La Commune, elle souffla aussi à Thiers - 20 : audition des témoins, audience du 25 août

À lire précédemment : Audition des témoins : reprise de la déposition des gendarmes

Audience du 25 août.

À 9 heures un quart, la Cour entre en séance.
M. le président avertit les jurés qui étaient revenus pour l’audience du jour qu’ils sont libres jusqu’à lundi.
On renvoie également les témoins des affaires qui avaient été fixées par l’audience du jour dans le tableau.

M. le président . Chomette, nous avons reçu une lettre de votre femme qui réclame avec instance l’audition de M. Guionin.
Chomette . C’est pour prouver que les manœuvres qui furent faites pour empêcher notre élection, car toute cette affaire n’est que la suite de ces manœuvres. Voilà pourquoi ma femme insiste.
M. le président . Chomette, vous avez prétendu avoir été condamné par les commissions mixtes. Je dois vous faire reconnaître que M. le procureur général a fait passer plusieurs dépêches pour être renseigné là-dessus, et, en voici une en réponse qui lui apprend l’état du travail des commissions mixtes, qui existait à la préfecture, en a disparu au mois de septembre. Toutes les recherches qu’on a faites pour le retrouver ont été inutiles.
Chomette . Ces pièces ont paru dans le journal Le Républicain.
M. le président . Ce n’est pas là une explication officielle, et si on le savait, on n’aurait aucun intérêt à le dissimuler. Si vous aviez été présent, il est même probable que vous auriez été condamné, mais vous aviez passé à l’étranger. Du reste, si vous voulez qu’on admette votre condamnation comme acquise, personne ne s’y oppose.
Chomette . Je veux qu’on admette la vérité.
M. le président . Eh ! bien, alors, il est inutile d’insister.
Dussent Genès , forgeron, ex-officer de la 4° compagnie. Le 27 avril, j’étais de garde. Il se forma quelques groupes devant la mairie. Quatre ou cinq individus vinrent vers mes factionnaires et cherchèrent à passer entre les deux sentinelles. Où allez-vous ?, leur dis-je. Au poste. Vous n’avez rien à y faire, retirez-vous. On les fit circuler. Ils revinrent une deuxième fois. Un individu en blouse blanche, que je ne connais pas et que j’avais entendu crier : "Enlevons le poste, enlevons l’officier" dit "Si je savais le nom du chef de poste, il ne serait pas officier demain". Un autre demanda quelle était la compagnie de garde. La 4°, lui répondit-on. "C’est une compagnie de chouans", dit-il alors.
Le lendemain, un de ceux à qui j’avais refusé l’entrée du poste vint me trouver et me dit : "Vous m’avez empêché d’entrer, et cependant je venais vous avertir qu’il y avait un complot d’une vingtaine d’individus qui voulaient enlever le poste".
La police a agi avec prudence et j’ai fait de même.
M. le président . En résumé, il semble résulter de la déposition du témoin qu’il y avait eu déjà un complot pour enlever le poste de la mairie, et que ce complot n’a pas pu aboutir grâce à la fermeté du chef de poste.
M. le procureur général . À propos de la lettre écrite par la femme de l’accusé Chomette, je désire savoir si on honorable défenseur insiste pour cette audition ?
M° Nony . C’est ce qu’il m’est difficile de savoir. Je ne puis prévoir si les témoins à décharge, de la déposition desquels je n’ai pas la moindre idée, établiront des contradictions qui rendraient utile l’audition de M. Guionin. Quant à moi, je déclare que sa déposition écrite me suffit pour le moment, et il est très probable que nous n’aurons pas besoin d’avoir recours à l’audition. En tout cas, je déclare que quant à présent, je n’insiste pas.
M. le procureur général . C’est ce que je tenais à constater.
Pierre Bouchet , forgeron. Au commencement de la république, il y eut chez moi une petite réunion de voisins. On parlait d’organiser la garde nationale, et on se demandait qui on nommerait. J’avais une chambre disponible, et je la mis à disposition de ceux qui constituaient la réunion. Le soir, l’un et l’autre y venaient. On y lisait les dépêches, les journaux. Cela duré à peu près un mois, mais quoique propriétaire, j’y assistais rarement.
D. On se cotisait pour payer les frais ?
R. Oui. On donnait un sou, deux sous, pour payer l’éclairage, le local, les journaux.
Rémy Bechon-Talerias , coutelier. Je connais trois des accusés : Vedel est un parfait honnête homme ; il m’a donné toujours de bons principes d’ordre et d’économie. Chomette appartient à une famille des plus honorables qui a rendu de grands services dans la localité qu’elle habite. C’est un républicain, mais un républicain honnête.
Je connais moins Chauffriat, mais toujours entendu dire qu’il était aussi un parfait honnête homme.
Pierre Chaumon , forgeron. J’ai reçu une lettre de Vedel pour me rendre à une réunion qui devait avoir lieu chez lui. Lorsque j’arrivai, Vedel me dit que la réunion n’aurait pas lieu, et de revenir le lendemain. Chauffrias me dit alors : si vous venez demain, au lieu de venir ici, venez tel numéro, telle maison, rue de Lyon.
Le lendemain, je fus à cette réunion, il y avait une trentaine de personnes en plusieurs groupes qui causaient isolément. Chomette demandant ensuite le silence et engagea à aller à la réunion de Clermont. On parla d’une lettre que Vedel avait reçue.
J’ai assisté à d’autres réunions à Thiers, notamment une qui eut lieu le lundi avant le 30, à laquelle Chauffrias m’avait convoqué.
