Passeurs de mémoire - Le Pays Thiernois

Une chronique de Laurent Mosnier – juillet 2022, hommage à André Kristos (1922-2013)

À lire précédemment : Hommage à André Kristos

Le logo du Pays Thiernois et son Histoire. Le symbole reprend la roue à aube des rouets ou moulins à couteaux de la vallée. Ce logo bien reconnaissable se retrouvera dans le balisage des sentiers de la vallée des rouets et des Margerides, souvent gravé au pyrograveur dans des petits panneaux de bois... Tous ont disparu aujourd’hui...
La brochure du Pays Thiernois et son Histoire n°1 (octobre 1983), le début de l’aventure…
La brochure du Pays Thiernois et son Histoire n°22. Ce numéro est pour moi important car j’y ai écrit ma première publication sur les arbres remarquables de Thiers et sa région. C’est aussi le dernier numéro sous la présidence d’André Kristos.
La collection des 28 brochures du Pays Thiernois et son Histoire. Les n°1 à 22 ont été réalisés sous la présidence d’André Kristos. Les n°23 à 28 ne s’appellent plus que "le Pays Thiernois". Toutes ces brochures représentent un important travail de recherches et de mise en valeur du patrimoine de Thiers. Les consulter est toujours un plaisir avec aussi de la nostalgie et de l’émotion...


Les membres du GAST enquêtant sur les Millières en 1983. André Kristos à gauche lit un papier, sa faucille posée sur le mur en pierre. C’est cette même année qu’il décide de créer l’association « le Pays Thiernois et son Histoire » qui allait changer le destin des Margerides et de la Vallée des Rouets. (photo H Dourvert - GAST– 1983)


Le local de l’association ESPERANTO dont faisait partie André Kristos (photo présente sur la pancarte d’information sur les travaux). Ce local servait aussi à l’association du Pays Thiernois pour le stockage du matériel et quelques réunions. A droite, la photo de 2022 où le local est en cours de travaux de réfection. (photo L Mosnier – 2022)

L’association continua de fonctionner sans lui en éditant régulièrement une brochure. Toujours membre malgré le départ d’André, je publiais un article sur le château-fort de Thiers dans la brochure n°24 en 2000. Mes relations avec l’association étaient saines mais les sujets abordés et la direction donnée aux publications me plaisaient certes beaucoup moins. C’est à partir de ce moment-là, confiant et motivé, que j’ai commencé les recherches sur un haut lieu de l’histoire thiernoise très mal connu : le château de Montguerlhe.

Cette recherche essentiellement basée sur une approche terrain m’amena à regrouper de nouvelles informations sur Montguerlhe et de fil en aiguille, à me rapprocher de Michel Sablonnière, président de l’association Escotal. Michel avait déjà, de par sa curiosité et sa passion pour ce château, regroupé un bon nombre d’informations issues de textes anciens. Il nous a fallu environ trois années de recherches pour arriver à la publication de la brochure sur le château de Montguerlhe en septembre 2000. Durant cette période, André avait intégré l’équipe d’Escotal qui était ravie d’accueillir un nouveau membre si illustre. C’est donc naturellement que j’ai intégré Escotal, qui a assuré l’édition de la brochure sur Montguerlhe. André participait ponctuellement à quelques sorties ou visites guidées de la ville de Thiers.

Je me souviens d’avoir reçu une invitation de sa part pour l’accompagner à l’inauguration de la Vallée des Rouets le 19 septembre 1998, qui se déroulait devant le rouet Lyonnet, un samedi matin. Il était invité par la municipalité et avait été cité par le maire, Maurice Adevah-Poeuf, comme l’inventeur du site, de façon officielle et ceci devant un large public. Par contre, André était resté en retrait, dans la foule, en simple spectateur à mes côtés. Il était si fier de cet aboutissement après ces 15 ans de bénévolat et d’engagement associatif. Sans lui, il n’y aurait pas de site touristique de la vallée des Rouets, si peu de thiernois sont aujourd’hui conscients de cela…

