Pour les Vaudevillistes...

Article paru dans La Lanterne le 17 février 1897

Elle est plaisante, vraiment, cette histoire qui nous vient en droite ligne d’un village du Puy-de-Dôme !
Ces jours derniers, on devait baptiser en ce village, du nom insignifiant d’Escoutoux, trois jeunes Escoutousiens - est-ce bien cela ? — trois futurs conscrits sur la langue desquels leurs familles avaient jugé utile de faire déposer par quelque curé un peu de sel.
Les trois frêles Escoutousiens, nés dans des hameaux différents, étaient, paraît-il, descendus, ou plutôt avaient été descendus par leurs respectives familles, dans la même auberge, en attendant le baptême.
On les coucha dans le même lit, celui de l’hôtelière, assez large pour eux.
L’heure venue, tandis que carillonnaient les cloches, les trois Escoutousiens furent transportés à l’église, par leurs trois parrains, comme cest la coutume dans le Puy-de-Dôme (chef-lieu Clermont-Ferrand).
Un peu d’eau, de sel marin, ce fut vite bâclé.
Le soir, les parrains ramenèrent à leurs mères angoissées les rejetons, munis d’un sacrement, mais pas plus fiers pour cela.
Hélas ! Aucune des mères ne reconnut son enfant. Pauvres, pauvres mères ! En
partant pour l’église d Escoutoux, les parrains, joyeux viveurs, l’œil noyé par de copieuses libations, s’étaient trompés ! Dans le lit de l’hôtelière, chacun avait pris, au petit bonheur, un enfant, sans s’assurer qu’il avait bien affaire à son filleul.
La douleur des mères, ainsi refaites par les trois parrains, faisait peine à voir. Durant toute la nuit, on courut de hameau en hameau, pour faire le troc des Escoutousiens. Ce n’est qu’au petit jour qu’on put restituer les enfants à leurs mères, comme a dit Paul Déroulède.
Que dis-je ! Les trois familles jouissant de la même ce qu’on est convenu d’appeler « honnête aisance », les trois enfants étaient vêtus de même sorte. Si bien que les mères en sont encore à se demander si elles sont bien rentrées en possession du véritable fruit de leurs entrailles.

Cruelle, trois fois cruelle énigme !

Ernest Beaugruitte

L’article sur Gallica