Promenades dans le vieux Thiers - Un après-midi chez Bruno Tournilhac

30 avril 1991

Mardi, c’est bien entendu la visite place de la Halle qui m’a le plus réjoui : TOURNILHAC m’a fait entrer à 14 h 30, en est ressorti avec moi à 18 h, et celui qui nous aurait observés sur le pas de la porte aurait eu de quoi sourire : mètre par mètre, nous sommes parvenus de sa porte au petit parterre public qui remplace l’ancienne halle ; il semblait me barrer le chemin ! Et c’est à 18 h 15 qu’il m’a lâché ! Tout ce temps, nous l’avons passé à parler de Thiers. Bien sûr, il y a beaucoup de redites, que j’oublie d’une visite à l’autre, mais on trouve toujours du neuf. Comme souvent, nous parlons des maisons de Thiers. Il me reparle de l’ancien Hôpital de la Charité, à peu près pas utilisé, les hôpitaux étant regroupés en un ; selon lui, qui l’a visitée, la maison du cirier de la rue de Bartasse, comme celle d’YTOURNEL, est plus récente, et s’est plaquée contre le bâtiment ancien, qui conserve de belles pièces. Pour lui, le Pirou aussi est constitué de plusieurs maisons fondues en une seule, ce qui explique son plan irrégulier (j’ai entendu en passant le matin même un guide du Syndicat d’initiatives qui se glorifiait d’y compter seize pans de toiture !)
Ce qui est intéressant avec lui, ce sont ses synthèses ; ainsi, à me pencher sur des maisons individuelles de nos vieilles rues, des remarques plus générales m’échappent : il affirme que les rues démontrent une différence importante de richesse, parfois d’un côté à l’autre ; ainsi la rue de la Coutellerie a de beaux hôtels, à droite en descendant, et les habitations de gauche sont presque misérables. De même, rue des Barres, c’est le côté gauche en descendant qui aligne les belles constructions (dont celle où était le cordonnier CROCOMBETTE, avec de belles boiseries aux étages), tandis que d’humbles demeures s’appuient sur les fortifications à droite. Je pense que l’on pourrait moins dire cela pour la rue Conchette, le côté gauche étant le plus riche, mais à droite on a tout de même l’hôtel PASSAT, et dans la partie basse plus resserrée, c’est le côté droit qui a le plus d’hôtels de pierre.
Bien entendu, j’avais pris rendez-vous pour faire avancer l’article des ASTIER. Mais rien n’a bougé ou presque. Il ressort tout le dossier, avec les lettres transcrites ; il me lit tout de même un texte qu’il a composé sur l’histoire de la famille ASTIER, déjà bien utilisable.
Puis nous relisons toutes les lettres dignes d’intérêt, je redis ce que nous devons savoir du livre de raison : tenu de 1525 à 1669 par quatre générations d’ASTIER, il comporte 64 folios. On y lit successivement les notes de Jean III ASTIER, Jean IV, Bernard, et son fils Antoine châtelain habitant le Pirou. La première lettre digne d’être citée in-extenso est celle du mariage de Bernard, en particulier à cause de cette heure étonnante de 4 h du matin. Celle de la fausse couche la même année vaut aussi la peine, ne serait-ce que par ce détail curieux : on a inhumé ce fruit non abouti dans la chapelle familiale, dans "une boîte d’un sol", détail qui indique peut-être plus une catégorie précise de boîtes qu’un intérêt pour sa valeur financière. Puis les enfants morts à la naissance ou peu après se succèdent, et ne méritent pas de retenir l’attention du lecteur. Puis on constate que les ASTIER prennent la précaution de s’assurer la présence, aux naissances suivantes, soit d’un médecin, soit d’un prêtre ; mais désormais ces enfants vivent, le plus souvent. Ainsi, Antoine, le futur châtelain, bénéficie de la présence du médecin Jean GAY, en 1633. Une lettre fort émouvante, à citer, c’est celle de la mort de Mathieu à 19 ans, en 1649. Il faudra aussi la longue lettre d’Antoine où est relaté le décès de Bernard ; elle permet d’y voir un ton différent, celui d’un homme pour qui compte avant tout que les choses se passent dans les bonnes règles ; et puis on se demande pourquoi il paraît si soulagé d’apprendre que le décès n’est pas dû à la maladie de la pierre ? TOURNILHAC conclut à un cancer de la vessie avec polypes et petit ulcère du rein droit. La précision anatomique d’Antoine contraste aussi avec le ton plus sentimental et pieux de Bernard. Bien sûr, il faudra aussi la lettre de 1629 sur la peste. Il sera bon aussi de noter une lettre plus tardive, de 1666, où une cérémonie religieuse (de Mardi-Gras) est transférée de St-Genès à la chapelle des Cartiers, dite de St-Dimanche (c’est Clôtras). La cause nous est connue : l’effondrement d’un gros pilier de Saint-Genès. Mais je ne sais plus si cela se trouve dans le livre des ASTIER ou dans le "Pouillé " du diocèse de Clermont qu’il étudie en ce moment, où l’on voit les ressources (bien précaires selon lui) des curés d’Auvergne. Non, je crois que c’est en 1728-29, Le Pouillé !