Vedel . Le témoin prétend que j’ai convoqué par lettre. Je ne me rappelle pas du tout lui avoir écrit. Quant à la lettre que j’aurais reçue, d’après lui, de Clermont, elle n’a jamais existé.
Pierre Bord , entrepreneur. Au commencement d’avril, j’assistai à une réunion publique à Clermont. Elle était composée d’environ 4 à 500 personnes. M. Jules Magne, présidait. On demanda d’envoyer des délégués à Versailles et à Paris, et M. Jules Magne quitta la présidence.
M. le président . C’est-à-dire que M. Jules Magne émit l’opinion qu’il valait mieux envoyer des délégués à Versailles qu’à Paris ; que l’Assemblée ne parut pas être de son avis, et qu’alors il se retira.
Le témoin . C’est cela.
Chomette . Le témoin commet une erreur. La question n’était pas de savoir si on enverrait des délégués à Versailles ou à Paris, le point qui me divisait de M. Jules Magne était celui de savoir si on en verrait des délégués ou seulement, suivant son avis, une pétition.
Le témoin . Aussitôt M. Jules Magne parti, Chomette s’approcha du bureau ; je ne puis dire positivement qu’il ait pris la présidence, car je sortis au moment même.
Joseph Guionin , entrepreneur à Thiers. Le 12 avril, je revenais par l’omnibus de Dore à Thiers. J’occupais la 1ère banquette avec M. Durif, procureur de la République et M. Moisnier ; Chomette était assis à la banquette inférieure. Une conversation s’engagea entre M. Durif, procureur de la République, et Chomette. Je ne l’entendis qu’imparfaitement à cause du bruit de la voiture et aussi parce que témoin involontaire, je faisais tout ce que je pouvais pour ne pas entendre. Je n’y pris aucune part.
M. Durif dit à Chomette : "Vous êtes entré à Paris ; vous en venez ?". Chomette répondit : "Oui, j’y suis entré facilement. Paris est tranquille ; tout s’y passe bien. Versailles ne pourra jamais prendre Paris ; la Commune gagnera ; du reste le droit est de son côté, tandis que les Versaillais ne songent qu’à restaurer une monarchie. Pour que la Commune réussisse, le mouvement doit être général ; il faut que chaque commune se soulève". Je dois ajouter que Chomette paraissait en proie à une grande exaltation.
M. le président . Chomette, ce que vous disiez là est tout un programme.
Chomette . Pardon, j’ai dit à M. Durif non pas que la Commune mais que Paris représentait le droit. Ce n’est pas la même chose. Paris voulait ses franchises municipales, et quand on a vu l’échec de ses maires à Versailles, on a cru que l’Assemblée voulait une restauration monarchique, comme on le croit encore aujourd’hui. Je suis opposé à toute espèce d’échauffourée qui ne peut faire que du mal. Ce que je voulais, c’était l’adhésion générale de la France par la pression électorale.
Blaise Faye , bourrelier. Dans le courant d’avril, Chomette s’est présenté chez moi, disant qu’il faisait une quête pour envoyer des volontaires à Paris. Je lui demandai combien ils coûteraient ; il me répondit : 40 francs chacun, mais on donne ce qu’on veut.
Je lui répondis que je n’étais pas assez riche pour donner.
Chomette . J’ai eu une longue conversation avec le témoin. Il a mal compris mes premières paroles et c’est à titre de plaisanterie que la conversation a continué.
D. Qu’alliez-vous faire chez ce témoin ?
R. Une quête pour établir des comités électoraux permanents.
Fayet-Suchal , épicier. Je suis parent avec Chomette au 5° ou 6° degré.
Chomette . Pardon, nous sommes cousins issus de germains.
Le témoin . Une dizaine de jours avant le 30 avril, Chomette, passant devant chez moi, me dit : voulez-vous souscrire pour les affaires de Paris ? J’expliquerai ça. Le témoin a mal compris.
Pierre Manaranche , aubergiste. Dans le courant du mois d’avril, Chomette vint chez moi quêter pour les volontaires pour la commune de Paris. Je lui répondis que j’avais assez à faire pour moi et que je ne voulais pas plus donner pour Paris que pour Versailles.
D. Qu’a-t-il ajouté ?
R. Je ne m’en rappelle pas.
D. Ne dit-il pas qu’il était chargé de faire cette quête ?
R. Oui, il dit qu’il était chargé par la commune de Paris.
Chomette . Les souverains de M. Manaranche le servent mal. Il me donna 1 franc, qui furent inscrits sur la liste qui portait une entête que je lui montrai : "souscription pour un comité électoral".
Le témoin . M. Chomette ment. Ce n’est pas poli, mais il faut bien que je dise ma pensée.
Chomette . Cette liste, du reste, qui constituait un fort cahier, a passé sous les yeux de M. Durif, procureur de la République, en en a vu l’intitulé.
Jean-Marie Pelossieux , maître de poste. Je suis correspondant du chemin de fer. J’ai reçu divers paquets de journaux adressés à M. Chauffriat, contre remboursement.
Le 24 avril, il en vint un par le 1er train et un second par le train de 10 heures. Chauffriat les refusa disant qu’il n’avait pas ordre de payer. Chomette vint ensuite les retirer et paya le port. Le 25, arriva un autre paquet, que M. Chauffiat reçut et paya. Il en arriva un autre le 26 ou le 27, mais la gendarmerie avait ordre de saisir et saisit.
Le 28, un nouvel envoi fut saisi par la police sur la brouette de mon facteur. Enfin, le 29, un dernier paquet arriva. Sachant qu’ils étaient saisis, je ne l’envoyai pas à mon domicile ; mais M. Chauffriat vint le retirer chez moi ; il le mit dans son tablier de cuir de façon à le soustraire à la vue, et l’emporta.
Chauffriat . Le témoin a pris le 29 pour le 28. Je n’ai rien reçu le 29. C’est le 28 que j’ai reçu le dernier paquet.

