De la cave au grenier

Parfois, il n’est pas nécessaire d’aller très loin pour voyager, quelques marches, deux ou trois étages et le tour est joué. Ce que l’on découvre, ce que l’on voit avec un peu d’observation, ajoutons tout de même un peu d’attention, d’imagination et l’envie de vouloir répondre à l’invitation au voyage. Depuis le jardin, car c’est de là que le ‘’train’’ part, le paysage alentour est un lieu privilégié car il est capable de donner du bonheur et de la paix pour l’esprit mais n’est-ce pas aussi le but de tout voyage d’agrément ? La tenue vestimentaire importe peu, le voyage dans ce cas précis se fait seul, en pyjama, en chemise et caleçon ou en costume trois pièces, c’est selon l’heure et la disposition du moment. Sitôt levé, par beau temps, passer dans le jardin, c’est répondre à l’appel de la nature, avec parfois une tasse de café à la main, ce qui ne gâte rien, car le plaisir alors est augmenté. Parcourir l’allée et contempler le spectacle comme s’il était exclusivement pour soi, en spectateur solitaire, est un privilège. S’asseoir devant la petite table ronde en fer en y posant sa tasse est une autre option : jouir du temps présent, fermer de temps à autre les yeux pour ne profiter que des odeurs des fleurs et des plantes, en froissant doucement les feuilles des géraniums odoriférants c’est savoir apprécier le temps qui passe en voyageant parmi les fragrances offertes dès le matin à ses narines gourmandes et avides de senteurs un tantinet doucereuses à ce moment du jour !

Il arrive même que ces odeurs naturelles soient supplantées par d’autres, des effluves peut-être plus ‘’consistants’’ venant de la cuisine toute proche mais toutes aussi aptes à nous emmener dans un autre voyage des plus agréables, nous réveillant peut-être complètement, éveillant en nous des envies de gustation. À nous de deviner ce que sera le déjeuner.
Laissons vagabonder notre imagination : serait-ce, avec ses relents d’oignon frit, les prémices d’un plat de morue aux pommes de terre qui nous évoque, rien que par cette première senteur, le beau Portugal ? À moins que là derrière, si l’on décèle d’autres odeurs, comme l’ail et le laurier sauce, se cache un autre plat capable de nous transporter, un filet mignon de porc (bien de chez nous) ou alors une odeur forte de choucroute nous transportant d’emblée en Alsace, en cela aussi le voyage est évoqué par la pensée (et le fumet !)

En passant devant la porte ouverte de la cave, il est possible d’apercevoir, superposés sur une étagère, des pots de confiture ‘’maison’’ avec leurs étiquettes mentionnant : abricot, gelée de coings, fraises, prunes et souvent les noms de bien d’autres fruits mais toujours, en dessous, l’année de fabrication, inscrite en gros. Ces conserves empilées là nous font souvent penser à des souvenirs d’enfance et c’est alors un voyage dans le temps et un voyage gourmand. Nous avons tous connu quelque grand-mère ou tante spécialiste des confitures, quand ce n’était pas notre propre mère. Une odeur encore si particulière, mélange de fruits cuits et de sucre chaud et tout le rituel qui allait avec : l’attention perpétuelle au-dessus du chaudron, le bras qui tournait inlassablement et l’écumoire toujours en action, puis toute la suite rituelle, la mise en pot et le papier sulfurisé ceinturant la lèvre de verre. Voyage encore en montant l’escalier de pierre où autrefois chaque bout de marche recevait un pot fleuri, souvenir d’un temps où nous étions enfants !