L’entente était cordiale entre Michel, André et moi, et c’est à ce moment-là que je lui ai proposé un nouveau projet. Celui de rassembler l’ensemble des recherches dites Soanen-Kristos en un seul et même document, refaire l’ensemble des cartes notamment les grandes cartes pédagogiques faites à la main et montrées aux écoles ou lors de conférences. Je me souviens de ce moment où je lui ai fait cette proposition : numériser et informatiser l’ensemble de son savoir pour le sauver de l’oubli. Au début, l’idée ne l’a pas fait réagir mais lors de notre rencontre suivante, il avait compris l’enjeu et m’a fait part de son accord. Sa motivation était grande et il n’a cessé par la suite d’être le moteur et l’initiateur de ce projet. De mon côté, je mettais en sourdine mes projets de recherches historiques (pierres à bassin, carrière de Montguerlhe, la Garde, les loups à Thiers, les Millières, le Grün de Chignore, les pierres néolithiques…) pour me concentrer sur ce projet de longue haleine. Après tout, j’avais encore la vie devant moi pour les faire plus tard, ce n’était pas le cas d’André.


La brochure du Pays Thiernois n°24 - 2000 et La brochure Escotal "Le château de Montguerlhe" - 2000


Randonnées sur le sentier des Margerides (Brigitte et Yves Mosnier, Michel Sablonnière et André Kristos), ici devant le pas de la Vierge (photo L Mosnier – 2001). L’association Escotal accueillit avec plaisir l’arrivée de cet illustre défenseur du patrimoine thiernois. (photo L Mosnier – 2001)


Coupon d’invitation à l’inauguration de la Vallée des Rouets le samedi 19 septembre 1998 (recto-verso). J’ai la chance d’avoir été invité par André Kristos à cette inauguration, cet instant est resté gravé à jamais dans ma mémoire...


Le rouet Lyonnais est emblématique de la Vallée des Rouets. C’est ici qu’a eu lieu l’inauguration officielle du site en présence du maire Maurice Adevah-Poeuf, le 19 septembre 1998. 
(photo L Mosnier – 2022)

Ayant vendu sa maison de la rue du Docteur Lachamp, André était devenu locataire d’un petit appartement modeste au milieu de la rue de la Coutellerie, au cœur du centre ancien de Thiers. C’est dans cet appartement, au 37 bis, que la grande majorité du travail de correction et de numérisation des documents d’André fut réalisé. Habitant à 500 kms l’un de l’autre, il a fallu s’organiser afin de trouver un régime de croisière pour arriver à travailler ensemble. Nos contacts se faisaient bien évidement le plus souvent par téléphone pour faire le point sur le travail en cours et à faire. Nous utilisions aussi beaucoup le courrier papier classique pour s’envoyer les cartes et leurs commentaires. Je me souviens qu’André écrivait sur tous les supports qui passaient sous sa main : plaquettes publicitaires, vieilles enveloppes, tracts, publicités… tout était bon pour écrire ses notes. Je devais donc reprendre tout ceci pour le retaper sur traitement de textes et autres logiciels de dessin. Je renvoyais ensuite par courrier papier le texte mise en forme qu’il reprenait, corrigeait, améliorait et qu’il me renvoyait. Même si la partie texte demandait du travail, le gros des efforts a été fait sur les cartes. Et il y en avait beaucoup… La plupart fut réalisée à partir des cartes dessinées à la main et issues des brochures du Pays Thiernois et son Histoire ainsi que les grandes cartes destinées aux expositions ou conférences (les fameuses cartes pédagogiques montrées dans les écoles). André adorait recevoir les nouvelles cartes informatisées, c’était pour lui un outil fabuleux. Son travail de chercheur, plus celui de son ami Henri Soanen pouvaient enfin ressortir et être publiées comme un ensemble.

Lors de mes passages sur Thiers, je consacrais toujours au moins une matinée (samedi ou dimanche matin) pour aller passer du temps avec André. Le plus souvent, nous nous retrouvions dans son appartement de la rue de la Coutellerie. Nous reprenions ensemble la correction du texte et des cartes. Un travail parfois fastidieux mais que nous avons fait avec beaucoup de sérieux. Je me souviens parfaitement de la pièce principale où nous travaillions sur sa table de cuisine. Face à nous, il y avait deux fenêtres donnant sur le bas de la ville, la plaine de la Limagne et au loin la chaine des volcans. Un panorama fantastique sur la région qui changeait de couleur au fil des saisons et au rythme de mes passages. Quand il travaillait seul, il se positionnait à l’arrière de la salle à manger sur le plateau d’un vieux secrétaire rempli de vieux papiers, assis sur une chaise dont il avait modifié la base des pieds en ajoutant des cales du fait de sa grande taille.

