Il finit quand le bal masqué ?

Le bal masqué peut être drôle et joyeux, d’ailleurs il a été créé pour ça. Cette forme de bal, le visage caché, permettait et permet encore parfois aux danseurs de participer incognito à la fête. On peut y trouver plus de fantaisie car il y a l’ajout du mystère et de la liberté au bal formel. En cela l’événement peut se transformer en une ambiance plus sensuelle, voire libertine pour certains.

Cette pratique du bal masqué et déguisé ne date pas d’aujourd’hui, on se souvient des plus célèbres. C’est sous le règne de François Ier qu’apparaissent et se généralisent les premiers ! (même si l’histoire rapporte quelques cas isolés avant) et c’est grâce à des artistes comme le Primatice et Léonard de Vinci (dans l’entourage royal) qui, venant d’Italie, vont influencer le style de fêtes à la cour de France. Comment me direz-vous ? c’est simple, en dessinant les costumes et en mettant en scène les manifestations. Un peu plus tard ce sera l’Intendant Fouquet qui donnera un grand bal (en partie masqué) en 1661. Un des plus célèbres de ces fameux bals masqués est peut-être celui donné par le roi Louis XV dit le Bien aimé en 1745 à Versailles : entré dans l’histoire sous le nom de « bal des ifs ». Ce jour-là il mariait son fils aîné, le Dauphin donc à Marie Leczinska. Avec une idée derrière la tête, le souverain, ne voulant pas être reconnu durant cette nuit, décida qu’il apparaîtrait incognito, masqué. L’idée, c’est qu’il voulait manifester son intérêt à une dame mariée (sans qu’on le reconnaisse) : Jeanne Antoinette Poisson (qui deviendra plus tard marquise de Pompadour).

Maison de l’Homme des Bois à Thiers

Cette fête était somptueuse 15 000 personnes se pressaient dans le château et toutes voulaient accéder au salon d’Hercule, le plus près des grands appartements, le buffet y était somptueux quoique maigre (on était en temps de carême) on y trouvait des quantités de poissons, de fruits et de gâteaux en tous genres. Les invités avaient redoublé d’inventivité pour le choix de leur costume, les « sauvages » côtoyaient les Turcs, les animaux les plus fantastiques et autres diables. Enfin firent leur entrée huit personnages déguisés en ifs taillés en pointe. Le roi était l’un d’eux incognito ! La fête commencée le 23 février se termina le 24 à 8 heures 30 du matin ! La mode dans toutes les Cours était lancée par Versailles, phare de toute l’Europe.

Un autre bal célèbre par sa longévité celui-là : le bal de l’Opéra (plus ou moins masqué). Nous le devons au Régent qui l’ordonna pendant le carnaval de Paris, (qu’il clôturait) le premier eut lieu le 31 décembre 1715 et se renouvela tous les ans. À la fin du XIX ème siècle on le désignait sous le nom de « grand veglione de l’opéra ». Il fut abandonné pour raison technique : en effet le plancher de l’opéra extrêmement usé et détérioré menaçait de s’effondrer, on décida de ne pas renouveler le système amovible (pour l’occasion), c’était vers 1920.

Ce que nous vivons actuellement, bien que masqués, n’a rien d’un bal. Pour faire « un mot » j’ai osé associer la mesure salvatrice qui nous est demandée à un divertissement et c’est loin d’en être un. Nous mesurons tous les jours la difficulté qu’engendre cette mesure. Elle est l’image la plus spectaculaire des gestes dits barrières que nous garderons plus tard quand tout cela sera terminé. Derrière notre face masquée se cachent toutes les contraintes, les privations à vivre normalement en famille et en société, les difficultés de tous ordres, de santé bien sûr et pas seulement pour ceux touchés par la pandémie, mais aussi morales, financières pour certains et souvent dévastatrices.

Pour y revenir, il y eut aussi dans l’histoire des bals tragiques. Je ne veux pas aborder ici l’horreur de l’incendie du dancing le « 5-7 » qui eut lieu à Saint-Laurent-du-Pont il y a 50 ans qui provoqua la mort de 146 personnes, pour la plupart adolescentes. Je vais plutôt évoquer le « bal des ardents », sorte de « charivari » qui se différencie du carnaval, parce qu’il n’est pas lié au calendrier. Ce bal eut lieu à Paris en l’hôtel de plaisance Saint-Paul, un des « séjours » comme l’on disait alors dans la famille royale, sur les bords de Seine (actuel boulevard des Célestins) il se déroula en 1393 (un an après la première attaque de folie du roi), à l’occasion du mariage d’une fille d’honneur de la reine Isabeau, épouse de Charles VI. Le clou du spectacle fut l’entrée remarquée dans la salle de bal du roi (incognito) accompagné de cinq courtisans, déguisés en « hommes sauvages » (on donnait alors dans la « démonologie »), enchaînés les uns aux autres, sauf le roi qui lui ne l’était pas (comme des bêtes ou des démons). Pour parfaire cette apparence, ils étaient revêtus de bourre de lin, de peaux de renards et de loups cousues et fixées sur eux et entre elles par de la cire et de la poix, le tout agrémenté de plumes. Les consignes avaient été données pour bannir les torches d’éclairage, seules quelques bougies dispensaient une chétive lumière. C’est donc dans la pénombre que la petite troupe fit irruption en gesticulant et en hurlant comme des loups dans une danse endiablée (on dirait aujourd’hui un monôme). Sur ces entrefaites, arriva le duc d’Orléans suivi de quatre de ses amis qui sortaient d’une taverne de Paris où, d’après les chroniqueurs de l’époque, le frère du roi et ses compères avaient éclusé moult pintes. Arrivant dans cette pénombre et n’étant pas au courant des consignes de sécurité de la soirée, le prince alla chercher dans la pièce voisine une torche et s’approcha au plus près d’un danseur pour tenter de reconnaître celui qui se cachait sous le masque et par cette fatale imprudence mit le feu à son déguisement. Très vite, dans l’affolement général, le feu se propagea aux autres acteurs et à certains spectateurs et au roi qui ne dut son salut qu’à une jeune fille de 14 ans (Jeanne de Boulogne) qui, jetant son hennin pour plus de commodité, parvint à l’envelopper des pans de sa robe et de son jupon. Miraculeusement, bien que brûlé aux mains, le roi survécut, contrairement aux cinq autres « enchaînés ». La reine reconnaissant alors le roi s’évanouit de terreur. Transformés en torches vivantes, l’un mourut brûlé vif dans l’instant, trois moururent de leurs brûlures dans les jours qui suivirent, un autre se précipita dans la cuisine et trouvant là un bassin d’eau de vaisselle, s’y précipita pour mourir. Le son des chalumeaux, trompettes et autres flûtes et cymbales cessa dans un désordre de panique, dominé par les cris de douleur et d’effroi, dans une fumée remplie d’odeurs pestilentielles, les flammes, dit-on, s’élevant jusqu’au plafond. Ainsi se termina cette mémorable « momerie ».

