Thiers, en montées et en descentes

C’est une ville à l’implantation incroyable faite de montées et de descentes, basse et haute, de montagne et de plaine. Adossée, campée au rocher de la Margeride, elle regarde, au loin par une immense fenêtre ouverte, les aristocratiques cités, Clermont, Riom. Puis, plus loin encore, les volcans mamelonnés, depuis longtemps d’une si calme beauté et un peu plus au sud les fiers pics du Sancy. Quand vient la fin du jour, quand le soleil décline, cette vision, ce grandiose paysage est comme un spectacle, un théâtre à la mise en scène sûrement divine qui invite les spectateurs à une contemplation béate, sans texte et sans parole mais tout en réflexion intime : c’est l’heure où la journée s’achève, l’heure du bilan : était-ce bien aujourd’hui ? Avons-nous mérité cette récompense ? L’astre de lumière va disparaître mais nous ne laisserons pas la nostalgie nous envahir, notre consolation, c’est qu’après sa disparition derrière le Puy de Dôme, d’autres que nous ‘’de l’autre côté’’ vont en profiter parce que la brillance est perpétuelle. Demain, dès potron- minet, pour nous Thiernois, le soleil dégringolera à nouveau dans notre dos depuis le col Saint Thomas là où serpente le chemin de Montaigne, Chabreloche, Saint-Rémy et le pays du tire-bouchon, ce sera un nouveau jour (ici comme ailleurs) pour les gens de ce pays dans un immuable recommencement.

Les gens, justement, parlons en. Ils sont ‘’d’ici’’ pleins de caractère, un peu têtus, travailleurs, bons et inventifs, courageux, aimant par-dessus tout leur ‘’petite patrie’’ et toujours influencés par leur terre d’enfance, témoignant envers elle une fierté sans égal, prompts à exalter son sol. J’ose dire qu’ils sont représentatifs de leur race et de leur région. Ils ont germé dans ce terreau par la semence de leur père, par un destin qui les a fait naître là et à leur tour, comme des arbres bien soignés, ils donneront des fruits et des ouvrages de solidité et de beauté tranquille parce qu’ils ont subi l’influence de ‘’l’air natal’’ et assimilé la voix du terroir. Ils excellent depuis des siècles dans les métiers de coutellerie, dans ‘’Ce qui damasquine et fourbit leur acier, ce qui en dessine le fil et les reflets’’ pour citer Barbey d’Aurevilly. C’est surtout dans ce milieu de savoir-faire et de savoir dire, qu’ils arrachent parfois des brumes de l’oubli quelques mots de patois qu’ils ne peuvent se résoudre à laisser mourir. C’est ici qu’ayant trempé durant des siècles à la suite de leurs ancêtres il faut trouver la véritable origine de leur talent ; terroir et milieu ont pu orienter et conditionner le développement de ces facultés ancestrales, ce qui leur accorda une certaine prospérité, sans atteindre jamais l’opulence. Thiernois de tout poil, vous battez le fer pour lui donner du tranchant, vous forgez et savez faire tant de choses mais, surtout, vous savez par-dessus tout donner de l’amitié comme nulle part ailleurs, votre poignée de main et votre regard en disent long sur les élans de votre coeur.

Bien sûr, là comme ailleurs, les temps modernes bouleversèrent les gens et les lieux, le progrès ‘’décapita’’ les traditions ancestrales et les légendes, mettant à mal les us et coutumes, dispersant artisans et paysans couteliers au nom du progrès dans une radicale mutation, obligeant certains à changer de vie, à partir vers des contrées plus adaptées et souvent salvatrices malgré les souffrances causées par l’aiguillon de l’exil. Cependant, souvent bien des années plus tard, il n’est pas rare qu’ils reviennent au pays de leurs premiers songes, répondant à un appel, une sorte d’amour filial. Les plus sensibles, inébranlablement attachés à leur coin de sol par un enlacement irrésistible, l’âme unie aux lieux où ils ont passé leur enfance, s’empressent dés qu’ils le peuvent de retrouver les lieux de leur origine. ‘’La douce souvenance’’ comme le dit si bien Chateaubriand. Ce sera alors comme un onguent réparateur appliqué sur les cicatrices de leur séparation d’avec la petite patrie. Les nourritures bienfaisantes qu’ils y retrouvent et qui leur conviennent mieux que toute autre auront cette saveur délicieuse jamais oubliée. Il est certaines contrées privilégiées qui semblent agir sur le coeur de leurs enfants. Ces derniers, pleins de reconnaissance, n’ont jamais oublié la qualité et le charme si particulier de la ville qui les en a imprégnés, et ce, malgré le temps et la distance qui les ont séparés.

A quoi tient cette passion viscérale, cette sorte d’amour, quelle est l’origine de cette sourde envie irrésistible qui monte du terroir thiernois si enveloppant et si attirant ? C’est sans aucun doute pour les êtres le besoin de retrouver les racines qui les ont fait grandir dès les premières années de leur vie, celles que l’on ne veut pas oublier. Les rues où ils dévalaient, les escaliers en rompe cul qu’ils escaladaient enfants, les bruyantes récréations de l’école du centre, autant de souvenirs liés à l’enfance, ancrés à jamais, sans parler du tintamarre des pilons montant de la vallée et des odeurs de tripe et de guenilles les jours de foire au pré ! Il y a tellement longtemps que tout cela perdure que c’est pour nous, chantres du terroir une gloire, un hymne archaïque nous accordant aux aspects et aux traditions.

Ainsi, les temps s’écoulent au pied des granites primitifs adoucis par l’érosion, les bitords s’activent toujours entre Pont-Bas et Pont-de-Dore, entre joies et peines, allant du musée aux Limandons, de la rue Conchette aux petits manoirs semés ça et là, ne ratant jamais les occasions de faire la fête entre famille et amis dans une condition somme toute humaine !

Thiers a toujours accueilli ceux venus d’ailleurs, de très loin parfois, voire d’outre-mer, Je ferais un oubli impardonnable à n’en parler point. Ils ont rejoint les rangs des indigènes que nous sommes en apportant leur culture, en mettant la main à la pâte dans le développement de nos entreprises et en participant à la réalisation de nombreux projets locaux. Maintenant qu’ils en ont franchi le seuil, ils aiment et chantent ce pays qui est devenu le leur. Ce sang nouveau, par le brassage qu’il occasionne, participe à l’harmonie collective, chez nous, c’est le labeur qui en est le premier vecteur. Par delà les goûts et les jugements, les croyances de chacun, les églises, les temples et les mosquées, le souhait du plus grand nombre est que perdure toujours l’harmonie dans ce raboteux mais si beau pays de Thiers.

Que ce sol continue de nous inspirer tous car il répond au besoin de véritable amour de ses enfants.

Jean-Paul Gouttefangeas