De mon côté, je me concentrais essentiellement sur la forme de ce qu’écrivait André, le fond je n’y entrais que très peu. Il est vrai qu’il connaissait énormément de détails des rues, quartiers, fontaines, rifs… détails que j’ignorais pour l’essentiel. Tout ce savoir était issu du travail de transcription qu’Henri Soanen, son maitre et ami, avait fait de l’ensemble des terriers des archives de Thiers. Le plus vieux de ces documents date de 1476. De par sa génération, André maitrisait le patois, c’est-à-dire la vieille langue auvergnate qui était très voisine de celle écrite dans les terriers. De nombreux termes me sont donc devenus plus au moins familiers avec le temps et à force de les employer régulièrement. Font (fontaines), rif (ruisseaux/cours d’eau), viol (sentier), ruette (ruelle), barres (palissades), degré (escalier), peddes (ponts habités), vaure (ravin), relais (passage sous fortification), terriers (documents administratifs), pavé (barrage), orient (est), bize (nord), nuit (ouest), midi (sud), clos (domaine fermé), terroirs (territoire-domaine)… sont des mots et concepts anciens que j’ai désormais intégrés.

La façade des maisons du bas de la rue de la Coutellerie où vivait André Kristos après son déménagement de la rue du Docteur Lachamp. (photo L Mosnier – 2022)
André habita plusieurs années au 37bis (porte marron) dans un petit appartement modeste au premier étage. (photo L Mosnier – 2022)


Suite au décès de sa femme, André déménagea de la rue du Docteur Lachamp à la rue de la Coutellerie, opération difficile et douloureuse pour lui car il laissa une grande partie de sa vie et de ses souvenirs derrière lui. (photo L Mosnier – 2022)


La vue de son appartement donnait sur le Moutier et la plaine, un panorama qu’André regardait sans lassitude... Ici vue panoramique des remparts. (photo L Mosnier – 2022)


La carte n°1 informatisée sur les ruisseaux (rifs) et fortification de Thiers. Elle fut la première carte de notre collaboration qui fut prolifique... 27 cartes furent éditées en tout.


Une des lettres de correspondance entre André et moi dans laquelle il donnait ses recommandations et instructions pour la mise en forme. Revoir cette écriture caractéristique fait toujours chaud au cœur... et éveille bien des souvenirs.

C’est en fréquentant assidument la bibliothèque municipale, qu’André Kristos rencontra l’archiviste de l’époque : Henri Soanen (1894-1976). A la mort de son ami, André hérita de l’ensemble des cahiers d’école dans lesquels Henri Soanen avait écrit les transcriptions de l’ensemble des terriers de Thiers des XV et XVIème siècle. Ce fonds était la base de tout le travail que nous allions faire durant nos années de collaboration. Avant eux, aucun historien thiernois, même Alexandre Bigay, ne connaissait ce fonds d’archives inédit. En fait, Henri Soanen fut le premier archiviste thiernois à réussir à les lire et les retranscrire sur papier. André se souvenait de son ami lisant ces terriers avec une certaine facilité qu’il avait acquise par répétition et un travail intensif de lecture. Ce don non inné lui est venu par ténacité et patience, au fil du temps. André se souvenait néanmoins que Soanen butait parfois sur des phrases intraduisibles ou incompréhensibles. Henri Soanen n’avait pas une formation d’archiviste ou d’historien, il l’est devenu pas son travail et son obstination.

Toutes ses archives et documents, André en a fait don au musée de la Coutellerie, de son vivant afin que tout revienne aux archives de Thiers. Il reprochait souvent aux autres historiens locaux de ne pas citer leurs sources de façon précise, voire de ne pas les citer du tout. De même, il regrettait que certains d’entre eux n’aient pas plus écrit et sauvé leurs savoirs de l’oubli… C’est ce que ne voulait pas reproduire André, il m’a aussi transmis ce principe de sauvegarde.

À suivre : L’eau à Thiers.