La vieille église sans toit ni foi

Sans but vraiment précis, j’arpentais les rues, découvrant dans les façades qui se succédaient des styles, des époques et des détails, ces derniers étant souvent des repaires permettant de reconnaître et de situer dans le temps la construction des immeubles. Ici, ce sont des pinacles de pierre, entourant une porte en accolade marquant bien la période gothique, des façades bâties à pans de bois, des maisons en encorbellements (les étages en saillie sur la rue) évoquant toujours le Moyen-Âge. Pêle-mêle, les époques et les styles se chevauchent : comment cette maison si représentative des Arts décoratifs (vers 1925) a-t-elle pu ‘’pousser ici ? La protection des sites n’existait sûrement pas encore et c’est dommage, de nos jours, c’est cet organisme qui est censé protéger l’harmonie des lieux et des quartiers. A la suite, c’est un immeuble du temps de la Renaissance qui a été ‘’posé’’ sur le mur d’un rez-de-chaussée des siècles précédents où l’on repère les échoppes à ouverture en plein cintre (économie toujours !), pourtant, le décor de la nouvelle porte d’entrée, lui, montre les effets décoratifs du XVI ème siècle. Inspirés souvent de l’Antiquité, les chambranles à méplats sculptés de feuillages, quelquefois à colonnes. Là, c’est un fronton brisé coiffant l’entrée d’une maison du XVII ème siècle. et plus loin des appuis de fenêtre galbés, trahissant l’époque de Louis XV. Sur cette autre, au-dessus de la porte, une superbe coquille taillée dans la pierre de Volvic n’est pas sans rappeler ce décor très en vogue au temps de la Régence. Il y a aussi, dans certaines rues, ces splendides constructions aux riches décors sculptés dans l’andésite, montrant par leur qualité l’opulence de leurs commanditaires : grands bourgeois, banquiers et autres fortunés du XIX ème siècle.

Quel contraste avec ce qui s’offrait maintenant à mes yeux ! Bien sûr, sécurité oblige … des barrières de protection condamnaient une entrée placardée en moult endroits de panneaux d’interdiction et de mise en garde, la sécurité de l’Esprit étant exclue ! Une église, plantée là depuis longtemps, maintenant oubliée, perdue dans sa solitude, abandonnée à son sort, sans ferveur et sans prière et plus grave encore pour ses murs et son toit, sans soins. La porte d’entrée elle-même avait subi les outrages du temps et des assauts peut-être malveillants parfois, mais pas toujours. Quelque misérable routier de malheur, par un soir pire que les autres où la misère avait débordé de l’enfer pour tomber sur lui, avait peut-être tenté sa chance à cette adresse de sans-abri où le chien, compagnon fidèle, serait admis à dormir sous le même toit que son maître. Sans me faire prier, n’y tenant plus, à mon tour, à l’insu de tout regard obligatoirement réprobateur, je me glissais dans ce lieu malgré tout encore saint. L’intérieur n’était que désordre, les dalles et les carrelages du sol étaient en partie arrachés, emportés sans doute pour quelque réemploi douteux. Des trous béants laissaient à penser que les archéologues (eux aussi) étaient passés, avaient fait des sondages pour tenter de faire parler l’histoire. Les chercheurs de trésor avaient sévi à leur tour, se trompant de trésor en ce lieu. Le chaos des meubles épars avait quelque chose de lugubre, comme dans l’attente d’une obscène brocante, les bancs surtout mis en ‘’fagots’’ prêts pour un ultime voyage : ‘’objets inanimés avez-vous donc une âme ?’’………. La chaire, détachée de son pilier s’était brisée en tombant, faisant menu bois des rangées de chaises alignées, encore au garde-à-vous, l’escalier seul était demeuré vertical, semblant envers et contre tout vouloir monter plus haut vers le ciel, dans un pathétique Pater Noster. Les murs, quant à eux, aux badigeons rongés par le salpêtre, tentaient vainement de capter l’air et la lumière des fenêtres qui n’étaient plus depuis des lustres un rempart contre l’invasion des pigeons et autres intrus de la nuit. Pourtant, ça et là quelques stèles
supportaient tant bien que mal des statues, souvent de plâtre mais pas seulement, plusieurs saints de bois présentant à leurs pieds ou dans leurs mains les attributs de leur supplice espéraient encore la ferveur des fidèles ou tout au moins le modeste bouquet de fleurs des champs de quelque respectueuse femme pieuse.