L’entrée de la maison, avec son porte manteau surchargé, les manteaux de l’hiver pas encore rangés, les écharpes de couleur surmontées de chapeaux de paille de l’été dernier, qui n’ont pas voyagé durant des mois et qui vont reprendre bientôt du service. Un porte-parapluie coincé derrière la porte, depuis un temps immémorial, avec à l’intérieur des cannes prêtes à accompagner le promeneur, souvent des pommeaux très simples, quelques becs en corne tout au plus, ceux en ivoire ou en argent, il n’y en avait pas ou alors rangés ailleurs. Les parapluies grands et petits à portée de main, toujours prêts à rendre service. Que de souvenirs là aussi, d’entrées précipitées pour passer à l’intérieur en toute hâte, en refermant la protection précipitamment, en s’essuyant les pieds et en se secouant comme des caniches ruisselants ! En faisant entendre des ‘’pouah’’ libérateurs d’un voyage sous la pluie. Dans le vestibule, une antique console en acajou d’une époque dite ‘’retour d’Egypte’’, se rapportant à un temps où l’Empereur, lui aussi épris de voyages, étendait ses conquêtes jusqu’en Afrique, rapportant en France une exotique mode touchant à l’égyptologie. Ladite console était remplie de souvenirs : photos de vacances à Arcachon, à Luchon, un vase en cuivre rapporté d’Istanbul, des castagnettes venues de quelque village d’Andalousie : souvenirs qui, à leur simple vue, nous emportent loin de la maison. Le salon n’est pas en reste pour nous faire voyager : un lustre de Murano orne le plafond, donnant le ton pour un voyage dans le ‘’baroque’’ italien, décor complété par un miroir de Venise, des tuiles faîtières et quelques vases venus de la Chine, ça et là des coraux des mers chaudes, au sol un tapis ramené, il y a bien longtemps, des souks de Damas et le décor est planté, tout un monde venu d’ailleurs nous entoure et fait partie de notre quotidien.

Reprenant l’escalier (intérieur celui-là), nous accédons au vestibule ; c’est un sympathique décor qui nous accueille, deux grandes photos des maîtres de maison, prises au Liban (du temps de la jeunesse !), des livres sur les étagères, aux titres prometteurs : ‘’Ambiance scandinave’’, ‘’les jardins de Toscane’’, ‘’les aurores boréales’’, ‘’les beautés du Cantal’’ etc. Les voyages sont dans chaque titre, si nous prenons le temps de nous asseoir en ouvrant un ouvrage, c’est l’embarquement immédiat, sans billet, sans fumées, sans escarbilles mais uniquement dans le rappel des moments agréables passés ailleurs.

Une première chambre dont l’ornement principal est un grand ‘’ciel de lit’’ retombant du plafond, chargé de lourdes pentes de tissu rappelant une autre époque, voire un autre Régime, élément sûrement très démodé mais obligeant à un voyage dans le temps cette fois, une époque où le décor avait une importance jusque dans la chambre à coucher, donc très intime, contrairement aux pratiques d’aujourd’hui où à l’esbroufe on installe, uniquement dans le salon, le canapé et la table basse (branchés tendance) l’écran plat, et au mur, une affiche relative à une exposition encore plus branchée, à Tokyo ou à Sao Polo ! Quant à la chambre, on n’y conduit pas les copains (ou copines) en principe, donc pas de frais inutiles ! (je l’avoue, ces dernières lignes sont un peu méchantes).

Si, pas encore lassés, nous reprenons le voyage dans la maison, nous arrivons à la chambre dite d’amis. C’est parfois un peu plus bric-à-brac (elle n’est pas occupée tous les jours), les édredons forment des collines (deux par lit, c’est dire), bien sûr, de nos jours, les couettes ont pris le dessus (si j’ose dire) mais on a du mal à se débarrasser de ces amas de plumes venus eux aussi d’époques révolues mais au confort si doux, avec en prime les briques (pour les plus anciens d’entre nous), les bouillottes en caoutchouc, les couvertures chauffantes. Si quelques jeunes (soit dit en passant) lisent mes chroniques (on ne sait jamais), ils doivent prendre mes voyages rapportés ce jour pour des évocations d’un lointain Moyen Age ! La chambre d’amis, c’est avant tout pour le repos des hôtes, le voyage, ils l’ont déjà fait pour venir jusqu’ici, donc leurs rêves (incontrôlables) les mèneront (malgré eux) dans de contrées inconnues de nous.

La dernière porte au fond du couloir mène au grenier. Allons-nous la pousser aujourd’hui ? Le risque est grand, tant les voyages que l’on peut y faire sont nombreux et variés, ils peuvent être lointains et très longs. Nous prendrons le temps de déambuler dans les souvenirs une autre fois.

Voyager dans la maison, de la cave au grenier peut s’avérer passionnant, pas une seule agence de voyage ne peut le proposer car c’est le plus intime et parfois le plus beau, de plus il est gratuit et l’autobus n’est jamais complet ! Sachons être des chauffeurs compétents et des passagers avides et exemplaires.

Jean-Paul Gouttefangeas

Crédit photo : Jean-Luc Gironde