De l’importance du bouquet

Dites-le avec des fleurs ! Que n’avons-nous pas entendu cette expression si répandue ! Elle est juste, vraie et sûre. Quand je me promène en juin dans mon jardin, mon envie est grande de faire des bouquets pour les ramener dans la maison, la première à être heureuse serait mon épouse. Pourtant quand, sécateur en main, je m’apprête à commettre le geste sacrificateur, souvent, je ne vais pas jusqu’au bout du projet, j’hésite et parfois je renonce. La raison en est simple : ce serait amputer une partie de la mise en scène, rompre l’harmonie du décor, tant le spectacle est beau. Pour minimiser le crime, je consens à couper les fleurs de l’arrière, celles cachées par la touffe qui les devance ou celles plus malchanceuses qui, poussées par leurs soeurs, se sont couchées dans l’allée. Elles sont aussi belles que les autres et on ne remarquera pas leur absence.

Les fleurs en général sont porteuses de joie, aussi avons-nous du plaisir à les faire entrer dans la maison comme complément d’un besoin d’équilibre, qu’elles soient disposées dans l’entrée, dans la cuisine (là, je ne parle pas du bouquet garni !) ou le salon (sous le bouquet enrubanné de la glace Louis XVI !), l‘effet est le même, leurs vertus sont reconnues depuis toujours et on a envie de les mettre en valeur. Parer sa table de salle à manger participe à l’honneur que l’on souhaite faire à ses invités, (juste avant de parler du parfum exhalé par le ‘’bouquet‘’ du vin !) c’est une attention délicate qui va au coeur des convives, après que souvent la maîtresse de maison en a reçu elle-même, dès l’arrivée car le bouquet reste le cadeau universel, éphémère, répété sans cesse mais toujours apprécié. Les fleurs sont liées à nous depuis très longtemps, les savants rapportent que l’on a trouvé des traces de bouquets dans des cavernes de la préhistoire ! Elles sont devenues un élément incontournable de notre vie : privée, sociale et publique, exerçant sur nous des effets favorables sur notre comportement parce qu’elles sont des vecteurs d’accélération de nos émotions : amour, joie ou tristesse en fonction des moments et des circonstances jusqu’à l’apéritif entre amis pris sous un bouquet d’arbres.

Ce bouquet qui va au coeur sait aussi parler car, c’est bien connu, les fleurs ont un langage ! Ces dernières nous rappellent que l’on est aimé (même après la mort), elles parlent d’amour et d’amitié, de sérénité quand elles nous accueillent dans la maison, elles nous aident à présenter des excuses, à remercier, à nous rapprocher les uns des autres. Le bouquet sait être parfois un ‘’calumet de la paix‘’ au même titre qu’un repas peut changer la face du monde. Ces fleurs parlent à l’occasion de la saint Valentin, de la fête des mères, lors des voeux, des anniversaires et des attentions du quotidien. Pourrions-nous imaginer nos fêtes et événements sans la participation des fleurs ? Sûrement pas, les occasions sont nombreuses : naissances, baptêmes, anniversaires, communions, décès, mariages et autres.

L’importance des fleurs, en effet, se manifeste grandement dans la vie en société : le célèbre bouquet de mariée s’est transformé au cours des âges, de bouquet de senteurs aromatiques (contre les mauvais esprits) dans l’Antiquité, il devient un bouquet ‘’de fleurs’’ au Moyen-Âge et pour ce faire, on célèbre généralement les mariages au printemps. Au XVIIIème siècle il est composé de fleurs d’oranger (virginité) que la mariée déposait ensuite sur l’autel de la Vierge Marie (souvent mis sous un globe de verre). L’Eglise catholique ne souhaitant pas d’effusions en public, on résolut le problème en remplaçant les baisers et embrassades par des fleurs ! Offrir des roses blanches, c’est les faire parler d’amour et de tendresse, des lys et des roses, c’est affirmer avec force la sincérité des sentiments alors qu’offrir un bouquet de pivoines et de roses blanches et roses c’est montrer sa tendresse et son respect. Mais ce langage des fleurs qui nous vient (paraît-il) de la Perse était si réel en Turquie (en toutes occasions) que chaque fleur avait une signification, de sorte que pour faire passer les messages dans l’armée, il suffisait de le dire avec des fleurs et l’ennemi n’y voyait que du feu !

C’est une Française (Charlotte de la Tour) qui, la première, écrivit un ‘’langage des fleurs‘’ en 1819, les Anglais diablement puritains à cette époque, plutôt que se répandre en manifestations voyantes par des gestes de sympathie, optent eux aussi pour les fleurs, c’est alors que vint à bon escient le ‘’code secret des fleurs‘’ que l’on doit à une autre femme, Anglaise celle-là, Kate Greenaway en 1884.

Les vases ont leur importance, ils participent à ‘’l’installation‘’, que ce soient de somptueux vases Médicis de cristal ou de porcelaine ou une simple carafe, antiquité de famille sûrement honorée d’être descendue du grenier pour la circonstance, mais finalement peu importe le flacon… Vous connaissez par coeur les premières paroles de la dame, sitôt le coup de sonnette donné et la porte ouverte : ‘’oh qu’elles sont belles, il ne fallait pas, merci, je vais les mettre dans l’eau !‘’. Touchée (jusques au fond du coeur !) par cette attention (et cela à tous les coups), la maîtresse de maison disparaît pour revenir, triomphante (mais cachée derrière le bouquet), avant de le disposer bien en vue pour toute la soirée. Lorsque qu’il s’agit d’un bouquet d’amoureux, il y a des précautions à prendre : jamais de bouquet tout jaune, il signifie la fin d’une relation ! Songez qu’en Asie une plante en pot offerte à quelqu’un est un rappel que la relation est restreinte (comme le développement des racines), avouez que c’est effectivement parlant ! En Angleterre, gardez-vous bien d’offrir un bouquet de lys blancs à des amis, c’est un symbole de mort ! Mais, là-bas, si vous offrez un bouquet de sept fleurs, ce sera considéré comme un signe d’adoration. Une recette imparable, offrez une rose, c’est une attention délicate et une preuve de bonne manière (extrêmement économique !)

Au final, le bouquet a toujours désigné ce qu’il y a de plus conséquent et même de plus beau : songez au bouquet dans un viager ! Le bouquet du feu d’artifice qui vient à la fin et que nous attendons tous (je n’ose pas mettre dans le lot le bouquet de crevettes qui décore le plat de crustacés !).

Je mets à part l’expression : ‘’ça c’est le bouquet‘’ - lorsqu’en plus de tout ce qui allait mal nous tombe dessus - quelque chose qui en rajoute !

La présence des fleurs nous apporte, en plus de la joie de les regarder, un des parfums de la vie, c’est la raison pour laquelle nous nous obstinons à les garder, à changer l’eau du vase jusqu’à l’extrême limite de leur vie, jusqu’au dernier parfum de leur splendeur passée.

Jean Paul Gouttefangeas