Une découverte du moulin de la Prade

La Grange de Fradas, Marat

Au coeur du parc naturel régional du Livradois-Forez, le moulin de la Prade est l’un des derniers moulins encore debout sur le ruisseau de Gérise. Aujourd’hui au bord de la ruine, il fait l’objet d’un projet de sauvegarde et de restauration.

Ce petit moulin très largement méconnu ne se laisse pas approcher facilement. Il vous faudra tout d’abord emprunter les sinuosités bucoliques de la route dite du Revers, menant de Marat à St-Pierre par Baraduc. A hauteur de la Grange de Fradas, dans l’ombre épaisse d’une sapinière, un petit élargissement de la route vous invitera à laisser votre véhicule sur l’accotement parsemé d’aiguilles. Un ancien chemin s’enfonce dans la futaie et rejoint en contrebas le lieu-dit Chez Fontanier. Les conifères cèdent alors la place à une hêtraie lumineuse et profonde parsemée de rochers et de sources. Vous entendrez dès lors le chant du ruisseau de Gérise. L’ocre patiné de la toiture du moulin surgit enfin des frondaisons, comme une île dans le vert des feuillages. Le moulin de la Prade s’est si longtemps dissimulé dans l’oubli que la plupart des riverains n’en connaissent ni la situation ni même l’existence.

Ce petit moulin est pourtant le témoin d’une longue histoire.

Situé en bordure du ruisseau de Gérise sur la commune de Marat, cet édifice est localisé par les matrices cadastrales napoléoniennes sur « La Prade » du nom de la verte prairie sur laquelle il est bâti, au creux de la vallée. Nous ne disposons à ce jour que de très peu d’informations sur l’origine de ce moulin. Celui-ci n’apparait pas sur le cadastre Napoléonien de 1811, même si le bief qui l’alimente s’y trouve déjà. On sait en revanche qu’un moulin dit de Crulhes existait à une centaine de mètres en amont, dès le XVIIème siècle et qu’en 1702, cinq petits moulins avaient été bâtis illégalement aux environs de celui-ci. L’un d’eux occupa-t-il l’emplacement du moulin de la Prade ? En 1852, les matrices cadastrales mentionnent l’édification d’une maison en ce lieu, parcelle E137, prairie dite La Prade, mais le moulin n’est pas cité en tant que tel : était-il déjà présent ou a-t-il été édifié de concert avec la maison d’habitation ?
Une linteau de granit, constituant aujourd’hui le seuil de la double porte d’entrée du moulin, porte l’inscription gravée de l’année 1857, ce qui très probablement la date d’édification d’une extension du bâtiment, seul vestige aujourd’hui conservé.
Un meunier originaire du village voisin de St-Pierre la Bourlhonne, Antonin Garret, investit la place, entre 1856 et 1858 et semble être, dans un premier temps, locataire des lieux. Il en fit l’acquisition en 1861, ainsi que de la maison d’habitation qui lui était attenante.
Après seulement 6 ou 7 années d’exploitation, Antonin entreprit alors en 1864 un projet pharaonique : le « déplacement » de son moulin et de son habitation. Pour une raison demeurant énigmatique, il démolit, au-moins en partie, le bâtiment et procéda à l’édification d’un nouveau moulin à l’extrémité nord de la prairie, à la Planche de Fradas, en rive droite du Gérise, sur la commune du Brugeron. Il est très probable que des pierres et des éléments mécaniques eussent été récupérés. Le moulin de la Prade se relèverait cependant de cette démolition, probablement partielle, et serait remis en fonctionnement à une date inconnue. En-effet, il travaillait encore pendant la Seconde Guerre mondiale. Aimé Faye, propriétaire à la Grange de Fradas, précise à ce sujet que le moulin était alors loué par son père qui en faisait usage de menuiserie. Le bâtiment était en ce temps-là doté d’un rodet (roue horizontale) nécessaire au fonctionnement d’une scie circulaire, ce que confirme Raymont Dubien, un riverain de Chez Fontanier.
Il n’est pas établi que l’édifice en fonction au cours du vingtième siècle ait conservé la disposition exacte du bâtiment du XIXème siècle, même s’il est possible que le réseau hydraulique ait été réutilisé (chambre des eaux, tunnels, évacuation…).
Aujourd’hui, le moulin apparait au bord de la ruine, la charpente étant rongée par les champignons. Il s’agit d’un petit bâtiment quadrangulaire comportant une seule et unique pièce d’environ 25 mètres carrés sous rampants surmontant la chambre des eaux. Une petite ouverture existe à la base des murs pignon, l’une constituant l’entrée d’eau et l’autre le rejet vers le bief de fuite. Deux étroites fenêtres sont murées. La porte semble avoir été élargie comme le suggère la reprise de la maçonnerie à son pourtour, sans doute lors de sa conversion en menuiserie.
Le moulin ne dispose plus d’aucun mécanisme en place. Il était entrainé par une roue horizontale placée sous le bâtiment dont l’emplacement est en revanche bien visible. La chambre des eaux maçonnée est couverte par un plancher vermoulu, renforcé par un épais linteau de granit traversant tout le bâtiment. Il s’agit très probablement d’un renfort destiné à supporter le poids des meules. Un tunnel d’évacuation traverse le bâtiment. La hauteur de chute devait être au maximum de trois mètres. Une petite cheminée, au conduit désormais interrompu en toiture occupe l’angle sud-est.
Immédiatement au sud du moulin, une plateforme quadrangulaire ceinturée par une élévation rectiligne de terre et de pierres suggère l’emplacement d’un ancien bâtiment, dont un chainage d’angle est encore visible, « fossilisé » dans le bâtiment actuel. La base d’un mur est également conservée côté est, avec une sortie d’eau, attestant la présence d’un premier moulin dans cette partie du bâtiment. Des substructions sont affleurantes au sud, ainsi qu’une pierre de seuil. Il s’agit très certainement du bâtiment par Antonin Garret en 1864.

On observe ainsi l’emboîtement d’au moins deux moulins successifs, ayant eu comme fonctions la mouture de céréales, l’affûtage des outils (émouloir ou imoladou) et l’entraînement des scies d’un menuisier.

Le bief d’amenée est également conservé. Ayant aussi une fonction d’irrigation, il se poursuit jusqu’à Fradas sur une longueur totale de près d’un kilomètre. Tout au long de ce bief, plusieurs ouvrages subsistent encore : prise d’eau avec seuil sommaire, pierre levée avec encoche de vanne, plusieurs petits ponts en pierres couchées et écluses avec vestiges de vannages. Le bief est cependant asséché au-delà des cent premiers mètres.

Le moulin a été racheté en juillet 2021 par un descendant d’Antonin Garret et fait l’objet d’un sauvetage en urgence. Le site a obtenu en septembre dernier un label de la Fondation du patrimoine et fait l’objet d’une souscription citoyenne participative sur Dartagnans.fr jusqu’au 15 novembre en vue d’assurer la pérennité du bâtiment. En échange d’un don, une contrepartie est offerte au contributeur sous la forme d’une découverte ludique du site, d’un escape game au temps des meuniers ou d’une journée sur place…
Ouvert une première fois lors des journées du patrimoine, le projet est d’ouvrir régulièrement le site au public et d’y proposer des animations, par exemple pour les journées européennes des moulins ou les journées du petit patrimoine et des moulins.

Pour en savoir plus :
- le site internet du Moulin de La Prade
- la page pour soutenir le projet
- la page Facebook du Moulin de la Prade

Vincent Chomette