Charlie hebdo : 5 ans déjà …

Comment ? Comment dire l’indicible ? Comment expliquer, comment poser des mots pour traduire cette chape de plomb qui nous est tombée dessus mercredi 7 janvier 2015 en fin de matinée quand deux barbares armés de kalachnikov ont pénétré dans la rédaction de Charlie Hebdo pour en ressortir quelques minutes plus tard, laissant derrière eux 11 morts et, parce que la fête n’était pas finie, tuant comme un chien un fonctionnaire de police blessé sur un trottoir qui demandait grâce ! Images trop terribles à voir. Tout ça au nom d’un dieu qu’ils disent bon et miséricordieux … Ils étaient journalistes, policiers, simple visiteur, comme Michel, venu de Clermont-Ferrand, invité à suivre la conférence de rédaction, un autre était correcteur de presse. Le premier policier assassiné assurait la protection rapprochée de Charb, il avait 49 ans et se prénommait Franck. Le deuxième policier s’appelait Ahmed, il avait 42 ans et le correcteur de presse Mustapha. Il venait d’obtenir la nationalité française. Sur les réseaux sociaux, ses amis disent qu’il en était très fier. Frédéric lui, était employé de la Sodexo. Les autres étaient connus, très connus même, tant leurs dessins, leurs prises de position ont suscité de passion, de rigolades, de critiques aussi et pour finir, de haine : Charb, Cabu, Wolinski, Tignous, Honoré, Bernard Maris, la psychanalyste Elsa Cayat qui tenait dans l’hebdomadaire, une chronique bimensuelle.
En quelques minutes, ce que l’on croyait réservé à ces pays meurtris, que l’on croit si loin, où ce type d’événement terrifiant est quotidien, s’est abattu au plein cœur de Paris. Ce n’était pas des images de CNN avec son correspondant en direct live de Bagdad ou de Kaboul que l’on voyait en boucle sur les chaînes d’info françaises. Images auxquelles finalement on s’est habitué. Non, hier les images étaient en provenance de Paris, capitale de la France. Pas d’avion, pas de tours jumelles mais un effet terrible dont on ne mesure pas encore les conséquences.
Ce crime épouvantable ne visait pas que ces êtres que l’on a tués : à travers eux, à travers leurs pauvres corps sans vie maintenant enveloppés du même linceul, c’est la liberté même, celle fondatrice de nos valeurs, quelles que soient nos convictions, nos croyances, notre couleur de peau, que l’on a voulu mettre à bas. N’en déplaise à ces justiciers autoproclamés d’une cause perdue dans les méandres des souterrains de leur pensée, la France est une République laïque où le droit d’écrire, de penser ce que l’on veut est un droit reconnu, où le délit de blasphème n’existe pas. C’est cette France là, cette France des Lumières que deux fous ont frappé. Ils ont tué mais ils ont perdu. Ils ont perdu parce qu’on n’enferme pas le souffle, pas plus qu’on ne retient l’eau vive. S’adressant à ces camarades morts à côté de lui pendant la boucherie de 14-18, Jean Giono écrivait : « Vous avez gagné car vos visages sont dans toutes les brumes, vos voix dans toutes les saisons, vos gémissements dans toutes les nuits ». Oui Cabu, oui Mustapha, oui vous et vos compagnons de malheur, vous avez gagné. Malgré vos assassins.
Parce que la barbarie n’a jamais triomphé de la Liberté.

Jean-Luc GIRONDE

Chronique de Jean-Luc Gironde.