La Commune, elle souffla aussi à Thiers - 8 : interrogatoire de la femme Guérin, dite Fanchette

À lire précédemment : Le procès : interrogatoire de Bourgade

Suite de l’audience du 22 août

D. Vous êtes représentée à Thiers comme une femme de mauvaise vie ?
R. Je n’ai jamais mené une mauvaise vie.
D. Votre co-accusé St-Joanis l’a dit lui-même ; il prétend que vous êtes une femme bonne à tout faire et une ivrogne ?
R. Si j’avais été une ivrogne, je n’aurais pas travaillé tous les jours et toute la journée.
D. Vous avez eu une conduite très déréglée. Même étant jeune fille, vous avez suivi une troupe de saltimbanques ?
R.. Ça ne regarde nullement l’instruction. Je ne m’en rappelle pas. Je n’ai pas à rendre compte à la justice de toute ma vie.
D. Vous vous trompez ; pour juger ce que sont les accusés, il est bon de savoir ce qu’ils ont été. Vous avez dévoré votre patrimoine pour vous livrer à la boisson ?
R. Non. Je fais un état très pénible et je ne prends que ce qu’il me faut pour me soutenir.
D. Cependant, il est constaté que vous avez toujours l’injure à la bouche et que vous ne cessez de proférer des paroles obscènes ?
R Personne de comme il faut pourra dire ça, il n’y a que les mauvaises gens.
D. On vous a toujours remarquée à la tête de tous les troubles, proférant des paroles de nature à exciter les passions populaires ?
R. Si je n’avais pas vendu de journaux, personne ne m’aurait remarquée.
D. Vous avez déclaré dans vos interrogatoires que vous n’aviez pris aucune part à l’instruction.
R. Si vous voulez me donner la parole comme aux autres, je vais raconter à MM. les jurés comment ça s’est passé.

L’accusée rentre dans des explications très longues, très détaillées et très confuses, qu’il est inutile de reproduire. Elle raconte avoir vendu, 8 jours avant l’insurrection, des journaux pour le compte de Chaurfriat et de Chomette. On lui donna 50 exemplaires du Cri du Peuple et 50 du Défenseur des droits de l’homme. Elle prétend qu’elle hésitait à les prendre mais qu’elle céda aux instances de ses coaccusés. Un agent de police lui saisit ce qu’il lui en restait. Mais sur l’affirmation de Chomette que ces journaux se vendaient à Lyon, elle contentait à en reprendre et à en vendre de nouveau le lendemain.

D. Est-ce que Chauffriat ne vous força pas à en prendre ...
R. Il ne m’a pas forcée absolument mais il m’y a encouragée à 3 ou 4 reprises.

M. le président insiste pour faire préciser par l’accusée les déclarations consignées à cet égard dans son interrogatoire, mais elle reste moins affirmative et prétend qu’elle a tant souffert dans la prison de Thiers que ça lui a fait perdre le fil de ses idées.

D. Aviez-vous entendu dire qu’il devait y avoir une émeute à Thiers ?
R. Il me semblait l’avoir entendu murmurer.
D. Dans votre interrogatoire, vous avez dit avoir entendu, le 28 avril, St-Joanis tenir dans un groupe le propos suivant : il pleut aujourd’hui, mais dimanche nous chasserons le sous-préfet ?
R. Mais ce n’est pas celui-là, St-Joanis, il y en a plusieurs.
D. La femme Dascher ne vous a-t-elle pas fait toucher des pierres dans sa poche ?
R. Oui, elle m’en a fait toucher une.
D. N’avez-vous pas vu la même femme Dascher frapper et poursuivre M. Guionin blessé ?
R. Oh ! Monsieur, je n’ai pas dit ça, je ne savais pas ce que je me disais.
D. Cependant vous auriez répondu avec une indignation qui vous honore : Malheureuse, tu as fait du mal à un homme qui t’a nourrie tout l’hiver !

L’accusée entre dans des explications contradictoires. M. le procureur général relit son interrogatoire ; l’accusée prétend qu’on tout changé ce qu’elle a dit.

D. On vous a vue, avec la femme Lauradoux, chacune un fusil à la main : "Oui, mes amis, disiez-vous, demain je prendrai mon bonnet phrygien et nous proclamerons la Commune ?"
R. Pas un témoin ne dira ça. Je n’ai pas touché de fusil.
D. À minuit, vers la cure, ne vouliez-vous pas entrer pour détruire les calotins et aller sonner le tocsin à l’église ?
R. On a pris une autre pour moi. C’est atroce de me prêter pareil propos ; je suis incapable de dire ces choses.
D. Un témoin prétend cependant vous avoir entendu tenir ces propos et d’autres encore que nous n’osons répéter.
R. Non, Monsieur. La femme Girard m’a dit, elle : Nous avons traité les prêtres comme il faut, nous les avons appelés m... p...
D. Vous êtes restée longtemps vers la cure quand la foule ameutée y est revenue pour la 3° fois. C’est vous qui commandiez et vous ajoutiez : Nos frères de Paris ne font pas comme vous ; ils ne se retirent pas, eux. Puis, levant les yeux sur les fenêtres derrière lesquelles vous supposiez qu’étaient les ecclésiastiques, vous dites : Si nous n’avons pas la soutane, nous aurons la peau.
R. Ah ! Mon Dieu, est-il possible de me faire dire de pareilles choses. Je suis innocente de tout cela, je demande vengeance contre ceux qui m’en accusent.

À suivre : Le procès - Interrogatoire d’Anne-Saint Joanis, femme Lauradoux.

Merci à Georges Therre pour nous avoir confié ces documents.