à personne.
Allons, à votre santé, père B..
A la vôtre.
Le père B... vida son verre puis, après avoir payé son écot :
Je vais porter ma pèche à l ’hôtel X... Quel dommage que j ’aie manqué une belle pièce... Mais demain, je la repincerai...
Où cela ?
Près de Chez Joffrey. Mais foi de B..., demain matin, ce gros poisson sera dans mon panier ou j’y perdrais mon nom.
Et le père B... s ’en fut.
La maison et les terres qu’il avait concédées en viager aux époux C... étaient situées entre Billetoux et La Sauvage, quand, cinq ans auparavant, une entente était intervenue entre son neveu et lui, ses parents croyaient faire une excellente affaire.
— Le vieux, pensaient-ils, n’en a pas pour longtemps.
Mais le « vieux » avait la vie dure. Il était un de ceux qui arrivaient souvent à être centenaires.
Le lendemain, lundi 7 juillet, des gens de Chez Blas qui longeaient la Durolle, aperçurent, à leur grande stupéfaction et non sans émoi, le cadavre du père B... dans la rivière. Chose étrange, le pauvre vieux était tombé, tête première, dans un endroit peu profond...Sans doute, en suivant le cours d’eau, avait-il été frappé de congestion, car il faisait plus chaud encore, si possible, que la veille. Il avait chu dans l’eau et s ’y était noyé...
Ils coururent à Thiers, avisèrent la gendarmerie de leur sinistre découverte, et la maréchaussée, après que le cadavre eût été retiré des eaux et transporté chez les époux C..., envoya un médecin de Thiers pour constater le décès à Billetoux...
Le docteur refusa immédiatement le permis d’inhumer. Il avait constaté, sur le cou du père B..., des traces très apparentes de strangulation.
Le parquet, immédiatement averti, ordonna l’autopsie.
C’était un crime
Elle fut concluante. Le père B... avait été étranglé par une main puissante et jeté mort dans la Durolle. Ni l’estomac, ni les poumons du vieillard ne portaient trace de liquide aqueux. On se trouvait en présence d’un assassinat.
Tout de suite, la rumeur publique, cette rumeur qui voit si souvent juste, mais s’égare aussi trop souvent, accusa le neveu et la nièce. Ils avaient tué, murmurait-on, pour n’avoir plus de viager à payer et parce que le « vieux » menaçait de « durer » trop longtemps. On avait supprimé le père B... pour n’avoir plus à le nourrir et à lui verser de l’argent. Puis, pour faire croire à un accident de pêche, on avait porté son cadavre jusqu’ à la Durolle.
Les assassins avaient ainsi espéré dérouter tout le monde et, en particulier, la justice.
Double arrestation
C’était si vraisemblable que le juge d’instruction, après un interrogatoire très serré des époux C..., interrogatoire au cours duquel ils se troublèrent à diverses reprises et se « coupèrent » dans leurs déclarations, les mit tous les deux en état d’arrestation, et cela, malgré leurs protestations indignées :
Nous sommes innocents, ne cessaient-ils de répéter... Certes, nous l’avouons, notre oncle vivait plus longtemps que nous ne l’ avions espéré, mais jamais, jamais nous n’avons, une seule minute, songé à commettre un crime.
Malgré ces dénégations, qui paraissaient trop intéressées, les époux C.. furent écroués à la maison d’arrêt de Thiers.
Les gendarmes, cependant, poursuivaient leur enquête silencieuse. Ils avaient entendu raconter que la veille de sa mort, au café , le père B... avait parlé d’un magot qu’ il portait continuellement sur lui et indiqué à quel endroit de la rivière il espérait prendre la « belle pièce » qu’ il avait manquée.
L’or lui brûle les doigts
Et voici que le brigadier Mérent ne tarda pas à apprendre qu’un jeune homme de Thiers, un ouvrier qui ne travaillait qu’à ses heures et assez rarement, dépensait, depuis quelques jours, sans compter et « bambochait » ferme avec des femmes de mauvaise vie. De là à le soupçonner, il n ’y avait qu’un pas.
Les soupçons du brigadier Mérent ne devaient pas tarder à se changer en certitude quand il eut su que, précisément, cet ouvrier, âgé de 26 ans, le nommé Pierre F..., bien connu pour sa force et sa paresse, se trouvait à la table où, la veille, avait consommé et bavardé le père B...
Le brigadier prit sur lui d’interroger Pierre F...
Coupable
Où as-tu pris, lui demanda- t-il, tout l’argent, tout l’or que tu dépenses depuis quelques jours…
J’avais, répondit avec assurance le jeune homme, des économies.
Tu mens, riposta le brigadier. Tu l’as volé
Non.
Tu l’as volé et sur le cadavre du père B... C’est toi qui l’a assassiné, qui l’a étranglé !... On t’a vu.
Le piège était grossier. Pierre F... y tomba.
On m’a vu ? balbutia-t-il.
Oui, tu savais où devait aller pêcher ta victime. Tu es allé l’attendre. Tu t’es précipité sur elle, tu l’as étranglée, jetée à l’eau et tu lui as dérobé sa bourse... Quelqu’un t’a vu, te dis-je.
Désemparé, Pierre F... dut entrer dans la voie des aveux.
Le brigadier Mérent venait d’éviter à la justice une grosse erreur judiciaire.
Bien qu’il eût prémédité son crime, Pierre F... sauva sa tête. Il eut la chance inouïe de n ’être condamné qu’aux travaux forcés à perpétuité.
Jean de Champeix (Les causes célèbres d’Auvergne)
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En illustration, photo émouleurs de la chronique, et une carte postale "Vue de Thiers en Auvergne " : église Saint-Genès par Baron, Balthazar Jean, 1788-1869
Bibliothèque municipale de Lyon