La polémique Brugerette-Planche (1932)

Fernand Planche : émouleur et écrivain par Georges THERRE

Rappelons en quelques mots quelle était la personnalité de l’abbé Brugerette. Ceux qui aimeraient en savoir plus devront consulter la magistrale étude consacrée par Jacques Ytournel, archiviste honoraire, à cet ecclésiastique en 1979. Né en 1863 à Ambert, licencié d’histoire, licencié de philosophie, auteur de manuels d’histoire réputés, romancier, moraliste, lauréat de l’Académie française, très indépendant d’esprit au point d’avoir encouru les foudres de l’évêque de Clermont, il voit sa carrière d’enseignant interrompue par une nomination de curé de la paroisse de Saint-Jean de Thiers de 1909 à 1943, qui ressemble fort à une sanction. La paroisse est pauvre, mal tenue, relativement peu fréquentée. L’abbé Brugerette lui insuffle une vie nouvelle, rédige seul un bulletin, L’Ami, qui conquit le public thiernois. Après la guerre de 14, il publie chaque semaine des articles dans Le Journal de Thiers, sous divers pseudonymes.

Avec une certaine hauteur de vue, il rend hommage aux patriotes français dans un article de juin 1932, signé Jean Dalger. Il a alors 69 ans. Et voilà que Fernand Planche, 32 ans, nanti du Certificat d’Etudes, de ses nombreuses lectures et d’un certain culot s’en prend à ce monument de culture et de finesse ! En ignorant totalement d’ailleurs qui se cache derrière le pseudonyme Jean Dalger. Il lui envoie une lettre personnelle où il proclame en citant des vers latins que « la vie de l’individu est au-dessus de tout  » et que « si une nouvelle guerre survenait, il s’abstiendrait d’y participer sous aucune forme ».

La réponse ne se fait pas attendre. L’abbé Brugerette, plus prudent que Planche, se renseigne de très près sur son adversaire et lui assène, le 3 juillet 1932, un article, «  L’antipatriotisme  », avec cette dédicace « Pour M. Fernand Planche », dans le Journal de Thiers. Après une telle argumentation bien documentée, il lui adresse cette flèche, en donnant la parole à la Patrie : « Tu es intelligent et c’est moi qui ai nourri ton intelligence. Tu es instruit et c’est de moi que tu tiens l’instruction…En défendant mon sol, je défends ta précieuse vie et les mille objets utiles de ton comptoir. Comment oserais-tu refuser de me prêter main forte ? »
Planche réplique par une deuxième lettre personnelle où, reprenant la phrase citée précédemment, il raisonne à son tour : « il fait admettre que si j’étais idiot, c’est moi qui pourrais dire à la Patrie : si je suis idiot, c’est toi qui m’a fait idiot, par conséquent, votre argument n’a aucune valeur. » Dans Le Journal de Thiers du 17 juillet, Brugerette réplique par un véritable cours de philosophie où il prend très au sérieux les objections de Planche.


On aurait pu en rester là, la courtoisie étant sauvée. C’est le Groupe des Anarchistes thiernois qui relève le gant, en distribuant en ville un factum injurieux et violent à l’adresse de Brugerette. Aussitôt Brugerette, dans Le Journal de Thiers du 31 juillet anéantit les malheureux par des remarques fulgurantes sur la syntaxe et la pauvreté d’esprit de nos anarchistes thiernois ; et il rend au contraire hommage à son premier adversaire : «  Nous avions rencontré chez M. Planche… raisonnement, courtoisie, correction grammaticale, quelques notions d’histoire, et, chose très estimable, le courage d’une signature ». Ses compagnons anonymes lui paraissent, je cite « des pygmées à côté du partenaire dont ils viennent de s’instituer les avocats ». Cette fois, c’est Fernand planche qui répond par un tract imprimé le 9 août où il ironise sur le patriotisme de l’abbé dont « le poste de combat était à la Croix de la Pierre » puis il clame son horreur de la guerre, agite quelques noms d’historiens antiques pour affirmer l’inexistence du Christ, traite Brugerette de menteur sur un détail historique et provoque en duel oratoire l’abbé au cinéma Bazola ! Il accompagne le tout d’une bande dessinée anticléricale en quatre images, signée de son nom, Fernand Planche, où les deux adversaires sont représentés dans le train de Courty.

Dans Le Journal de Thiers du 21 août, Brugerette sort à son tour l’artillerie lourde. Il s’étonne du changement de ton de Planche, relève ses fautes d’orthographe et répond point par point à ses citations d’historiens. Le 25 août, nouveau tract de Planche. Il traite Brugerette de pédant, démontre que beaucoup de ses fautes d’orthographe sont en fait des coquilles typographiques ; mais, bon prince, il ajoute : «  s’il vous plaît de m’accorder la paternité de ces fautes, je l’accepte bien volontiers et je n’accorde du reste qu’une importance relative à la grammaire  ». Pour finir, il brandit la bannière Ni Dieu, ni Maître et pour faire bonne mesure ajoute un beau dessin anticlérical non signé. Jean Dalger clôt la discussion par un dernier article, le 11 septembre 1932 où il regrette les injures déversées par Planche et ses amis, prétend que Planche n’a pas répondu sur le fond des arguments, ne s’estime pas satisfait des rectifications historiques proposées par Planche, avec mauvaise foi pour une fois, à mon avis et accuse perfidement les anarchistes d’être payés par Moscou ou Berlin. Brugerette a annoncé qu’il ne répondrait plus à cette campagne et il semble que l’affaire se soit arrêtée là. Elle montre que Fernand Planche, par nature doux et compréhensif a abandonné son ton mesuré devant le dédain de Brugerette pour ses camarades ; les deux adversaires ont alimenté une querelle qui a plus donné de joie aux thiernois qu’aux protagonistes. Aucun vainqueur ne peut être désigné dans une telle joute, mais c’est tout à la louange de Fernand Planche d’avoir, sans ridicule, tenu tête à l’une des fines plumes de l’époque.

Georges Therre

A suivre... La guerre 1939-1945

De la meule à la plume, causerie sur Fernand Planche, émouleur et écrivain - par Georges THERRE - 1984.