Dictons et proverbes

Je devais aller à Ambert (malgré la pluie), au départ j’ai failli renoncer à prendre la route mais finalement je suis parti : il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis et la pluie du matin n’arrête pas le pèlerin. C’est à l’enterrement d’un homme que je me rendais, je l’avais connu autrefois et il m’avait marqué parce qu’il était attachant et plein d’humour et pourtant né orphelin de son père, ce qui n’est pas évident pour prendre le chemin de la vie : manque de père manque de repère. La vie ne l’avait pas spécialement favorisé, né borgne, ce qui lui faisait dire qu’il regardait ses amis de profil. Il avait perdu ses deux jambes dans un accident de la route ce qui lui faisait dire : ’’au moins cul de jatte, je ne partirai pas les pieds devant’’. Il était mort dans sa maison natale, comme le lierre meurt où il s’attache. À sa fin m’a-t-on dit il était devenu pensif, il faut dire qu’à son lit de mort, l’homme songe plutôt à élever son âme qu’à élever des lapins ! De plus, sa vue avait beaucoup baissé, mais la cécité est un point de vue. Pour autant, avait-il appris à mourir, je ne le sais pas, mais au fait pourquoi apprendre ? On y réussit très bien la première fois ! Toujours il avait dit qu’il lèguerait son corps à la science-fiction ! Ses deux ultimes souhaits avaient été d’être réduit en cendres parce qu’un incinéré disait-il, quoi que l’on dise de lui, ne peut pas se retourner dans sa tombe et surtout pas d’autopsie car elle permet aux autres de découvrir ce qu’on n’a jamais pu voir en soi-même. Durant la vie, au chaudron des douleurs, chacun porte son écuelle, notre homme avait subi de nombreuses avanies, en tant qu’infirme borgne, on ne lui avait proposé qu’un demi chien d’aveugle. La vie est parsemée d’épines plus que de fleurs. Bien sûr, il y avait eu de bonnes intentions envers lui, mais la douceur du miel ne console pas de la piqûre de l’abeille.

Finalement, il était mort dans son lit, mais c’est je crois l’endroit le plus dangereux du monde quand on sait que 99% des gens y meurent ! Si les personnes de nos jours meurent moins de crises cardiaques, c’est qu’elles meurent avant pour d’autres raisons. C’est certain la vie, ce chapelet de minutes, est un flambeau toujours prêt à s’éteindre : aujourd’hui chair, demain en bière ! Le temps est une lime qui travaille sans bruit et ce même temps n’a pas de loisir. Que voulez-vous, même les lilas blancs ont une ombre, il n’y a pas de poisson sans arête et la vie a une fin, heureusement pas le chemin.

Je filais sur la route d’Ambert pour être à l’heure à la cérémonie, sans prendre de risques, contrôlant ma vitesse en restant maître de mon véhicule car il vaut mieux être cheval que charrette, me souvenant du vieil adage : qui fait le malin tombe dans le ravin, mieux vaut arriver en retard qu’en corbillard. Parvenu au carrefour principal, devant l’église donc, je fus témoin d’un accident de la circulation. Au feu tricolore, un piéton imprudemment traversa au rouge. Un taxi arriva et renversa la dame. C’est alors que, contre toute attente, le chauffeur, sûr de son droit, se mit à insulter le ‘’gisant’’, ce qui provoqua, à juste titre, une vague d’indignation de la part des témoins. Je vis d’emblée que l’homme était né vindicatif, c’est au poil qu’on connaît l’âne et que d’un sac à charbon il ne saurait sortir blanche farine. Emporté à l’extrême, il était sur le point de quitter la scène, étant comme un bénitier près de la porte et loin du cœur. Levée générale de boucliers, les gens attentionnés s’occupèrent de ‘’ l’allongé’’ et les plus révoltés, bien que braves gens, sûrement du chauffeur de taxi (mais quand les brebis enragent, elles sont pires que les loups). On en vint aux mains : jeu de mains, jeu de vilain. Je voulus mettre mon grain de sel, l’homme en furie me souffleta le visage, il aurait dû savoir qu’on ne gifle jamais un sourd, il perd la moitié du plaisir, il sent la gifle mais il ne l’entend pas ! D’ailleurs le sourd (puisqu’on en parle) a d’autres plaisirs, il trouve son infirmité très reposante, on ne lui dit que l’essentiel. Je me remis très vite de l’agression, consolé par les passants : il est facile de nager quand on vous tient le menton ! Un voisin me proposa même très gentiment un verre d’eau, je déclinai l’offre expliquant promptement que j’avais choisi l’eau pour me raser et le vin pour le boire, le Samaritain était comme deux ronds de flan, devant son étonnement je lui rappelai qu’un chien regarde bien un évêque. L’agresseur, lui, toujours très énervé criait de plus belle, c’est certain le discernement n’était pas sa tasse de thé, ce sont les tonneaux vides qui font le plus de bruit. Cette altercation montrait la grossièreté du personnage, nous savons que plus les galets ont roulés, plus ils sont polis, pour les cochers c’est le contraire, on m’avait appris ça dans ma jeunesse, aussi vrai que c’est en sciant que Léonard devint scie ! Sur ces entrefaites, une ambulance arriva et emmena la pauvre femme, était-elle encore en vie, je ne le sais pas. En définitive il n’y a plus de nos jours que deux sortes de piétons, les rapides et les morts. Peut-être, dans la presse de la semaine, aurai-je des nouvelles, tout en sachant qu’un journal coupé en morceaux n’intéresse aucune personne alors qu’une femme coupée en morceaux intéresse tous les journaux.

