Et moi qui pensais

Et moi qui pensais que tout ça s’arrangerait ! Que le soleil succédait toujours à la pluie, (heureusement, ça arrive), qu’une hirondelle pouvait tout changer dans le déroulement des saisons, que la Saint Georges était la fête des cerises et qu’éviter de passer sous l’échelle nous mettait à l’abri de la recevoir sur la tête ! Je pensais aussi que les moutons élevés « sous la mer » étaient ceux qui grandissaient dans les prés bordant les côtes ! D’ailleurs dans ma grande naïveté (mais n’est-ce que cela ?) j’ai pensé très longtemps que la course sur les mers du monde s’appelait le « vent des globes » ! Que nenni, tout est à côté, il faut se méfier des consonances trompeuses. Je me souviens aussi des cantiques de mon enfance et surtout ce très connu : « parle, commande, règne », je n’arrivais pas à saisir ce qu’était ce fameux « commanderègne » ! Avec le recul, j’ai pensé un moment que quelque chose en moi ne tournait pas rond. J’étais bavard, mais pensais-je à ce que je disais ? Je racontais des histoires. Je pense qu’ensuite j’ai essayé de moins parler, pensant que ce serait simple : non, des pensées m’agitaient, ça a toujours un peu bouillonné en moi. Alors plutôt que de les dire, j’ai pensé que les écrire serait plus reposant pour les autres.

Ainsi, pensant bien faire, j’ai couché sur le papier ce qui me trottait dans la tête, voulant ainsi y faire place nette pour des mots nouveaux. Je pensais y introduire ceux que j’avais mis en réserve pêle-mêle dans un seau sous le sceau du secret, ceux que je pensais être beaux. Je repensais parfois à ces mots oubliés qui reviennent comme des poèmes de l’enfance : l’accent des gens, les tournures locales, tous les sons de la première poésie de la vie. Mais, parler de ce moi (qui pensais), n’était-ce pas un peu prétentieux ? J’ai pensé que j’en faisais un peu trop. J’ai même pensé que j’allais finir par me faire remarquer. Alors j’ai pensé (encore) qu’écrire pouvait aussi faire sourire et ne pouvait pas être mal pris, d’autant plus que tout allait bien entre nous, ainsi je ne pensais pas faire fausse route, simplement donner forme et peut-être colorier mes mots.

Je pensais par ailleurs que la justice était toujours juste, comme la balance mais il paraît que c’est très difficile à rendre. Je pensais même que le blanc et le jaune n’étaient pas séparés et que, même avec le noir (sans parler du rouge) tout était réglé et que le mélange était une joie. Je pensais que les mers ne divisaient pas la terre, simplement que certains continents, à certains endroits, étaient situés plus bas que d’autres, l’eau se contentant de boucher les trous, mais en dessous tout était relié (et ça l’est) : terre-mer juste une différence d’éléments sur la même planète. Quand j’étais petit, je pensais que les enfants ne pouvaient pas mourir, pour ça il fallait être « vieux » et que lorsque l’on tombait on se relevait toujours, même avec les genoux couronnés. Je pensais que l’amitié n’était pas compliquée, parce qu’elle dure longtemps, on ne pouvait se tromper : il suffisait d’aimer, s’est à dire se surpasser, l’amour est peut-être le seul sentiment à nous garder vivants. Je pensais que l’âge rendait plus sage et que la parole donnée ne pouvait être reprise. Souvent pourtant la sagesse à qui nous faisons confiance (quelle folie) nous trompe en se moquant de nous. Comme une menteuse sans vergogne, capable de nous dire : « demain, tu as tout le temps », ce n’est pas vrai. Je pensais qu’il y avait des méchants mais c’était par accident, ils installaient des tapettes pour attraper les rats, mais d’autres ne se souciaient pas du rat, voulant seulement tuer le chat, ils pensaient que ça passerait inaperçu, ça les détendait. Il m’est arrivé parfois de penser que la bêtise était un concours, une compétition où les plus valeureux dans ce domaine voulaient décrocher la timbale et monter sur le podium mais c’est sûrement méchant de penser ça ?

Il m’est arrivé de penser que la vie est un rêve et qu’il ne faut surtout pas se réveiller mais tout compte fait il vaut mieux la vivre parce que « vivre est la plus belle façon de rêver ».Pourtant, tenace dans cette idée du rêve qui était dans mon idée une autre vie, je pensais qu’elle pouvait-être décuplée : comme une vie supplémentaire. J’ai très vite compris que quoi que l’on pense ou fasse), c’est un combat perdu d’avance. C’est durant la vraie vie que j’ai appris à compter, même sur les autres ! Je pensais même qu’après une vie déjà longue j’avais appris à vivre. A y penser maintenant, avec tous ces pas perdus (qui fatiguent aussi), je pensais à tous ces chemins parcourus parmi des hauts et des bas, en visant surtout les hauts, j’ai fini par penser que nous étions finalement, en général, plus entourés de descentes que de montées (contrairement à ce qu’a dit Alexandre Vialatte) et que l’art de la vie consistait à user du niveau, à essayer de ne pas se tromper (ou le moins possible) dans sa manière de la vivre.

Je n’ai jamais pensé que pour vivre heureux il fallait vivre couché (ou caché), par contre pour bronzer je pensais qu’il fallait du soleil : faux, l’artificiel a son mot à dire dans nos apparences. Pourtant ce n’est pas pour leur apparence que l’on aime les êtres, je pense que c’est pour quelque chose de beaucoup plus subtil, comme par exemple une chanson qu’ils fredonnent tout bas et que nous sommes quelques fois seuls à entendre, j’ai même écouté mon chien, il faut dire que nos langues étaient très proches, d’ailleurs on se faisait souvent des niches !

Je pense encore à cette île que j’imaginais dans mon sommeil le plus profond, mais pas seulement, ce pouvait-être aussi quand le soleil est au Midi. Mon île, belle mais lointaine semblant inaccessible, et que pourtant je voulais atteindre, mais le poète m’a dit : « ne force pas la traversée, mieux vaut qu’elle dure longtemps et que tu sois vieux quand tu jetteras l’ancre, riche de tout ce que tu auras amassé en chemin, sans en attendre plus de richesse encore » (Constantin Cavafy, 1863-1933).

Mais à force de se souvenir, de penser donc, on a parfois la tête qui tourne, on a envie de s’endormir, de se laisser emporter par l’imagination dans des contrées curieusement égarées de sens et même à construire des phrases que sitôt surgies, la mémoire essaiera de retenir jusqu’au lendemain. Demain, j’arrangerai au mieux des textes, j’essaierai par le miracle de la prosodie de faire chanter des mots qui danseront dans les oreilles.

Tous les êtres humains pensent, seuls les originaux s’en ventent.

Jean Paul Gouttefangeas

Photo de Vincent Treussier, extraite de l’album 500 jours à vélo.