Le témoin et l’accusé restent en contradiction sur cette date.

M. le procureur général . Cette date a une grande importance, ainsi que vous le verrez dans la discussion. Chauffriat, avec son intelligence, le comprend bien. Mais comme le paquet retiré par Chauffriat l’a été le lendemain de la dernière saisie, je vais vous faire connaître le procès-verbal même de cette saisie. Le voici. Il porte en tête : Aujourd’hui, 28 avril.
Chauffriat . C’est faux.
D. Comment, vous accusez le commissaire de police de faux ?
R. Je ne veux pas dire qu’il ait commis un faux, volontaire, mais il a sûrement commis une erreur.
Chomette . Oui, c’est une erreur grave, très grave.
Un juré . Lorsqu’on retire un colis venant par le chemin de fer, on signe une feuille d’émargement. Est-ce qu’on ne pourrait pas avoir le bordereau de ces jours-là ?
M. le président . L’observation de M. le juré est très judicieuse. Témoin, il faudra vous procurer ces feuilles.

Après une nouvelle discussion sans issue, le témoin promet de demander les bordereaux qu’il a rendus au chemin de fer.

M. le procureur général . M. Pelossieux a livré le paquet à Chauffrias, c’était son droit, quoiqu’il sût que ces paquets devaient être saisis. Mais quant au commissaire de police de Thiers, il n’a pas eu ce jour là une vigilance suffisante et il n’a pas fait son devoir, pas plus que la gendarmerie. Le paquet aurait dû être saisi avant que Chauffrias n’ait eu le temps d’en prendre livraison ; j’exprime ici tout mon blâme contre ceux qui n’ont pas rempli leur mandat et ce blâme est mérité.
Le témoin . J’ai vu Chomette lorsqu’il est venu prendre la voiture à mon bureau pour aller à Lyon. Il me dit qu’il allait voir les hommes du parti ; il vanta la Commune disant qu’on devrait la proclamer partout, et que si on voulait l’écouter à Thiers, ça irait mieux.
Je lui répondis : N’allez donc pas renouveler ce que vous avez fait en 1848, où vous fîtes battre deux communes pour les élections.
Chomette . Le témoin a mal saisi. En disant : si on voulait m’écouter, je ne parlais pas de Thiers, mais de Paris et Versailles. Si on avait voulu m’écouter en effet, ils auraient été arrangés en 5 minutes.

L’audience est suspendue.

À deux heures l’audience est reprise et on commence la série des témoins à décharge.

À suivre, dernier "épisode" : audition des témoins à décharge.

Merci à Georges Therre pour nous avoir confié ces documents.