Ce fut au tour des gendarmes d’embarquer l’énergumène en tentant de le raisonner, sous les huées de la foule, tant pis pour lui, il aura (peut-être) appris qu’on est souvent battu par le bâton qu’on apporte. La raison l’emportera peut-être en l’aidant à se corriger, j’en doute car la caque sent toujours le hareng, sachant que le serpent change de peau mais garde sa nature et que les vertus vont à pied et le vice à cheval.

Les cloches toutes proches se mirent à sonner, le cortège funèbre sortait de l’église, la cérémonie était terminée. Un homme de ma connaissance traversa le parvis et m’invita à prendre l’apéro c’est-à-dire deux verres de contact au bar central. Il se plaignait du mal de dents, en me disant qu’il y a trois choses qu’on ne peut pas regarder en face : le soleil, la mort et le dentiste. Là-dessus ayant faim je demandai au patron si nous pouvions déjeuner, il me répondit que ce jour précisément le restaurant était fermé. Je lui fis aimablement remarquer que quatre convives étaient installés autour d’une table ronde, il me répondit que c’était des pensionnaires.
Devant mon air dubitatif et ma faim visible il finit par me dire ‘’si vous n’êtes pas trop exigeants, j’ai des légumes et quelques restes’’, ce à quoi je répondis : on ne sort du sac que ce qu’il y a dedans et puis il vaut mieux un bon reste que deux mauvais morceaux, nous savons que parfois la sauce vaut mieux que le poisson. Messieurs, vous pouvez compléter la table ronde, ce que nous fîmes, (ventre affamé n’a pas d’oreilles), sachant qu’à ronde table il n’y a débat pour être plus prêt du meilleur plat.
Une bonne ambiance s’installa d’emblée. Une salade de laitue haricots verts fut servie en entrée, mariage de raison sûrement, mais mieux vaut une portion de légumes avec de l’amour qu’un bœuf gras avec de la haine ! Quand vint le plat de consistance accommodé d’une espèce de bouillie blanche, je ne puis pas dire que j’étais emballé, je trouve que le tapioca a un goût de moisi assez déplaisant pour les personnes qui n’aiment pas le moisi mais à bon appétit point besoin de moutarde. Tout se passa pour le mieux, la serveuse était sympathique et bon était le vin. Un homme d’un certain âge accoudé au comptoir avait le verbe un peu trop haut. Pourtant au premier abord, avec sa longue barbe blanche, il inspirait le respect, mais me direz-vous, si elle faisait les sages, les chèvres devraient l’être, c’est là que l’on se rend compte que bien avant le sens, la barbe vient. Je découvris très vite chez lui un racisme violent quand il commanda un ‘’Black and White’’ dans deux verres séparés ! Un enfant à la figure ‘’mouraillée’’ bramait derrière le comptoir, certainement effrayé par les cris du barbu, ce n’était pas très grave, mieux vaut un enfant morveux qu’un enfant sans nez.
Le ‘’numéro’’ du vieillard continuait de plus belle. Le patron aurait dû, dès le début, se souvenir du dicton : laissez le coq passer le seuil, vous le verrez bientôt sur le buffet. Après avoir tenté plusieurs fois de le raisonner, il finit par le mettre dehors, parce qu’ à trop vouloir frotter la tête d’un âne on perd son savon. Ainsi, l’homme arrêta son ramage par manque d’auditoire, il y a finalement plus de gens qui parlent pour ne rien dire qu’il y en a pour les écouter ; il partit pour un autre gite : à cheval hargneux, il faut une écurie à part.

Je quittais mon ami (et les nouveaux) pour rentrer à Thiers. Les verres à table s’étaient succédés et il n’y avait pas le fameux ‘’après bu dodo’’ si bénéfique. C’est vers Olliergues que je fis ma première rencontre, une voiture de gendarmerie sur le bord de la route et deux gendarmes dont l’un me fit signe de m’arrêter, aussitôt j’obtempérais et baissais la glace. Il me présenta une sorte de petit tube et me demanda de souffler. Du tac au tac je répondis : mais où est le gâteau ! La riposte fût cinglante : sortez du véhicule, etc.. Il se trouve que ce gendarme était plutôt bon enfant et avait le sens de l’humour, très vite il me dit, filez et soyez prudent. Je dois dire que sans être sobre, je n’avais pas dépassé ‘’la dose prescrite’’ à table, je sais qu’entre autres choses, trop boire noie la mémoire. Je repris mon chemin de retour, espérant bien arriver sans embûche à la maison et m’occuper de mon jardin mais il ne faut pas piler le poivre avant d’avoir le lièvre !

Arrivé à la maison, surprise, j’avais oublié que c’était mon anniversaire, à tête blanche souvent la mémoire flanche. Mon épouse et des amis m’attendaient pour le fêter dignement.

J’avais passé une très bonne journée, une autre m’attendait demain, elle devait commencer par de nouvelles funérailles mais à Vichy cette fois, c’est une ville d’eau !

Jean Paul Gouttefangeas

P.S. Je dois la construction de cette chronique à tous ces dictons venus souvent d’on ne sait où, aux auteurs, chroniqueurs, humoristes et gens de lettres et je leur en suis reconnaissant.

Crédit photo : Jean-Luc Gironde.