Des gens installés

Des gens installés, j’en vois de partout. Installés dans leurs certitudes, dans leurs habitudes, dans leur confort. Dans leur milieu culturel, professionnel, social. Dans leur sociabilité et leur popularité de quartier. Il m’arrive d’en croiser dans des soirées, des vernissages ou des concerts. Ils se regroupent et discutent à la fin des spectacles. Ils rient, se tapent sur l’épaule, rassurés et satisfaits de leur entre-soi. Toujours les mêmes attitudes, les mêmes sourires, les mêmes connivences. Tout le monde se connaît depuis longtemps. Certains puisent l’essentiel de leur assurance dans leur appartenance au cercle. Chacun tient son rôle et à sa petite place dans le microcosme. Installés dans leurs relations comme dans un canapé moelleux, ils contemplent le vide qui tapisse les murs de leurs rapports de salon. La sensation qui s’en dégage m’est angoissante. Ils me font penser à des germes, des amibes heureux et rassurés de se développer et croupir dans une eau stagnante. Flippant !

Nul besoin de les observer longuement pour constater la superficialité de leurs relations, l’étroitesse de leurs horizons, l’exiguïté qui transpire des sourires de convenance et des échanges d’amabilités creuses dans lesquels ils se vautrent et paraissent si à l’aise. Même impression quand je les croise ailleurs, seuls, dans la rue ou le calme d’un café. Comme si quelque chose les condamnait, les retenait à la surface, leur interdisant irrémédiablement – du moins à mes yeux – toute profondeur et consistance.

Le pire, c’est qu’il m’arrive de me reconnaître en eux. Le vide dont je les sens porteurs m’est aussi familier. Je ne peux me sentir totalement étranger à leur vacuité tranquille. Celle-ci me touche, m’accuse, elle me parle. Elle est le reflet fidèle de mes propres angoisses. Elle me renvoie à mes abîmes, à mes doutes et à cette évidence : eux, c’est aussi moi.

L’Autrement dit, Cyril C.Sarot - Et au bout le silence


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