La Commune, elle souffla aussi à Thiers - 14 : audition des témoins : Antoine Planche

À lire précédemment : Le procès : interrogatoire de Chauffriat

Suite de l’audience du 22 août

1er témoin : Antoine Planche, agent de police à Thiers.

Le 30 avril, je me trouvais de service à l’intérieur de la mairie pour les élections. Dans la soirée, se présenta devant le bureau un nommé Faye, qui venait réclamer parce qu’on avait porté sur sa carte d’électeur 30 ans au lieu de 28. À propos de cette réclamation, vous insultâtes les employés, les traitant d’ânes et d’imbéciles. Un des employés sonna la cloche qui correspond au bureau de police et je montai. Je trouvai Faye toujours en train de discuter, et comme il est de mon âge, je lui dis familièrement : Écoute, mon pauvre vieux, on peut se tromper ; d’ailleurs, ta réclamation ne vaut pas la peine de faire tant de bruit : prends ta carte et calme-toi. Comment, s’écria-t-il, on a appelé la police : on veut me f... dedans, ne m’y f... pas. "Il ne s’agit pas de t’arrêter ; prends ta carte, vote si tu veux, c’est ton droit, et va-t’en." Il en vint alors aux menaces. On était naturellement un peu excité. Mais il finit par m’écouter et il partit.

Dix minutes après, se présenta un nommé Suquet, coiffé d’une calotte de zouaves. "Pardon, messieurs, dit-il, je viens m’engager". Je lui fis observer qu’on s’occupait d’élections, que les bureaux d’engagement n’étaient pas ouverts, et que d’ailleurs il eût à aller à la sous-préfecture. "Mais, reprit-il, moi je n’ai pas besoin d’aller à la sous-préfecture ; je ne veux pas m’engager pour Versailles. Les Versaillais, c’est de la canaille, et je veux m’engager pour Paris, pour aller défendre mes frères. Enfin, il partit.

Quelques instants après, je vis un rassemblement devant la sous-préfecture : il se dispersa d’abord, et je vis descendre trois individus : Faye, Suquet et Chassaigne, criant "Vive la Commune !" puis St-Joanis, qui se mit à crier " Il faut la guillotine en permanence pour guillotiner tous ces bourgeois. Nous avons le droit ; nous avons la force ; il faut en profiter".

La nuit arriva. À 7 heures, nous avions la consigne de nous transporter devant la sous-préfecture aussitôt que nous verrions arriver les gendarmes, pour empêcher la foule d’y pénétrer. Mais il nous fut impossible d’avancer, on commençait à jeter des pierres.
Au premier rang, était la femme Dascher, qui criait : assassinez donc ; tirez donc des coups de fusil ; ces brigands de gendarmes ! Nous n’en avons pas besoin sous la République !
Quelques instants après, la femme Lauradoux dit : "Il vous faut des fusils à vous autres ; voyez, moi, je n’en ai pas besoin". Elle, montant sur un escalier, prenant des pierres dans son tablier pour les lancer contre les gendarmes. Je vis alors qu’on était en danger. En redescendant, je vis un nommé Leyraud, St-Joanis et Chassaigne, qui conduisaient une voiture près du poteau télégraphique afin qu’on pût monter dessus pour couper les fils, ce qui fut fait sans que j’aie pu distinguer par qui.
Quelques minutes après, je vis Fanchette s’approcher, suivie par plusieurs gamins et d’autres individus, et criant Démolissons la commune ; à bas les agents de police !
M. le commissaire de police nous fit alors rentrer dans le bureau, parce que notre vie était en danger et qu’il ne fallait pas nous laisser envahir. Au moment où j’allais rentrer, un de mes collègues, ne me sachant pas dehors, ferma la porte par mégarde, et me trouvant dehors, je reçus une pierre dans la hanche, qui m’empêcha de marcher pendant trois jours. Je crois que c’est St-Joanis qui l’a lancée, mais je ne puis l’affirmer. Heureusement qu’on m’ouvrit en ce moment, car trois personnes arrivaient avec des fils, la baïonnette au bout, et on m’aurait fait un mauvais parti.
Bientôt des pierres furent jetées contre les fenêtres et pénétrèrent dans le bureau.
Quelques minutes après, je vis Franchette, un fusil à la main, qui criait : "Citoyens, nous sommes vainqueurs. Demain, je viendrai avec mon bonnet phrygien, et nous proclamerons la Commune !".
M. le commissaire de police nous dit alors : l’émeute est maîtresse ; il faut nous ôter de là. Nous réussîmes à sortir. Vers 8 heures 1/2, je vis Chassaigne qui, aidé par St-Joanis, barrait la rue avec un des fils du télégraphe.
À 3 heures du matin, la troupe arriva, et je fus requis pour participer aux arrestations.
Les accusés cités par le témoin, interpellés successivement par M. le président, opposent tous un démenti aux faits qu’il a reproduits.

Me Welter - La déposition du témoin est une des plus importantes ; aussi est-il désirable qu’il n’y subsiste aucune contradiction. Or, le témoin vient de dire qu’on coup de pierre l’avait empêché de marcher pendant trois jours, et cependant il a dit ensuite avoir opéré, le lendemain, des arrestations qui ont nécessité une certaine violence.
Le témoin - J’ai voulu dire que je ne pouvais pas marcher sans douleur ; Mais j’en aurais eu deux fois plus que ça ne m’aurait pas arrêté en un pareil moment.
M. le procureur général - C’est vous qui avez arrêté Chassaigne ?
Le témoin - Oui, monsieur. Nous le découvrîmes caché sur un tambour d’escalier, sous un panier.
Jean Terrat, agent de police - Le 30 avril, je fus appelé par le domestique de M. Giraud, le sous-préfet ; je m’y rendis et je trouvai Suquet qui faisait du bruit dans son cabinet. Je réussis à le faire sortir, mais une fois dehors, Suquet, se sentant plus fort devant le rassemblement, me mit la main sous le menton ; il ne me toucha pas, mais il accompagna ce geste en me disant que je le payerais le soir. Faure arriva ; M. le sous-préfet était là, et il l’insulta aussi en lui disant qu’il sauterait le soir.

Après cette déposition, l’audience est levée à 7 heures et renvoyée au lendemain.

À suivre : audition des témoins : Jean Gilardeau.

Merci à Georges Therre pour nous avoir confié ces documents.