La Commune, elle souffla aussi à Thiers - 3 : interrogatoire de Faye

Pour cette 3ème livraison de l’affaire de la Commune de Thiers, voici cette semaine l’interrogatoire du sieur Faye, accusé lui aussi d’attentat, mais aussi d’être « un ivrogne et un querelleur qui est mis souvent au violon ». La preuve : il a déjà été condamné pour injures et délit de pêche ! Faye reste droit dans ses bottes, il nie pratiquement tout cependant il reconnaît être un ivrogne… Un récit pigmenté de passé simple comme on n’en entend plus...

À lire précédemment : Le procès : interrogatoire de Suquet

Suite de l’audience du 21 août

D. Eh ! bien ; comme Suquet, vous êtes accusé des attentats sur lesquels je l’ai interrogé tout à l’heure.
R. Je vais vous dire ce qui s’est passé. J’étais de garde. La matinée s’était passée tranquillement. Après dîner, tout était aussi tranquille, lorsqu’une heure après, je vis un tas de monde qui criait : "Il faut que le sous-préfet s’en aille ou qu’il rende les journaux". Je dis comme les autres : "Oui. il faut qu’il s’en aille et il s’en ira". Voilà tout ce que j’ai dit et fait. Rien de plus, rien de moins.
D. Alors, vous êtes complètement innocent ?
R. Oui. À 7 heures 1/2, je suis rentré chez nous et je n’ai plus rien fait depuis.
D. L’accusation ne pense pas comme vous. Elle vous représente d’abord comme un ivrogne et un querelleur, au point que vous êtes souvent mis au violon, que vous avez subi diverses condamnations pour tapage et bruit ?
R. Oui, c’est vrai.
D. De plus vous avez subi trois condamnations : une pour injures, et deux pour délit de pêche. Mais arrivons à la part que l’accusation vous assigne. Vous étiez de garde, Squat vint vous trouver ?
R. Non, je ne le connaissais pas.
D. Cependant des témoins diront qu’il vint s’entretenir avec vous, et qu’aussitôt après vous devîntes excessivement bruyant, que vous poussâtes des cris, que vous fîtes un tapage extraordinaire, et que vous tintes ce propos significatif : "il faut que je le fasse, quand même ma tête devrait sauter ?"
R. Non, je ne l’ai pas dit.
D. On vous indique donc avec Suquet comme étant deux qui ont donné le signal de l’émeute.
D. L’accusation prétend que vous avez pris un prétexte pour aller à la mairie comme Suquet en prit un pour aller à la sous-préfecture : parce que votre carte d’électeur portait 30 ans au lieu de 28, vous fîtes un bruit d’enfer. "Tas de fainéants, dites-vous aux employés, propres à rien ; nous changerons tout cela en vous mettant ce soir à la porte ?"
R. Du tout. Je n’ai pas fait de bruit et je n’ai pas insulté d’employés.
D. Vers 5 heures, vous êtes allé avec Suquet à la sous-préfecture. Là, vous avez aussi injurié le sous-préfet. Suquet lui disait : mais vous, vous le tutoyâtes, et lui dites : "Nous ne voulons plus de toi". Vous étiez aussi avec St-Joanis et Chasssaigne ?
R. Je ne les ai pas vus de la journée.
D. Vous niez ce propos ?
R. Oui. Je ne suis pas bien élevé, mais je suis plus poli que ça.
D. Plus tard, on vous vit devant la mairie pousser le cri de : Vive la Commune ! et vous ajoutiez : "Nous voulons proclamer la Commune comme nos frères de Paris ?
R. Du tout, monsieur.
D. L’officier commandant le poste vous engagea à vous calmer, vous disant que si vous ne restiez pas tranquille on vous mettrait en prison, et que deviendraient alors votre femme et vos enfants ?
R. Je ne m’en rappelle pas.
