La vie en voyage, l’Auvergne pittoresque

La Vie quotidienne : journal hebdomadaire / directeur : Gaston Lèbre ; rédacteur en chef : Georges Labouchère. Edité à Paris le 26 nombre 1899.

Il est déjà bien tard pour parler encore d’elle !

C’est de l’Auvergne que je veux dire. Mieux eut valu décrire ses fraîches montagnes alors que, pris de fièvre estivale, les voyageurs s’inquiètent de trouver le séjour indispensable à leur plaisir et à leur santé. Mais, la lecture des lignes qui vont suivre, bien qu’hivernale, ne sera pas tout à fait perdue, nous l’espérons, pour nos abonnés. Passés les frimas la mémoire fidèle leur retracera le souvenir agréable des sites qui illustrent ces pages. C’est là, qu’il fera bon vivre l’été venu. Et ainsi le fruit de notre réclame ne sera point stérile.

Car c’est une réclame que nous voulons faire à l’Auvergne. Ne dites pas, ô Parisiens, que cette réclame est inutile, que vous connaissez bien l’Auvergne... Vous la connaissez... c’est entendu. Mais encore trop peu nombreux sont ceux qui la visitent. L’Auvergne est vaste : elle peut contenir non seulement les touristes qui, l’ayant vue une fois, y retournent, mais encore tous ceux qui, par snobisme vont chercher en Suisse, en Norvège, au Spitzberg les beautés naturelles que l’on peut trouver, sans trop se déranger, en France.

Ces beautés existent. Ce qui n’existait pas jusqu’ici c’était le souci, chez l’habitant, de les faire apprécier ! Nos bons Allobroges, tranquilles au coin de leur foyer attendaient le touriste cependant que les Suisses avisés allaient chercher le visiteur à domicile, l’inondant de prospectus, de réclames, d’invitations. Heureusement on a fini par comprendre, en Auvergne, qu’il fallait aider un peu les beautés naturelles et il s’est formé à Clermont- Ferrand un syndicat, (je vous donne l’adresse, place de Jaude) il s’en est formé un autre au Puy et ces deux syndicats, comprenant tous les hommes d’initiative du pays ont publié et répandu à grand nombre un guide illustré, fort bien tiré par l’imprimerie Mont-Louis.

Pour vous engager à réclamer, le moment venu, l’envoi de ce guide, je lui emprunte quelques vues fort pittoresques et la préface, qui est d’un lettré :

"Vous avez un mois devant vous ; ou voulez- vous aller ?.. Aux bains de mer ? c’est bien froid. - En Italie ? c’est bien chaud. - Aux Alpes ? c’est trop haut. - En Hollande ? c’est trop plat. - Allez donc tout simplement en Auvergne.
En Auvergne ! mais vous n’y pensez pas ! C’est un pays impénétrable : il faut emporter ses vivres avec soi, et sa tente... puis, je ne sais pas l’auvergnat !
Oh ! monsieur, l’Auvergne. est... en France ; Clermont est à sept ou huit heures de Paris par la grande ligne du Bourbonnais... presque dans sa banlieue... Vous serez partout compris, vous trouverez partout bonne table et bon gîte. Une valise, un tartan et le » Guide d’Auvergne et du Velay » voilà tout ce qu’il vous faut pour voyager en ce benoît pays".

Mais enfin ! qu’est-ce qu’on y voit dans ce pays ? de l’herbe verte et des boeufs rouges ?