Et puis, nouveau sujet passionnant, Bruno va me chercher son fichier de minutes notariales sur les marques de coutellerie, un de ses orgueils : un plein carton à chaussures, avec peut-être plusieurs centaines de fiches relevées sur cet unique sujet. Il pense avoir là ce qui a servi à SAINT-JOANNY, plus bien d’autres que le savant archiviste n’avait pas. Et comme YTOURNEL lui a "très gentiment" donné les dessins des diverses tables et les registres d’ALONSO, il a pu faire des comparaisons. Il sera assurément très difficile de suivre les marques sans interruption en remontant trois siècles, mais mon ambition à moi serait moins grande : parvenir à mettre un nom sur les empreintes de la table de plomb. Or ces minutes peuvent apporter des solutions : il arrive que le nom de la marque soit accompagné d’un dessin, et en principe voilà l’affaire résolue pour cette marque. Pas du tout ! On s’aperçoit que les dessins ne se ressemblent parfois pas du tout, d’une minute à l’autre ; ainsi l’escabelle, ou escabeau, est dessiné ainsi : ..., ou encore .., ou même, en 1678 ....
De même, l’escargot n’a pas de coquille : ...,.., en voilà deux images. Voici l’étendard (en 1649 à Antoine VERNIERE).
En 1675, la faucille couronnée est reconnaissable ..., mais la faulx, en 1678 ? .... Le 2e carreau de la 1ère ligne ..., aurions-nous deviné que c’était le monde ? On trouve donc le "monde couronné, jolie dénomination, ou encore "le petit monde rayonné". Je repère sur une minute l’épieu ou espieu ..., mais n’en vois pas de trace ressemblante sur la table. Pourtant, il appartenait à Gabriel RICORNET en 1647. L’éperon, à Jean BRUGIERE en 1672, est proche de la "molette d’éperon", qui est en fait une étoile à six branches. L’hermine n’est sans doute pas l’animal mais l’outil, en 1653 à DELIGNERES. Le flacon ou flascon est connu déjà en 1627. Une autre marque , "l’étoile et la petite lame", une autre le fer à cheval. L’une des premières marques, le 7, visible sur la table de plomb à la 5e ligne, 5e carreau, a appartenu au grand-père de TOURNILHAC, et elle est maintenant "le 7 GUIONIN aîné" à ... OPINEL, qui a acheté des marques thiernoises lors de la guerre pour pouvoir fabriquer. Le 32 Dumas est lui aussi sur la table (18,XX), l’actuel fabricant, comme GROISNE, a fait reproduire la déclaration de cette marque sur manuscrit de 1809.
PRIVAL a fait un tableau très clair de Y d’après les papiers de FERRIOL le ciselier, et en a donné une copie à TOURNILHAC. J’en réclamerai une aussi. C’est un cas rare de marque suivie très longtemps de propriétaire à propriétaire. Il paraît que les Japonais contrefont le 32 Dumas avec 32 PUMA !
Sur les minutes, il arrive que la position de la marque soit indiquée sur la table de plomb. Nous vérifions : pour une ou deux où ça tombe juste, nous en trouvons cinq ou six qui ne correspondent à rien. En voici une clairement désignée et retrouvée "l’escabelle couronnée", 23e ligne, 9e carreau. Sur les 986 cases de cette table, si l’on tient compte des chiffres et des lettres nettement visibles, et des marques indiquées sur les minutes, on parvient peut-être bien à baptiser un tiers des empreintes. Mais tout est compliqué. Certaines cases comptent plusieurs marques, et certains chiffres ne sont pas déchiffrés !
Au total, voici mes impressions : TOURNILHAC est toujours très intéressé par l’article ASTIER, il n’a pas avancé dans sa rédaction. Il lui manque la transcription de deux "lettres" parmi celles qui valent la peine d’être publiées ; il compte sur l’aide de Melle LECLERCQ. Ma présence et les divers problèmes soulevés en commentaire le stimulent et le conduiront peut-être à s’en occuper ; Melle MONTAGNE n’attend que la référence du livre d’ASTIER à l’Arsenal pour en faire venir un microfilm, et il a ces références, mais ne les a toujours pas données. Ma visite n’a donc fait que le replonger dans ce travail, c’est bien ce que je souhaitais ; je lui ai demandé une copie des "lettres" à publier in-extenso, l’aurai-je ? Quant aux autres sujets débattus, c’est surtout pour me payer ma présence ce jour-là.
Bien sûr, il m’a parlé encore de GUILLEMOT, non seulement celui-ci n’a pas étudié l’intéressant dossier des communautés trop épineux vu les susceptibilités peut-être, mais il a été assez indifférent au commerce et à l’industrie, allant jusqu’à "dépiauter "entièrement leurs registres pour les réutiliser, et conservant quand même ce qui pouvait être précieux. Bruno poursuit ses vagues rêves : j’aimerais avoir accès aux papiers des JACQUETON, détenus à Puy-Guillaume par une héritière mariée à un Polonais, Mme GASTHOF, et vivant à Clermont ; il est en bons termes avec elle, mais elle juge tous ces papiers trop ennuyeux, et refuse jusqu’ici de les chercher.
De même il aimerait voir les papiers conservés par les CHASSAIGNE aux Berauds, remontant peut-être jusqu’à 1500 et cela pourrait enrichir nos connaissances sur leur rôle à Thiers pour la période qui nous intéresse. J’ai envie de lui dire qu’il faudrait déjà faire ce que nous avons en train, qui n’exige aucun papier nouveau...
Bruno, pendant ces vacances, arbore une de ses tenues favorites, pas inaperçue : un pantalon de golf, et de grosses chaussettes jusque sous le genou. Ce garçon aime avoir les mollets libres l’été, c’est le short qui s’impose !

Georges Therre

À lire précédemment : Promenades dans le vieux Thiers - Juin 1982

Lire la suite : Promenades dans le vieux Thiers - Maison Ytournel

Crédits : Sylvie Geshwindermann pour la carte postale de La Halle. Table des marques, conseil des musées. Carte postale ancienne, Clôtras église St-Genès, CPArama. Photo rue Alexandre Dumas, Escotal. Photo Bruno Tournilhac, Escotal.