De la meule à la plume...

Il est né en 1900 là-haut, à la Grande Roulière, sur les bords de la Durolle. Il est mort là-bas, au bout du monde, sur les rives d’une île colorée, perdue au milieu de cet océan qui n’a de Pacifique que le nom, théâtre il y a quelques années d’évènements tragiques : la Nouvelle Calédonie.
Le bonheur nous dit-on est un hold-up permanent. Alors Fernand Planche qui a vécu sa vie comme d’autres l’ont rêvée est un sacré gangster ! Il fut en tout cas un homme honnête doublé d’un honnête homme, ce qui n’est pas si courant. Ses 74 années de vie, il les a croquées par la queue et par la tête. Il fut dans le désordre : journaliste, conférencier à la radio, romancier, biographe, polémiste, caricaturiste, préfacier, émouleur, horloger, encadreur, électricien, parfumeur, bijoutier, colleur d’affiches, maroquinier, fabricant de parpaings, pêcheur de coquillages pour finir veilleur de nuit. Il fut surtout et jusqu’au bout anarchiste. En 1974, son cœur, qu’il avait gros comme ça, l’a lâché sans crier gare. Diable ! Lui qui aimait tant sentir le vent à la paume de ses mains. Lui qui aimait tant les perroquets et toutes les bêtes. Lui qui aimait tant ramasser les coquillages. Lui qui connaissait si bien la beauté des choses. Ses quelques amis l’ont enseveli dans cette terre de Nouméa, tous derrière… lui devant.
Mais au fait qui était-il vraiment, cet auvergnat des antipodes, connu seulement de quelques exégètes anarchistes pour sa biographie remarquable de la communarde Louise Michel ? A priori comme a posteriori, Fernand Planche se révèle être un homme tout à fait… extraordinaire !
Il y a quelques années, Georges Therre, aujourd’hui professeur de Lettres honoraires et sans doute un des plus fins - et plus malicieux - spécialistes d’histoire locale, s’est penché avec la patience d’un paléontologue pour exhumer cette existence hors du commun. Au bout du bout, de recherches incroyables, d’échanges épistolaires dans le monde entier, d’interviews, de lectures interminables, de milliers de notes qu’il a fallu tout d’abord trier, Georges Therre a réussi à dresser le portrait le plus juste de ce drôle de citoyen qui, un beau jour, a envoyé mourir dans le fond de la Durolle sa poubelle, ayant pris soin, au préalable, de la remplir de tous les préjugés et conventions. "Ecoute - aurait-il pu dire à Laure, dans le silence de la mer, il y a comme un balancement maudit qui vous met le cœur à l’heure".
Ce portrait - cette saga devrions-nous dire - nous allons vous la présenter en plusieurs épisodes tant le texte est riche et ne supporte pas ce que les règles en vigueur appellent la compression. On ne compresse pas Fernand Planche !

Le texte de Georges Therre est long, surtout pour ceux qui ont oublié de le lire. C’est tant pis pour eux. Les autres - les courageux, les amoureux de la chose écrite - comprendront alors pourquoi, lorsqu’on pose son oreille sur le ventre gros et nacré d’un coquillage, on entend ce bruit fort et rauque et doux qui ressemble si bien à la mer. Bonne lecture

Jean-Luc Gironde


Causerie sur Fernand Planche

Je vais commencer par justifier mes propos. Pour bien parler de Fernand Planche, le coutelier, l’anarchiste, et notre contemporain, il convient nécessairement : d’être coutelier soi-même, d’avoir fréquenté les cercles anarchistes, ou bien encore d’avoir connu Fernand Planche personnellement.

C’est sans hésitation, et avec le bel aplomb que confère l’ignorance, que je vous déclare nettement : je ne remplis aucune de ces conditions.