Le toit, crevé par endroits, laissait passer la pluie et la lumière. Le choeur n’était pas épargné, l’autel lui-même recevait les éléments bénis du Ciel. Mais il faut bien dire quelques mots de cet autel majeur : fait de marbres de couleur, il résistait bien aux rigueurs des éléments, mêmement pour ce qui est des colonnes d’encadrement, seul le tableau du retable n’avait pas survécu, parti peut-être sous d’autres cieux, à d’autres amours. Hormis ce manque important, l’ensemble autel-retable ne manquait pas de prestance, en fier témoin de la splendeur passée et cela malgré un vigoureux buddleia, tenté de pousser sous le souffle des anges, réussissant à masquer la béance du tabernacle. De chaque côté, deux anges comme des frères d’armes, montaient la garde dans ce décor pillé, dans un vase, le squelette d’un bouquet de fleurs de lys en était au dernier stade de la soif. Sur le côté, un grand plâtre encore intact du Christ : le coeur sacré de Jésus semblant dire à coeur perdu à celui qui avait encore l’audace d’entrer dans ce lieu : donne moi ton coeur ! Par dessus, de la fenêtre sur choeur entrait une lumière intense qui semblait m’être destinée en ce lieu de poussière pour me forcer à dire : que ma joie ne meure ! Emblématique des églises, encastré dans la muraille, un enfeu, dernière adresse de ceux qui, dans la mort souhaitaient se rapprocher encore plus près de la maison de Dieu, à l’heure des retrouvailles, sans plus aucune fonction depuis longtemps, servait là de misérable refuge à un petit orgue dont les touches d’ivoire délabrées se refusaient à croire à ce silence de mort et finalement à quitter un monde disparu mais heureux jadis parce qu’il était musical. En face, dans une petite chapelle latérale, un confessionnal éventré attendait en vain les sons d’un réconfort de pardon à des mots faits de regrets. Un feu avait été allumé à même le carrelage, ses auteurs cherchant sans doute une quelconque chaleur ici-bas. Ne restait que la cendre froide, relief visible et calciné d’une misère humaine qu’entouraient quelques bouteilles vides, aux étiquettes trompeuses : ‘’nectar des Dieux !’’. Quelques chaises étaient encore en place, certaines en vis-à-vis avaient conservé leur coussin, une pile de carnets de chants avait échappé comme par miracle aux incendiaires, prêts à servir (on ne sait jamais) donnant au lieu comme un air de salon de prêt-à-prier !

La nostalgie était ma compagne, pourtant, malgré tout, devant ce gâchis de ruines et de décombres j’espérais sentir passer le souffle de la Sacrée Lumière, parce que je suis convaincu qu’il existe une face cachée de la foi. Je me suis assis sous la tribune d’où tombaient les stalactites des araignées, entamant avec elles une conversation silencieuse, face à ‘’la passion du triste !’’, n’en voulant pas voir que les débris. C’était plutôt un questionnement : comment avions-nous pu en arriver là : Le crucifix et ces lustres entremêlés jonchant le sol ? Ce lieu qui avait vu passer tant de passants éveillés à la foi, de familles entières parfois réconciliées à l’occasion d’un dernier adieu au défunt, de mariés radieux, entourés de leurs amis et de leurs familles, de communiantes dans leur si belle robe blanche et de garçons portant si fièrement leur brassard immaculé qu’ils n’oublieront jamais. L’église alors embaumait des fragrances capiteuses des lys et autres fleurs, symboles bien marqués de chaque cérémonie. Les nouveaux baptisés qui, le seuil du porche enfin franchi, recevaient l’eau salvatrice, avant que de remonter pour la première fois l’allée centrale, en tant que Chrétiens et d’être menés jusqu’à l’autel de la Vierge. L’odeur d’encens montait jusqu’en haut des voûtes, la prière dominait, tout n’était que chants à coeur perdu. On était alors si loin d’un lieu de
culte en déshérence et de la poussière du temps qui allait tout recouvrir. Non, la foi et les souvenirs ne doivent pas s’éteindre.

La vieille église est traversée maintenant, de part en part, en toutes saisons, par le vent Divin ce qui, soit dit en passant, fait mentir à demi le titre de mon texte. Dehors (aussi) il pleuvait, je pensais alors ‘’prions sous la pluie !’’. Je quittais l’imaginaire de mon récit et une ville qui ne l’est pas moins pour rejoindre le monde réel mais j’avais une nouvelle envie, celle de dire aux rares passants de la rue : n’abandonnez pas le monde passé, il est ce qui vous a fait naître, en marqueur de nos vies, entrez et priez car on peut être ‘’triste et ressuscité !‘’ .
Alors, bientôt peut-être ‘’une messe pour le temps présent’’.

Jean Paul Gouttefangeas