Donner du jeu
Je plaisante, mais il n’est pas rare de rencontrer des panneaux invisibles qui nous interdisent de faire les choses à des fins ludiques. Il y a tant de non-dits, d’obligations, de circonstances pour nous enfermer dans le sérieux des activités lucratives et rentables ! D’où l’importance de se « donner du jeu », de prendre ses distances et respirer l’air frais qu’il autorise. Le jeu est nécessaire, indispensable à tout ; à la vie, à l’amour, à l’écriture. La recherche, le goût de l’invention, l’expérimentation : jeu. La rencontre, la découverte de l’autre, la séduction : jeu. Le travail du style, de la phrase, le plaisir d’agencer les mots : jeu. La curiosité qui soutient toute création et pousse à voir plus loin ce que ça donne : jeu. C’est grâce au jeu que penser, réfléchir, écrire ne sont pas des activités purement mécaniques. Je préfère cent fois aborder quelque chose de sérieux avec un peu de légèreté, que plomber quelque chose de léger avec trop de sérieux ! Mais le jeu n’est pas synonyme de futilité, bien au contraire : le jeu élargit, donne du relief, il est une porte qui s’ouvre sur l’imaginaire et le prolongement de ce désir juvénile, vif et intense, qui pousse à aller vers le monde comme on saute à pieds joints dans une flaque. La maturité de l’homme, dit Nietzsche, c’est d’être capable de retrouver le sérieux de l’enfant qui joue. Rien à voir avec ses gesticulations puériles dans les jardins de la modernité. Tout à voir avec son envie de faire sauter les barreaux de son parc. Plaisir, distance, liberté : c’est dire si ce jeu-là est important.
L’Autrement Dit, Cyril C.Sarot - Le sérieux de l’enfant qui joue.
Voir en ligne : L’Autrement Dit - Le sérieux de l’enfant qui joue