Cet événement fit grand bruit dans la capitale, (on critiqua vivement les organisateurs de cette mascarade) les Parisiens étaient affolés par ce tragique accident, connaissant bien la fragilité de la santé du roi et redoutant une rechute de ses crises de démence (ce qui ne manqua pas de se produire à quelque temps de là). Dès le lendemain, le souverain et une partie de la Cour se rendirent en procession à Notre Dame pour un office à la mémoire des victimes, en fait, pour que la population voie son roi aimé. Le duc d’Orléans, quant à lui, se sentant sûrement responsable du drame (et en repentance) fera élever une chapelle dans l’église des Célestins.

Charles VI qui fut roi à 12 ans a souffert durant toute la durée de son règne qui dura 42 ans de troubles du comportement. Ses quatre oncles, Princes du Sang, gouverneront (en régence) le pays jusqu’à ses 20 ans (bien que sacré à Reims en 1380), notamment le duc de Bourgogne : Philippe dit le Hardi, devenant ainsi un des princes les plus influents de toute l’Europe. Dès l’âge de 22 ans, les crises du roi vont très vite s’aggraver. Dans la région du Mans en 1392, peut-être lors d’une chasse, (ou d’un mouvement des troupes), il dégaine une dague et tue sans raison quatre gentilshommes de sa suite, il visait en premier son frère (le duc d’Orléans) qui put s’échapper. L’affaire fait grand bruit et consterne le Cour et les conseillers (dont la reine fait partie). On enferme Charles durant six mois, il erre dans les couloirs des palais, refusant de rencontrer la reine, il brise tout ce qui est à sa portée et tente à plusieurs reprises de se suicider. Les médecins prescrivent avant tout des divertissements ! Ce à quoi la reine Isabeau, son épouse, va s’employer. Ce qui, soit dit en passant, donne un peu « d’aise » aux « marmousets » (les conseillers) pour gouverner plus librement. Un chroniqueur de l’époque (Jean Froissart) ne dira-t-il pas : « tant que la reine et le duc d’Orléans sont occupés à danser, ils ne sont ni dangereux ni nuisibles » !

Hélas, malgré les bals ! la folie reprend le roi, au cours d’une messe cette fois. Dès lors, de Bien Aimé qu’il était, il devient « le fol ». C’est surtout ce dernier qualificatif que l’histoire a retenu. Il faut se souvenir que lors des campagnes menées en Flandre, le roi s’était distingué par une cruauté sans borne, notamment contre les habitants de la ville vaincue de Courtrai (Flandres) qu’il fit périr (sans aucune pitié) dans les flammes. Il fut bien secondé dans ce forfait par Philippe (son oncle) qui, avant l’incendie de la cité, la mit à sac, rassemblant un énorme butin (il fallait bien financer les campagnes militaires !). On peut de nos jours encore voir un témoignage de ce pillage. A Dijon, la grande horloge qui orne le toit de l’église Notre Dame que l’on connaît sous le nom de Jacquemart, n’est autre que celle qui se trouvait à Courtrai en 1383 et que le duc rapporta comme butin dans son duché. Malgré tout, il serait injuste de ne pas signaler la bravoure de cet homme qui à l’âge de 14 ans se distingua lors de la défaite de la bataille de Poitiers (d’où son nom : le Hardi).

Comme à mon habitude, je me suis un peu étendu sur les faits historiques, mais après tout, j’y suis arrivé par le bal masqué ! qui était mon sujet du jour. Chers lecteurs, m’en voudrez-vous vraiment d’avoir avec vous révisé quelques faits de l’histoire (liés aux masques) par le biais d’une période où l’on vit masqué ? Je n’aurais jamais pu imaginer un récit (lié à nos allures) pareil il y a quinze mois !

J’espère comme tout le monde que bientôt nous pourrons tous tomber le masque, ça voudra dire que cet épisode tragique sera fini et que nous pourrons enfin peut-être préparer une fête, celle de la vie.

Jean Paul Gouttefangeas

L’illustration de cet article est "Bal masqué à l’Opéra d’Edouard Manet".