Les manuscrits de la mère morte

J’ai retrouvé, lors de notre dernier déménagement, des lettres et des petits mots rangés dans le tiroir d’une commode (celle du grenier). Parmi ces papiers, il y avait quelques messages de ma mère disparue depuis plus de vingt ans. Oh pas de lettres pathétiques, non, des évocations, des conseils, des demandes de nouvelles, ce qu’une mère peut écrire à ses enfants, pour tout dire les choses de la vie. J’étais parti en vacances parfois à l’étranger, en voyage, dans des stages sportifs, elle voulait savoir ce que je faisais, ce que je devenais loin de la maison, loin d’elle. Il y a soixante ans et plus, le téléphone n’avait pas l’importance qu’il a prise de nos jours, les appels étaient plus rares, alors on échangeait par écrit.

Curieux de mon heureuse découverte, je me suis installé sur le coin d’une table qui avait été celle de sa cuisine, j’ai relu ces lettres, quelques-unes étaient encore conservées dans leur enveloppe, en les ouvrant, je refaisais les gestes déjà faits il y a tant d’années. L’émotion s’est emparée de moi. J’ai fait un grand saut dans le temps, ce moment que je vivais là, tout seul dans la pièce du fond était comme suspendu, ce courrier que j’ouvrais, ces mots écrits de la main de ma mère me la rendait présente et vivante. Ce papier un peu défraichi redevenait soudainement lui-même vivant et actuel, le temps n’avait plus d’emprise sur ma mémoire et sur mes sentiments à son égard. Là, elle me demandait de ne pas prendre froid, là, de bien mettre mes gouttes dans mes oreilles, de ne pas veiller trop tard ! Je redécouvrais par ces conseils tout l’amour d’une mère aimante, au travers de propos pouvant paraître désuets mais pourtant non dénués d’une grande attention et surtout d’une prévenante sagesse maternelle. Une enveloppe mentionnait l’adresse du CREPS de Dinard, à cette époque ce centre dédié au sport s’appelait ainsi (Centre Régional d’Education Physique et Sportive) avant de devenir aujourd’hui le Campus Sport Bretagne. La lettre à l’intérieur me souhaitait mon anniversaire (on était en novembre) et voilà que plus de 60 ans plus tard, toujours en novembre je lis les bons vœux de ma mère, c’est vrai que le hasard n’existe pas !

Avec l’âge, je prends davantage conscience aujourd’hui de l’importance de ces petits mots, ils en avaient beaucoup plus pour elle que pour moi à l’époque, je les lisais alors en vitesse, comme quelque chose d’habituel, de normal. Dans ses propos à elle, il y avait sûrement aussi de l’inquiétude mais cette notion-là m’échappait totalement. Pourtant, j’étais plein d’amour pour elle, j’aurais dû le lui dire davantage sur le moment. Le temps s’enfuit et s’efface à nos yeux, la vie nous remplit de plein d’autres choses, il y a moins de place pour les souvenirs parfois si importants, après il est trop tard, des regrets s’installent !

Relire aujourd’hui ces lettres me donne de la joie et malgré tout quelques remords quant à mon comportement d’adolescent. Ces échanges aussi étaient précieux, bien sûr, je répondais parfois mais certainement pas à la juste mesure des sentiments affichés dans ses propres mots. J’aurais dû faire mieux et plus pour elle : légèreté, inconscience de la jeunesse ! Peut-être alors dans la fleur de l’âge étais-je dans la norme ? Le raisonnement d’un vieillard est très éloigné de celui d’un jeune homme, ce que je suis capable d’évaluer aujourd’hui m’échappait alors. Je sais bien qu’elle ne m’en a pas voulu, elle savait apprécier, elle avait eu trois enfants et puis, ce qui me console, si j’ai pu la peiner d’une manière ou d’une autre (par une certaine ingratitude) c’est qu’une mère pardonne tout.

Ces mots, ces bouts de lettres que j’ai nommés manuscrits n’ont bien sûr aucun rapport avec les fameux manuscrits de la mer morte (mais avouez que la consonance des mots était trop belle) en dehors du fait qu’ils sont écrits à la main. Ils ne sont pas non plus rédigés en Araméen, ni en sanskrit, encore moins en hiéroglyphes mais bien dans ma langue maternelle, plus maternelle que jamais, couchée non pas sur des papyrus mais sur du papier quadrillé, pour moi bien plus précieux ! Et puis, ces lettres ont toutes un point commun, en bas à droite, d’une petite écriture penchée, un peu incertaine, elles portent ce mot des plus précieux : maman !

Jean-Paul Gouttefangeas