Temps de Toussaint

En ce samedi après-midi précédant la Toussaint, j’avais envie d’un moment de dépaysement, j’ai donc entrepris une promenade, mi nostalgique, mi triste, en solitaire, pour contempler la nature qui finira bien par changer de couleur (elle a déjà commencé), les frimas vont arriver, même si la température est folle et anormale. Ma première idée était de me rendre sur un bord d’eau, propice à la réflexion sur le temps qui passe, (les peintres disent que l’eau représentée sur un tableau est synonyme de tristesse), pour essayer de rencontrer l’automne, penser à ceux qui nous ont quittés, en un mot baigner dans une atmosphère de Toussaint.

Mon projet était d’aller voir le petit pont ‘’vieil’’ dont il a été question cette semaine dans la presse locale, citant la belle et louable initiative d’une association qui a décidé de se pencher sur son sort, histoire de le faire sortir de l’ombre. Du haut du pont St Roch, j’ai regardé la Durolle, à droite, à gauche : que nenni, je n’ai rien aperçu mais je ne m’avoue pas vaincu je me renseignerai. Pour l’heure, suivant encore mon idée première, je me suis dirigé vers un autre lieu entouré de déchirements et de ravines abruptes. Là, sur le bord de la route, un café restaurant faisant même pension (c’est écrit sur le mur !), on peut même encore y lire les spécialités pour le casse-croûte : ‘’Patée moule !’’ ! Bière Mosser, le tout entourant un bel escargot bien peint et très engageant. On peut voir la trace de nombreuses autres inscriptions mais le temps a fait son œuvre, les images sont parfois éphémères, voire fugaces, je n’ai pas réussi à lire le nom des propriétaires. Il me semble me souvenir qu’on trouvait aussi sur la carte de ce restaurant ‘’l’anguille de buisson » ! Je me trouvais d’emblée dans un ancien quartier ouvrier et au cours de ma promenade, des vestiges apparaissaient au travers de friches industrielles, grands bâtiments béants aux façades crevées, hangars couverts de tôles aux piliers ployant sous le poids des âges et de la rouille. Parfois, un rappel de petites entreprises comme celle jouxtant le restaurant (de l’escargot). La façade délavée affiche encore fièrement le nom de l’entreprise : ‘’ Montraynaud St Joanis’’ : manches, corne blanche pour couteaux de table et ‘’palmes’’ en tous genres, crans d’arrêt et tire-bouchons, fierté d’une entreprise d’un autre temps qui parle encore aux rares passants de ce lieu.

Juste en face, de l’autre côté de la Durolle, reliée à la route par une passerelle métallique, une grosse maison ‘’bourgeoise’’, à toiture à quatre pentes, vision un peu incongrue de nos jours à cet endroit mais habitée, j’y ai même vu le propriétaire, endormi sur le perron, couché directement sur la pierre ! Nullement dérangé, semble-t-il, par le bruit de la chute d’eau occasionné par une ‘’pelhère’’ séparant un bief du cours principal de la rivière, lui-même régulé par des vannes à crémaillère sur le point de rendre leur ‘’dernier soupir’’ ! En aval, le cours d’eau coulera dans les gorges de ‘’ l’enfer’’, lieu bien connu des Thiernois.

Le plus surprenant est sûrement l’implantation de tous ces bâtiments dans l’étroite gorge, rocailleuse en diable, sous la menace des déchirements de roche des pitons de granit constituant la Margeride d’où dévale à toute berzingue au milieu des raisins d’ours (myrtilles) une conduite forcée conduisant sa prodigieuse force. En face, plus au nord, des maisons longeant la route de Lyon semblent suspendues au flanc de la paroi. Je me suis arrêté, touché par un baiser de soleil, la vision était belle et j’ai continué d’avancer dans la gorge entourée de vergnes, d’acacias de frênes et de quelques bambous et autres renouées invasives. Là, c’est une autre usine à la toiture en verrières et en dents de scie aux ferrailles tordues, le grand portail ne coulisse plus depuis belle lurette, c’est courant d’air à tous les étages, plus de vitres, avec vue sur le désert intérieur où agonisent quelques automobiles attendant (grâce à leur âge) de susciter un intérêt de la part de quelque collectionneur avisé : plus de vie ! Alentour le règne du fibrociment, rappel d’une Société qui se transforme, prend des arrêtés, des interdits, promulgue des lois pour la santé publique. Encore une maison qui semble habitée, les jouets des enfants sur le pas de la porte, une cane blanche qui barbote dans un ‘’margouIllat’’ , le linge qui sèche. La façade de l’usine qui apparaît subitement après un virage n’est pas sans rappeler une façade d’église romane (toutes proportions gardées) avec son pignon symétrique percé de trois fenêtres en plein cintre, sur le côté c’est toute la structure d’un grand hall métallique qui se met à genoux tant son temps de vivre est arrivé à son terme.

Apparaît alors l’immense toiture du bâtiment des ‘’Aciers Coste’’ , presque plate, couverte de mousse et de lichens : le vide, la tristesse, le gris : un temps de Toussaint !
Des éboulis tout proches ont bousculé (sous la poussée des arbres) le poteau électrique qui menace maintenant de couper la route qui est devenue un chemin, son frère distant de quelques mètres a eu plus de chance, le lierre l’a enveloppé de bas en haut comme pour l’enserrer d’une mortelle étreinte, le transformant en une sorte de ‘’palmier’’ d’ornement, la lumière en son sommet n’est plus, la verdure a pris le dessus. Dans ce quartier, la nature, c’est évident, réclame son dû ! D’ailleurs les coulées de verdure sont le seul réconfort.

Contrairement à toute attente, la modernité persiste dans un ultime élan, en face du transformateur, la centrale hydro-électrique de la ville faite de verre et de béton : entrée barrée, interdite au public, ‘’il est dangereux de s’aventurer’’ etc. etc. vous connaissez la suite. Des poules picorent sur les bas-côtés, des grises, des blanches, étonnées de voir dans leur domaine du bout du monde un promeneur. Encore quelques maisons ‘’piégées’’ (l’écriteau l’indique) on ne peut se fier à rien dans ce quartier ! Pêle-mêle alentour des gravats, des carcasses en tous genres, des déchets industriels, des jouets (surtout en plastique) quelques panneaux d’interdiction (encore) des poules (toujours) dont une blessée à la patte. Des pelleteuses bordent le chemin, comme en attente de la destruction finale, prêtes à intervenir pour démolir tout ça. C’est pour moi la fin du voyage, on ne peut plus passer c’est maintenant ’’ réservé aux riverains’’, la dernière masure dégouline de partout, toit, murs, fenêtres, c’est la fin de la rue de l’Industrie, du Bout du Monde, j’ai failli écrire de la fin du monde. Je pense avec nostalgie et respect à tous ces travailleurs qui, parfois des vies entières, ont trimé en ces lieux pour gagner leur vie, ont emprunté cette rue de l’Industrie comme le font encore les rares habitants clairsemés sur ce parcours.

Lieu propice à la méditation, à la réflexion et peut-être à la prière pour certains car j’y ai vu aussi un lieu aménagé (et très bien entretenu) pour ça.
J’avais souhaité d’être dépaysé, cette balade m’a mené au-delà de mes espérances elle m’a mené au « Bout du Monde », je ne m’attendais pas à ‘’tant de Toussaint’’ dans mes impressions.

Jean Paul Gouttefangeas

Merci à François-Noël Masson pour la très belle photo qui illustre cette chronique.