Eh ! monsieur, c’est déjà plaisant ; mais il y a bien autre chose à voir ! - Zigzaguez avec moi. Prenez le chemin le plus long et le moins rapide, la ligne de Paris à La Bourboule et au Mont-Dore. Descendons à Laqueuille et en route pour Clermont par la ligne de Tulle. C’est au mois de mai qu’il faut voir cela ! Les monts Dore sont encore tout blancs, mais des deux côtés de la Miouze et de la Sioule boutonnent les bouleaux et les aulnes. Regardez les vaches rouges, les paysans bleus, les femmes en jupe courte trottinant prestement sur leurs jambes maigres.., hein ! quel bon air, quelle brise agreste et fortifiante ! Un bon temps pour escalader les Dômes, ces gros pâtés verts que vous voyez là sur la droite. - Attention ! Nous voici sur le rebord du plateau. Devant vous, à quatre cents mètres de profondeur, une plaine de dix lieues de large, une mer de blé, fleurie de beaux villages blancs aux toits rouges, et derrière la Limagne, les monts de la Madeleine, les monts du Forez, les monts du Velay, bleu et or, comme un manteau de roi, avec des touches de neige, blanches comme hermine. Ce gros tas de tuiles, droit au-dessous de nous, c’est Riom, la solennelle cité judiciaire. - Il faut voir Riom le jour de la Saint-Amable, il faut voir la procession, la roue de fleurs et la châsse d’or portée par douze hommes en grand costume de brayauds.- Un peu à gauche, voilà le donjon de Tournoël, sur la hauteur le château de Chazeron, au pied de Chazeron, Châtelguyon. - A droite maintenant, cette tour au bout du plateau, c’est Châteaugay ; ce pli de terrain c’est la vallée du Bédat, toute blanche de fleurs : pommiers, poiriers, pruniers, cerisiers, abricotiers, pêchers sont en grande toilette de printemps. C’est le paradis terrestre !

Oui, monsieur, et quand les pommes sont mûres, il est toujours défendu d’y toucher.

Derrière la côte là-bas, voyez-vous Clermont, avec les flèches de sa cathédrale, Clermont la ville noire, qui commence à quitter le deuil de ses dauphins d’Auvergne et se pare de jolies maisons neuves en belle pierre d’Arles. En trois quarts d’heure, le train va descendre de quatre cents mètres, nous verrons au passage Durtol et Royat et nous aurons à choisir entre vingt hôtels pour nous reposer et passer la nuit. - Vous voulez continuer le voyage ?... filons sur Thiers à travers la Limagne. Thiers est une ville industrielle ; ce beau torrent que vous entendez, c’est la Durolle qui anime toutes les usines de coutellerie et la fabrique de papier timbré. - Monsieur, Dieu vous en garde. - Thiers fabrique des eustaches de six sous et des couteaux de luxe à dix ou douze lames ; Thiers fabrique pour Tolède, Thiers exporte à Buenos-Ayres et au Chili. Redescendons jusqu’à Pont-de-Dore. Si vous voulez tourner à droite, c’est la
route de Vichy, à gauche c’est la route de La Chaise-Dieu et du Puy. La vallée de la Dore est des plus riantes. - A Vertolaye aboutit le chemin qui mène à Pierre-sur-Haute, le point culminant du Forez d’où on découvre Cantal, monts Dore et monts Dômes, les Cévennes et le Mézenc. Aimez-vous .les monuments : voilà l’église d’Ambert, voilà La Chaise-Dieu, l’opulente basilique, riche de peintures et de tapisseries, où psalmodiaient les moines noirs dans leurs stalles de chêne sculpté. Plus loin encore voilà le Puy, sa cathédrale, son rocher d’Aiguilhe, sa vierge colossale. - Le Puy, un mont Saint-Michel au fond d’un cratère. - Mais redescendons vers la plaine, l’an prochain nous irons peut-être visiter le Cantal. Nous aurons en MM. Boule et Farges, des guides incomparables. La saison n’est pas encore assez avancée, les bergers se hasardent peine sur le plateau et les amandiers sont déjà fleuris à Langeac. Langeac n’a qu’une toute petite plaine, Brioude en a déjà une plus grande. A Arvant nous sommes au seuil de la Limagne issoirienne. Là bas, par ces gorges, que de belles excursions ! Rentières, La Godivelle... - Vous êtes pressé ? hâtons-nous. - Mais vous ne voulez pas vous arrêter à Issoire ?

Qu’est-ce que c’est que ça ?

Ça ! mais c’est là vieille ville guerrière du seizième siècle dont la plaine était ceinte de châteaux : Nonette aux triples remparts, Usson, où Henri IV mit la reine Margot en pénitence. – Mais vous êtes pressé. Ne parlons pas de Besse et du lac Pavin, de Saint-Nectaire ni de Murols. Un coup d’œil au nez de Périer, aux saints de Parentignat, aux jolis bourgs de Corent et de Mirefleurs. Nous voici à Clermont. - Dans sept heures vous serez à Paris, à votre cercle, à votre bureau, à vos affaires - heureux homme...

G. DESDEVISES DU DESERT

L’article sur le site de Gallica