D. Vous lui avez répondu : "Nous voulons le pouvoir. Depuis trois jours nous sommes prêts. SI je suis fait prisonnier, les citoyens nourriront ma famille".
R. Je ne crois pas avoir dit ces paroles-là.
D. Le soir, quand la huitième compagnie vient vous relever vous portâtes les armes !...
R. Mon devoir était de porter les armes devant une troupe armée.
D. Oui, vous criâtes alors : "Vous voilà, mes amis, ne lâchons pas ; nous sommes les maîtres".
R. Ce n’est pas vrai.
D. Et vous ajoutâtes : Vive la Commune ! À bas les gendarmes ! Les gendarmes sont des assassins ?
R. Je ne savais même pas ce que c’était qu’on voulait dire par commune. Je ne connaissais comme commune que ce nous appelons nous autres la mairie.
D. Vous avez dit aussi : "Si j’empoigne les gendarmes et les agents de police, je les écraserai à moi tout seul ?
R. Vous voyez bien que je ne puis avoir des raisons comme ça.
D. Pourquoi vous êtes-vous caché pendant deux mois et demi !
R. Ma femme et mes enfants étaient dans la misère et je me cachais pour pouvoir gagner de quoi les nourrir.
D. Quand on est innocent on ne se cache pas.
D. Vous êtes présenté également comme ivrogne ?
R. Oui, monsieur.
D. Vous le reconnaissez ?
R. Oui, il n’est pas défendu de boire le coup.
D. Mais il est défendu de boire avec excès. Vous passez aussi pour avoir des opinions politiques très avancées ?
R. La politique, je n’en ai pas. Comment voulez-vous que je m’en occupe. Je ne sais ni lire ni écrire.
D. Il n’y a pas besoin de savoir lire pour crier dans les rues ?
R. Jamais personne ne prouvera cela. Je me suis toujours bien conduit.
D. L’accusation, vous le savez, prétend que le 30 avril vous avez commis des attentats tendant à substituer la commune au gouvernement établi ?
R. Mes mémoires ne sont pas dans ces partis-là. À 7 heures, j’étais chez moi et je n’ai pris aucune part au désordre.
D. Cependant, vous reconnaissez bien avoir, vers 4 heures, insulté le sous-préfet qui, suivant vos expressions, était bon en 1848, mais ne valait rien plus en 1871 ?
R. Oui, j’étais ivre et j’ai dit cela.
D. Mais vous niez toute participation à l’émeute ?
R. Oui, excepté les paroles que je viens de répéter, je désapprouve tout le reste.
D. Vous avez bien adressé au sous-préfet et au maire une expression plus injurieuse encore. Vous leur avez dit nettement : "Je vous em...?"
L’accusé, peu habitué sans doute aux réticences de langage reste bouche ouverte ne comprenant pas. Un de ses co-accusés lui souffle l’expression dans l’oreille et alors il s’écrie vivement : "Oh ! Non, je n’ai pas dit ça".
D. Voici encore un propos que vous avez tenu à M. Guionin : "M. Guionin, ce soir nous porterons un joli bouquet, et nous vous en donnerons une fleur, la plus belle". Vous rappelez-vous avoir dit cela ?
R. Non.
D. Vous auriez même saisi M. Guionin à bras le corps ?
R. Au contraire, c’est lui qui m’a accompagné bravement chez moi.
D. L’accusation vous reproche aussi d’avoir renversé le poteau télégraphique, et comme M. Passereau vous engageait à vous retirer, vous lui répondit : "Mêlez-vous de ce qui vous regarde".
R. J’en lève la main au ciel. Ce n’est pas moi. Je ne crains d’en charger ma conscience, si j’avais cent mille francs je les gagerais contre cent sous, qu’à 7 heures j’étais chez moi et que je n’en suis plus sorti.

À suivre : le procès : interrogatoire de Mosnat.

Merci à Georges Therre pour nous avoir confié ces documents.