Je prétends néanmoins donner un aperçu incomplet, mais exact, de ce personnage méconnu de notre région thiernoise, et j’espère donner l’envie de le lire, puisque c’est désormais le seul lien que nous puissions établir avec lui.
Une telle assurance est fondée sur la solidité de mes informations, et de mes informateurs. En les rappelant, je dis aussi ma dette à leur égard, et je les assure de mon indéfectible reconnaissance.
La documentation écrite provient principalement de trois sources :
- la Commission Histoire du Monde Libertaire, grand organe des anarchistes français, qui s’est donné la peine de rechercher et de photocopier de nombreux textes de Planche et sur Planche éparpillés dans diverses publications
- l’écrivain Pierre-Valentin Berthier, que le Monde Libertaire m’a fait connaître.

Monsieur Berthier a fait connaissance avec Fernand Planche en 1934, il a combattu à ses côtés pour ses idées, lui aussi a écrit beaucoup, livres et journaux.
La personnalité de notre compatriote l’a fasciné à tel point qu’il en a fait le personnage d’un de ses romans (nous y reviendrons), et qu’à la mort de Fernand Planche il a publié une longue notice biographique de son ami, parue en feuilleton dans la revue Espoir. Ses écrits ont été particulièrement précieux pour la période parisienne et néo-calédonienne de la vie de Fernand Planche.

La collaboration avec Le Monde Libertaire et Pierre-Valentin Berthier a été capitale, nos relations ont été tout à fait cordiales et le restent.

La troisième source, c’est notre ami René Barge, cousin de Fernand Planche. Non seulement il l’a bien connu, mais il a pu nous donner des renseignements de première main sur sa famille et sur les lieux qui ont vu son enfance, à la Grande Roulière. D’autre part et surtout, René Barge a eu le mérite de conserver dans sa petite maison, à Loyer, dix à vingt caisses énormes, remplies d’objets hétéroclites et surtout de livres, que Fernand Planche a laissés là avant de quitter la France en 1950.

Songez-y : de 1950 à 1974, René Barge a eu trois pièces de sa maison encombrées de caisses qu’il s’est scrupuleusement interdit de toucher. C’est seulement depuis qu’il s’est résolu à se débarrasser d’une partie de ces caisses, et que nous en avons ouvert un certain nombre ensemble. Hélas, la moisissure, les champignons ont été moins respectueux que lui de l’héritage de son cousin, et ce sont souvent des lambeaux de papier collés qui s’effritent sous les doigts que nous avons mis à jour. Je ne le remercierai jamais assez de son accueil sympathique et sans réserves, chaque fois que je le voulais, dans sa maison.
A ces trois grandes sources de documents, il me faut ajouter une foule de gens, Thiernois pour la plupart, qui m’ont apporté des renseignements sur tel ou tel aspect de la vie de notre homme. Ils sont si nombreux que je présente mes excuses à la plus grande partie, ne pouvant les citer, me bornant à ceux qui ont été les plus précieux : Fernand Sauzedde, ancien député-maire de Thiers, qui, cinquante ans après, a pu me sortir des tracts des années 30, de Fernand Planche, le regretté Antoine Couperier, ancien maire de Saint-Rémy où j’ai pu consulter l’état civil, René Ytournel de La Monnerie, qui m’a guidé sur les lieux mêmes où se déroulent certains épisodes de Durolle etc…
Vous voyez que déjà cette quête a été un vrai roman, inachevé d’ailleurs. Car en fait, au départ, ce qui a motivé cette sorte d’enquête, c’est la lecture du roman Durolle, et la recherche des manuscrits de la suite de ce roman, qui ont existé, existent peut-être encore ; peut-être des gens présents dans la salle pourront-ils apporter leur pierre à ce monticule de recherches. C’est aussi l’un des buts de cette causerie. Ce qui m’a stimulé dans cette poursuite des manuscrits, c’est le soutien ardent et efficace de mes amis Daniel Groisne et Jean-Luc Gironde.

J’aborderai successivement les quatre aspects suivants de la vie et de l’œuvre de Fernand Planche :
1- sa jeunesse durollienne, jusqu’à son service militaire 1900 - 1920
2- sa vie parisienne 1922 - 1950
3- l’œuvre écrite
4- le grand voyage au bout du monde 1950 - 1974

Georges Therre

La suite ? Dans la chronique suivante... : La Jeunesse Durolienne

Causerie sur Fernand Planche par Georges Therrre - 1984 - prologues de Jean-Luc Gironde et Georges Therre.